Antitrust européen : Microsoft voudrait bien faire sauter son amende
L’appel de Microsoft de sa condamnation record par l’Europe était officiel mais ses motivations moins connues. L’éditeur s’en prend assez fortement à la Commission, qu'il accuse d’avoir outrepassé ses pouvoirs d’enquête, d’erreurs manifestes d’appréciation, et de décision « excessive et disproportionnée ».
On en sait un peu plus sur les motifs que Microsoft a portés à la connaissance de la cour de justice européenne devant laquelle il a fait appel de la décision de Bruxelles de lui infliger une amende record pour non-respect d'une décision en matière d'ententes.
En février dernier, l’éditeur s’était vu alléger de 899 millions d’euros pour ne pas avoir respecté l’astreinte fixée par l’antitrust européen dans une précédente condamnation. Un montant « excessif et disproportionné » juge aujourd’hui Microsoft qui avait fait appel en mai dernier en demeurant évasif sur ses motivations, expliquant juste vouloir en quelque sorte faire avancer les choses en demandant quelques explications plus précises.
Dans les arguments présentés au juge dans leur appel, les avocats de Microsoft sont beaucoup plus offensifs et estiment notamment que leur client a été condamné pour ne pas avoir proposé de tarifs « raisonnables » alors même que rien ne définissait ce qu’était un prix « raisonnable ». De plus, l’éditeur affirme que « la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation ». Et d’expliquer que les prix présentés ne constituaient qu’une grille de base sensée faciliter les négociations entre Microsoft et les éventuels éditeurs intéressés par une licence dans le cadre de l’interopérabilité logicielle. Selon Microsoft un mécanisme avait même été prévu pour que, en cas d’impasse dans les négociations, un mandataire tiers de confiance contrôle le taux demandé.
Autre grief porté par l’éditeur « la Commission a refusé à Microsoft le droit d'être entendu en s'abstenant de lui donner l'occasion de faire connaître son point de vue après l'expiration de la période de référence pour laquelle Microsoft s'est vue infliger une astreinte, l'empêchant par là même de présenter des commentaires sur tous les aspects pertinents de l'affaire ».
Une tension permanente
Si c’est la plus importante, cette amende de 899 millions d’euros n’est que la dernière en date d’une longue série inaugurée en Europe en mars 2004 avec une amende de quasiment 500 millions d’euros. L’écot versé par l’éditeur de Windows à l’antitrust européen se monte à plus d’un milliard et demi d’euros.
Plus récemment, alors que Microsoft fait de légers efforts en matière d’interopérabilité, la Commissaire européenne à la concurrence, Neelie Kroes, a fait passer un message d'une grande fermeté à Microsoft à l'occasion d'un discours prononcé à l'OpenForum de Bruxelles. Sans citer le nom de l'éditeur - mais avec des allusions appuyées qui ne laissent pas de place au doute -, la Commissaire a estimé que « choisir des standards ouverts est une bonne décision économique » et que ceux imposés par un seul acteur ne présentent pas « les garanties d'ouverture inhérentes aux standards ».
Le texte intégral du recours tel que publié au journal officiel de l’Union Européenne le 5 juillet 2008
Recours introduit le 9 mai 2008 — Microsoft/Commission des Communautés européennes (Affaire T-167/08) (2008/C 171/80)
- Langue de procédure: l'anglais
- Parties
- Partie requérante: Microsoft Corp. (représentants: J-F. Bellis, avocat, I. Forrester, QC)
- Partie défenderesse: Commission des Communautés européennes
Conclusions de la partie requérante
- annuler la décision de la Commission C(2008) 764 finale du 27 février 2008 fixant le montant définitif de l'astreinte infligée à Microsoft Corporation en vertu de la décision C(2005) 4420 finale, de la Commission;
- à titre subsidiaire, annuler ou réduire le montant de l'astreinte infligée
- condamner la partie défenderesse aux dépens.
Moyens et principaux arguments
Par une décision en date du 10 novembre 2005 adoptée au titre de l'article 24, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1/2003 (1), la Commission a infligé une astreinte à la requérante pour non respect de son obligation de mise à disposition de la documentation technique comportant les renseignements relatifs à l'interopérabilité aux entreprises intéressées, à des conditions raisonnables et non discriminatoires conformément à l'article 5 a) de la décision 2007/53/CE de la Commission du 24 mars 2004 (2). La décision contestée a fixé le montant définitif de l'astreinte à 899 millions d'euros pour la période allant du 21 juin 2006 au 21 octobre 2007 inclus. La requérante demande l'annulation de la décision contestée aux motifs suivants:
- La Commission s'est trompée lorsqu'elle a assujetti Microsoft à des astreintes afin de l'obliger à pratiquer des conditions de prix «raisonnables» sans préciser au préalable quelles seraient les conditions de prix qui, selon la Commission, auraient un caractère «raisonnable», afin de permettre à Microsoft de connaître la marche à suivre en vue d'éviter qu'une telle astreinte ne lui soit infligée.
