Honeywell met en service son ordinateur quantique à 64 qubits
La machine est dès à présent programmable à distance, au travers d’API et via le langage Q# de Microsoft. Reste à essuyer les plâtres en matière de modèle économique et de performances.
Il l’avait promis en mars dernier. L’équipementier industriel américain Honeywell vient officiellement de livrer son premier ordinateur quantique et il persiste : il s’agirait du système le plus rapide au monde. Celui-ci a un volume quantique de 64, soit deux fois plus que tous les systèmes quantiques disponibles, principalement ceux d’IBM, Rigetti et IonQ. Cette solution est censée adresser plusieurs marchés confrontés à des problèmes de calcul qui ne peuvent être résolus par les ordinateurs classiques, en particulier dans le secteur bancaire.
L’innovation d’Honeywell consiste à utiliser une puce QCCD révolutionnaire qui limite les effets de l’environnement sur les qubits, la pièce de base des ordinateurs quantiques. Les parasites sont tels qu’il faut d’ordinaire déployer 10 000 qubits pour espérer en avoir un qui fonctionne comme il est censé le faire. L’ensemble des qubits véritablement fonctionnels est appelé le volume quantique. Pour que les algorithmes classiques – qui fonctionnent en 64 bits – tirent profit d’un ordinateur quantique, il fallait donc atteindre un volume quantique de 64.
Cela aurait supposé habituellement de créer 640 000 qubits. Et c’est bien tout le problème : la fabrication d’un qubit est excessivement compliquée, pour ne pas dire hors de prix. Elle consiste à piéger deux électrons dans une cage d’atomes avec un laser qui a la bonne polarisation, dans un gaz ou avec des températures proches du zéro absolu. Avec sa puce QCCD, Honeywell peut donc fabriquer moins de qubits et rendre son ordinateur quantique financièrement réalisable.
Aucun modèle commercial précis pour le moment
Problème, on ne sait pas si ça fonctionne. Le principe est de proposer à des entreprises d’envoyer leur algorithme sur l’ordinateur quantique d’Honeywell via une API, puis d’attendre que le résultat s’affiche en retour sur un ordinateur classique, en espérant qu’il soit satisfaisant. Selon Tony Uttley, le président de Honeywell Quantum Solutions, des « dizaines » d’entreprises seraient actuellement en train d’évaluer son ordinateur quantique. Parmi elles, JPMorgan Chase souhaiterait s’en servir pour mettre au point des logiciels quantiques capables de détecter les fraudes.
Grâce à un accord signé l’année dernière entre Honeywell et Microsoft, les utilisateurs peuvent programmer des algorithmes sur l’ordinateur quantique du premier en utilisant le langage Open source Q# du second. Q# fait partie du kit de développement quantique de Microsoft. Celui-ci comprend par ailleurs des simulateurs quantiques et des extensions permettant de travailler avec des environnements de programmation plus classiques.
Les entreprises qui n’ont pas encore les compétences nécessaires pour développer des algorithmes quantiques sont invitées à collaborer avec Zapata et Cambridge Quantum Computing. Ce sont deux sociétés dans lesquelles Honeywell a investi et qui se spécialisent dans la modélisation de problèmes pratiques, sous la forme d’algorithmes quantiques.
Le modèle économique n’est pas encore très clair et se bâtit manifestement au cas par cas. Le cheminement vers une application finale est encore long. Les algorithmes qui ont été écrits jusqu’à présent sont théoriquement censés convertir des moteurs de Machine Learning – en tout cas ceux utilisés dans les domaines de la finance et de la recherche chimique.
Des comparaisons de performances impossibles à faire
Malgré les progrès atteints par Honeywell en matière de volume quantique, plusieurs analystes estiment qu’il est encore trop tôt pour se lancer dans des comparatifs de performances entre les différents systèmes. D’une part, chaque fabricant utilise ses propres mesures de performances sans que l’on sache encore véritablement comment elles seront corrélées aux performances des applications finales. D’autre part, il existe différentes approches architecturales pour développer des systèmes quantiques et il est probable que l’une soit plus adaptée que les autres pour une utilisation, voire une application, en particulier.
Bob SorensenAnalyste, Hyperion Research LLC
« Les acteurs impliqués dans la construction d’un ordinateur quantique ne parviennent pas à s’entendre sur un critère de référence, tout simplement parce que nous en sommes toujours aux balbutiements de cette technologie », estime ainsi Bob Sorensen, analyste expert en informatique quantique, chez Hyperion Research LLC. « Personne ne s’accorde sur ce qui est vraiment important et ce qui ne l’est pas. Et il faut s’attendre à voir les acteurs monter au créneau dès que l’un d’eux aura publié un benchmark censé démontrer que la solution des autres est moins puissante que la sienne. »
La mesure du volume quantique elle-même a été arbitrairement définie par IBM. Ses concurrents l’ont adoptée parce qu’elle donne sur le papier une idée de la vitesse brute d’un système. Cependant, IBM comme son concurrent Rigetti estime un volume quantique sur la base d’une approche supraconductrice dans leur méthode de conception, alors qu’Honeywell, comme son concurrent IonQ, a adopté une approche différente à base d’ions piégés. Rien ne dit qu’un volume quantique de 64 chez Honeywell serait équivalent à un volume quantique de 64 chez IBM.
Le service en ligne Azure Quantum de Microsoft offre aux développeurs la possibilité d’évaluer leurs algorithmes sur différents systèmes quantiques, ce qui devrait permettre de pouvoir établir des comparaisons. En particulier, les services en ligne de Microsoft sont censés prendre en considération les différentes architectures, en mesurant la fidélité des informations et leur degré de connexion, lesquels déterminent la manière dont le matériel utilise les technologies quantiques comme la superposition, la décohérence.
L’utilité de l’ordinateur quantique attend toujours d’être prouvée
Le risque de semer la confusion parmi les acheteurs potentiels est réel.
James SandersAnalyste, 451 Research
D’autant qu’aucune entreprise ne s’intéresse véritablement à l’étalonnage de qubits : leur retour sur investissement dépendra de la vitesse d’exécution des applications finales.
« En pratique, personne ne se soucie d’obtenir la si plébiscitée, suprématie quantique. La demande est juste d’accélérer par 50 les applications existantes au meilleur prix », lance Bob Sorensen.
« Pour séduire les utilisateurs, il faudra aller au-delà d’un volume quantique avec un gros nombre. Il faudra démontrer une utilité pratique. Et c’est uniquement quand l’ordinateur quantique aura une véritable utilité pratique que les développeurs s’y intéresseront », conclut James Sanders, analyste chez 451 Research.
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