Quantique : Eviden met en production le Spark d’IQM

La machine déployée sur le site d’Angers permet aux clients du simulateur Qaptiva d’Eviden de tester leurs algorithmes quantiques en conditions réelles. Ses capacités sont pour l’heure très limitées.

Eviden a désormais plus qu’un simulateur quantique à son catalogue. Les clients du fournisseur français d’infrastructures de supercalcul peuvent désormais tester leurs algorithmes sur un véritable ordinateur quantique, le Spark du Finlandais IQM. La machine vient d’entrer en fonction sur le site d’Angers, après y avoir été déployée en octobre.

« À l’heure actuelle, l’émulateur Qaptiva, qui simule jusqu’à 41 qubits, offre plus de possibilités que notre Spark qui n’offre que 5 qubits. Mais il est important pour nos clients de pouvoir tester leurs algorithmes sur une vraie machine quantique », explique Cédric Bourrasset, qui dirige la branche informatique quantique et supercalcul chez Eviden, lors de la visite du site à laquelle LeMagIT a été convié.

L’intérêt (théorique) d’un ordinateur quantique est qu’il soit capable de sélectionner directement la solution qui se combine le mieux à un problème, alors qu’un ordinateur classique est obligé de tester toutes les possibilités avant de trouver la bonne.

Avec une puissance de seulement 5 qubits, le Spark installé chez Eviden ne sert guère plus qu’à trouver le parcours le plus rapide parmi trois chemins qui ont ou non une bifurcation et une vitesse de transfert. Il ne lui faut qu’une instruction pour déterminer par où passer pour aller plus vite. Mais elle met une seconde à s’exécuter, le temps d’envoyer un signal radar à travers la cuve cryogénique de l’engin et de récupérer l’écho du résultat réfléchi par la puce quantique.

Un ordinateur classique doit passer par plusieurs instructions pour arriver au même résultat. Cependant, lui, il peut en exécuter près d’un milliard par seconde, en code x86 natif. En émulation, en revanche, il faut énormément d’instructions x86 pour simuler le fonctionnement des qubits, de sorte que l’exécution de l’algorithme quantique sur émulateur se rapproche de la lenteur d’exécution sur l’ordinateur quantique.

Quantique contre classique : une question d’énergie et de complexité

Selon Mikko Välimäki, le PDG d’IQM (en photo en haut de cet article), il deviendra plus intéressant d’utiliser une puce quantique qu’un émulateur à partir de 100 qubits. Mais pas pour une question de vitesse, pour une question d’énergie.

« Notre ordinateur quantique est en fait un processeur quantique de 1 cm de côté plongé dans une cuve d’hélium qui le maintient à une température de 10 millikelvins, proche du zéro absolu. C’est un système similaire à celui d’IBM. La puce en elle-même consomme 0,5 kilowattheure pour 5 qubits. Le système complet, avec la cuve de refroidissement, consomme 10 kWh quand il calcule, et 5 kWh quand il ne calcule pas », dit-il, en admettant que (en l’état) cette consommation est supérieure à celle du serveur x86 nécessaire pour simuler un processeur quantique de puissance similaire.

« En revanche, la consommation de notre machine quantique cryogénique n’est pas exponentielle. Nous savons déjà qu’une version de notre puce à 150 qubits ne consommera que 5 kWh. Et le système complet, seulement 30 kWh, lors des pics d’activité. Ce sera a priori bien inférieur à la puissance que nécessiteraient des serveurs traditionnels pour émuler 150 qubits. Selon nos calculs, un système avec une puce à 5 000 qubits ne devrait même pas atteindre 100 kWh. Peut-être que nous parviendrons à ne lui faire consommer que 50 kWh », argumente le PDG d’IQM.

Et de préciser : « Nous sommes déjà en mesure de construire des puces à 54 qubits et notre objectif est d’atteindre 150 qubits d’ici à la fin de cette année. »

Cyril Allouche, le directeur de la R&D quantique chez Eviden, prévient toutefois qu’il ne faudra pas s’attendre de sitôt à la suprématie quantique. C’est-à-dire le moment où un algorithme produira des résultats plus rapidement sur un ordinateur quantique qu’un serveur classique quand il exécute du code x86 natif. Et, là encore, ce n’est pas une question de performances, mais plutôt de logique :

« Tant que nous n’avons pas découvert le principe mathématique qui nous permettra de contourner ce problème, l’ordinateur quantique est condamné à ne faire que des choses très simples. »
Cyril AlloucheDirecteur de la R&D quantique, Eviden

« Le problème actuel de l’informatique quantique est qu’il faut redémarrer la machine de zéro après chaque instruction. Or, il est très difficile de faire des choses complexes avec une seule instruction. Augmenter le nombre de qubits par instruction a ses limites. En l’état actuel de nos connaissances, nous ne savons pas comment nous y prendre pour repousser encore plus loin la complexité d’un algorithme au-delà de 100 qubits », dit Cyril Allouche.

« En clair, tant que nous n’avons pas découvert le principe mathématique qui nous permettra de contourner ce problème, l’ordinateur quantique est condamné à ne faire que des choses très simples. Un ordinateur classique, lui, peut enchaîner les instructions à l’infini et il est donc en mesure d’exécuter des algorithmes de n’importe quelle complexité », ajoute-t-il.

Toute une machinerie pour refroidir une petite puce

Dans le détail, la partie principale de l’ordinateur Spark est composée d’une cuve frigorifique blanche, suspendue, contenant un ensemble de pompes, compresseurs, vannes de recirculation. Elles mettent en mouvement un mélange d’hélium 3 et d’hélium 4 pour atteindre une température qui frôle le zéro absolu au niveau de la petite cavité, en bas de la cuve, qui contient la puce quantique.

Elle est reliée par le haut à deux unités noires qui contiennent toute l’électronique chargée d’envoyer l’instruction à exécuter sous la forme d’un signal radar. En l’occurrence, il y a une électronique qui envoie une impulsion de 5 à 20 nanosecondes par qubit. Une horloge atomique sert à synchroniser toutes les impulsions pour qu’elles atteignent la puce quantique exactement au même moment. Ces impulsions sont véhiculées par des fibres capables de transmettre des micro-ondes.

Le résultat renvoyé en écho correspond à une onde. La valeur est lue par l’électronique des deux boîtiers noirs en comparant le déphasage entre l’onde envoyée et celle reçue.

« Le fonctionnement de l’ordinateur quantique est parasité par du bruit. C’est-à-dire qu’il faut renouveler plusieurs fois l’expérience pour être certain du résultat de l’instruction envoyée. Ce bruit est provoqué en définitive par tous les éléments à l’intérieur de la cuve, qui sont disposés en oignons pour faire descendre la température par couches successives », détaille Jean-Luc Orgiazzi, ingénieur principal d’IQM.

« La bonne nouvelle est que ce bruit est provoqué par des composants finalement assez traditionnels dans la microélectronique, qui sont assez gros. Il nous suffira de descendre leur taille à l’échelle de quelques dizaines de microns pour réduire le bruit », conclut-il.

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