- La Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation et a enfreint l'article 253 CE en concluant que les taux publiés adoptés par Microsoft étaient déraisonnables et contraires à la décision de 2004 sans prendre en compte les éléments suivants: (i) ces taux publiés étaient expressément destinés à faciliter les négociations entre Microsoft et les preneurs de licence potentiels et (ii) Microsoft avait, en concertation avec la Commission, créé un mécanisme par lequel le mandataire contrôlerait les taux proposés par Microsoft si tout preneur de licence potentiel ne parvenait pas à un accord; ledit mécanisme était quasiment identique au mécanisme créé par la Commission elle-même dans l'affaire NDC Health/IMS HEALTH: mesures provisoires («IMS HEALTH») (3). La Commission a également commis une erreur manifeste d'appréciation (i) en manquant d'accorder l'importance nécessaire au fait que ces taux publiés ont été fixés par Microsoft à un chiffre inférieur au chiffre qu'un expert externe avait qualifié de raisonnable, (ii) en manquant d'accorder l'importance nécessaire au fait qu'il n'y a pas eu de mandataire qui n'aurait pas été en mesure de parvenir à un accord avec Microsoft et (iii) en manquant de prendre en compte le fait que des preneurs de la licence «no patent» obtiennent également des droits d'utilisation des brevets de Microsoft.
- La Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en exigeant que Microsoft établisse que ses secrets commerciaux étaient innovants conformément à un critère de brevetabilité accentué afin de justifier l'imposition de redevances pour une licence visant de tels secrets commerciaux. La Commission a également enfreint l'article 253 CE en manquant de prendre en compte de nombreux arguments avancés par Microsoft sur la base de rapports préparés par des experts en brevet qui ont critiqué l'approche de la Commission.
- La Commission a enfreint l'article 233 CE en manquant de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt rendu dans l'affaire T-201/04 (4) dans la mesure où la Commission a basé ses rapports d'évaluation préparés par le mandataire sur des documents obtenus par le biais de pouvoirs d'enquête considérés comme illégaux par le Tribunal de première instance.
- La Commission a refusé à Microsoft le droit d'être entendu en s'abstenant de lui donner l'occasion de faire connaître son point de vue après l'expiration de la période de référence pour laquelle Microsoft s'est vue infliger une astreinte, l'empêchant par là même de présenter des commentaires sur tous les aspects pertinents de l'affaire.
- Le montant de l'astreinte est excessif et disproportionné. Ceci est dû, entre autres, au fait que la Commission a manqué de prendre en compte comme il se doit le fait que la décision contestée conclut seulement que les redevances soi-disant établies par Microsoft au titre d'une licence particulière (la licence «no patent») étaient déraisonnables et ne remet donc pas en cause (i) les redevances soi disant établies par Microsoft pour tous ses droits de propriété intellectuelle inclus dans la totalité des renseignements relatifs à l'interopérabilité que Microsoft doit révéler au titre de l'article 5 de la décision de 2004 ou (ii) le caractère complet et précis des renseignements relatifs à l'interopérabilité.
(1) Règlement (CE) no 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE) (JO L 1 du 4 janvier 2003, p. 1).
(2) Décision de la Commission du 24 mai 2004 relative à une procédure d'application de l'article 82 du traité CE et de l'article 54 de l'accord EEE engagée contre Microsoft Corporation (Affaire COMP/C-3/ 37.792 — Microsoft) [notifiée sous le numéro C(2004) 900] (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE), JO L 32 du 6 février 2007, p. 23.
(3) Décision 2002/165/CE de la Commission du 3 juillet 2001 relative à une procédure d'application de l'article 82 du traité CE (Affaire COMP D3/38.044 — NDC Health/IMS HEALTH: mesures provisoires) [notifiée sous le numéro C(2001) 1695] (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE), JO L 59 du 28 février 2002 p. 18.
(4) Arrêt du Tribunal du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T-201/04, non encore publié au Recueil.
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