Semiconducteurs : Intel se dégraisse et se recentre sur l’IA d’appoint

Le nouveau PDG Lip-Bu Tan a annoncé de nouveaux licenciements et l’arrêt de plusieurs activités périphériques. Actant les pertes de parts de marché dans les datacenters, il souhaite focaliser Intel sur les accélérateurs d’IA pour PC.

On a vu mieux pour redynamiser les troupes. Selon le journal local The Oregonian, Lip-Bu Tan, le PDG d’Intel (en photo en haut de cet article), a profité d’une visite sur le campus dédié à la R&D du fondeur à Hillsboro, dans l’Oregon, pour déclarer à ses salariés qu’Intel « était le leader de son marché il y a 20 ou 30 ans (...) mais n’est désormais même plus dans le top 10 des entreprises de semiconducteurs ». Il a enchaîné en proclamant officiellement l’abandon des projets de GPU haut de gamme Gaudi pour l’entraînement de l’IA – « Sur l’entraînement, c’est trop tard pour nous (...) l’avance que Nvidia a prise est trop forte ». Puis il a fait tomber le couperet des licenciements.

Ce seront finalement de 2400 personnes, soit 12% du personnel local, qui devront quitter le fondeur d’ici à la fin du mois de juillet. C’est environ cinq fois plus que ce qui était redouté. 1600 autres personnes doivent également être licenciées d’ici à la fin du mois ailleurs aux USA : au siège de Santa Clara, en Californie, dans les usines de Chandler, en Arizona, et sur les sites commerciaux au Texas.

À l’international, l’usine de Kiryat Gat, en Israël, va également fermer ses portes, malgré une subvention de 3,25 milliards de dollars reçue de la part du gouvernement israélien pour moderniser le site.

Et ce ne serait qu’un début. The Oregonian aurait eu accès à une note interne envoyée par Naga Chandrasekaran, le patron des usines, selon laquelle 15 à 20% des techniciens œuvrant sur les chaînes de production seraient bientôt licenciés. Lip-Bu Tan a aussi annoncé qu’Intel allait stopper la fabrication de processeurs pour les voitures ; 50 millions de véhicules en étaient jusque-là équipés. Enfin, les services marketing devraient également subir des coupes sévères étant donné qu’Intel vient de déléguer leurs tâches au cabinet Accenture.

Évidemment, on est toujours sans nouvelle des projets de construction d’usines ultramodernes en Allemagne et en Pologne que le précédent PDG technophile Pat Gelsinger avait ajournés en 2024, suite à des résultats catastrophiques. Il avait promis de faire le point à leur sujet en 2025, mais a entretemps été mis à la retraite par le conseil d’administration du fondeur. Qui a donc nommé à sa place, en mars, le financier cost-killer Lip-Bu Tan.

Selon Lip-Bu Tan, dégraisser les activités et le personnel devrait permettre à Intel de gagner en réactivité. Pat Gelsinger estimait au contraire qu’il fallait muscler le fondeur pour qu’il parvienne à reprendre des parts de marché.

Constat d’échec

Dans les faits, la valeur boursière d’Intel n’est aujourd’hui plus que d’environ 100 milliards de dollars, soit la moitié de ce qu’il valait fin 2023. Comparativement, Nvidia a atteint ces derniers jours une capitalisation boursière d’environ 4000 milliards de dollars, soit un record absolu parmi toutes les entreprises de la Tech aux USA.

Pat Gelsinger avait essentiellement porté deux projets : la modernisation tous azimuts des moyens industriels, pour détrôner le numéro un TSMC, et la mise au point des GPU Gaudi, pour renverser le leadership de Nvidia dans le domaine de l’accélération des calculs.

Concernant les nouvelles usines voulues par Pat Gelsinger, elles ont mis trop de temps à sortir de terre au goût des actionnaires. Seule la Fab52 avec sa capacité à graver des semiconducteurs avec une finesse de moins de 2 nanomètres (Intel parle de 18 angströms, ou 18A) a eu le temps d’arriver à terme. Et sa production, qui a démarré cet été, sera observée à la loupe pour voir si elle permet véritablement de produire des puces aussi denses et économes en énergie que celles qui sortent des usines de TSMC.

Faire fabriquer leurs processeurs et leurs GPU par TSMC est ce qui a permis à AMD et Nvidia de prendre des parts de marché à Intel, notamment dans les datacenters, car leurs puces sont ainsi devenues plus rentables pour les clients.

Au sujet des GPU, Pat Gelsinger avait lancé en fanfare le Gaudi3 en avril 2024. Sur le papier, il devait être 50% plus performant et « significativement moins cher » que le H100, le GPU que Nvidia vendait alors le plus aux datacenters gourmands en IA. Hélas, la puce s’est avérée surtout compétente pour l’inférence de modèles d’IA, un domaine pour lequel des accélérateurs moins chers existent. Le Gaudi3 n’a en revanche pas été capable de rivaliser sur l’entraînement de ces modèles, alors que cette activité fédère l’essentiel des investissements en GPU.

Six mois plus tard, Intel n’a pu qu’acter l’échec commercial de Gaudi3, qui n’a pas réussi à atteindre l’objectif de 500 millions de dollars de revenus fixé pour le premier semestre de sa carrière. Son successeur, le Gaudi4, aurait dû être commercialisé cette année. Contre toute attente, Intel a préféré s’abstenir de le mettre sur le marché, manifestement après avoir constaté son faible niveau de performances.

Recentrer Intel sur l’IA d’appoint

Le plan de Lip-Bu Tan consiste à présent à recentrer les efforts d’accélération de l’IA uniquement sur les machines d’appoint : PC et petits serveurs autonomes. Essentiellement parce qu’Intel parvient encore à vendre plus de processeurs qu’AMD sur ces marchés éloignés des datacenters.

Intel est plutôt en retard dans le domaine de l’IA d’appoint par rapport à ses concurrents. Il est notamment le seul à n’avoir pas encore proposé de mémoire unifiée entre les circuits d’accélération. Il s’agit d’un dispositif qui permet à Apple et AMD de consommer environ deux fois moins de mémoire et, donc, d’exécuter des LLMs plus intelligents, avec deux fois plus de paramètres, sur les machines personnelles de série.

Pour résoudre ce problème précis, Lip-Bu Tan a récemment annoncé l’embauche du québécois Jean-Didier Allegrucci. Nouveau directeur technologique responsable de la conception de SoC pour l’IA, Jean-Didier Allegrucci est justement l’ingénieur qui avait mis au point le principe de mémoire unifiée chez Apple et qu’AMD a copié.

Lip-Bu Tan veut accessoirement croire aux possibilités de l’IA agentique, qui relève essentiellement de problématiques réseau entre des machines clientes. Pour développer des circuits d’accélérations d’IA agentique qui pourraient prendre place dans des switches Ethernet, Intel vient simultanément d’embaucher l’ingénieur Shailendra Desai qui travaillait déjà sur ce sujet chez Google.

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