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Datacenters : la filière interpelle les candidats à la présidentielle sur ses enjeux

Mettant en avant des opportunités de territorialité et d’emploi, les chaînes de datacenters réclament des formations à leurs métiers, des démarches administratives allégées et une reconnaissance de leurs efforts en matière d’écologie.

D’ici au 9 mars, la filière des datacenters en France entend interpeller les candidats à la prochaine présidence de la République sur sept points qu’elle juge essentiels pour l’avenir de son activité. Selon elle, l’implantation de datacenters en France, voulue par Bruno Le Maire, porte les enjeux de territorialité des données, de création d’emplois et, dans une certaine mesure, de développement durable pour l’Europe, puisque l’énergie est décarbonée en France.  

L’environnement et l’emploi sont d’ailleurs les deux premiers points dont souhaite débattre la filière. Elle réclame une législation environnementale bienveillante à son égard (qui reconnaîtrait son rôle vertueux dans l’écologie) et des plans de formation pour pourvoir les nombreux postes qu’elle a à offrir.

Deux autres points appellent à un allègement de procédures administratives. La filière aimerait dépendre d’une autorité interministérielle unique et que les autorisations de construction de nouveaux bâtiments lui soient délivrées plus rapidement.

Sont également listés deux points qui suggèrent en filigrane des soutiens financiers. La filière propose que les régions incluent la construction de datacenters sur leur territoire dès la rédaction de leurs programmes d’urbanisation, ce qui permettrait de présenter ces projets comme des « investissements stratégiques », c’est-à-dire susceptibles de bénéficier d’aides de l’État. Elle appelle aussi à la création d’un plan de soutien pour les entreprises qui veulent héberger leurs données sur le sol français, ce qui reviendrait a priori à faire payer à l’État une partie des loyers des datacenters.

Enfin, la filière propose d’accroître l’expertise publique en matière de numérique et plus précisément en ce qui concerne les datacenters. Une conférence annuelle voire une publication institutionnelle, coordonnée par le ministère de l’Économie et des Finances, serait bienvenue pour que « les décideurs publics puissent cerner au mieux les enjeux territoriaux et nationaux des infrastructures numériques », inscrit la filière dans un communiqué.

Ces sept points ont été détaillés lors d’un point presse présenté par Géraldine Camara, la Déléguée générale de l’association France Datacenter, qui se veut porte-voix de la filière. Géraldine Camara était entourée d’Olivier Michelli, PDG de la chaîne française de datacenters en colocation Data4, de Régis Castagné, DG en France de la chaîne américaine Equinix, et de Fabrice Coquio, DG en France de la chaîne hollandaise Interxion.

Outre les trois acteurs présents lors du point presse, elle compte parmi ses membres d’autres propriétaires de bâtiments en colocation (DC2Scale, Euclyde…), d’importants propriétaires de datacenters privés (Orange, OVHcloud, Atos, EDF, BNP Paribas…), mais aussi des industriels du bâtiment et de l’énergie (Bouygues Construction, Eiffage, Dalkia, Schneider Electric, Siemens…).

Environnement : moderniser plus pour consommer moins

« Les chiffres des membres de l’association sont connus, mais quantité de petits datacenters privés dans les entreprises subsistent et ne sont pas portés à notre connaissance. »
Fabrice CoquioDG en France de la chaîne hollandaise Interxion

Les acteurs présents n’ont pas su chiffrer la consommation d’énergie des datacenters sur le territoire français. Olivier Micheli estime que, comme la moyenne mondiale évaluée par le cabinet IDC, elle représente a priori 1 % de la consommation nationale, soit 4 térawattheures. « Le problème est que pour chiffrer exactement cette consommation, encore faudrait-il être en mesure de lister tous les datacenters du pays. Les chiffres des membres de l’association sont connus, mais quantité de petits datacenters privés dans les entreprises subsistent et ne sont pas portés à notre connaissance », vient à son secours Fabrice Coquio.

Le propos de la filière est surtout que le prochain président s’engage à ne pas taxer les datacenters français de pollueurs.

« Pour le dire simplement, nous voulons que le prochain quinquennat soit celui du développement des datacenters écologiques en France », dit OIivier Micheli. « La filière est porteuse d’innovations vertueuses en matière de refroidissement, d’architectures et d’énergies renouvelables. Notre objectif est d’investir toujours plus dans de nouvelles technologies environnementales, car plus un datacenter est moderne, moins il produit de la chaleur. C’est à ce titre que nous souhaitons rappeler aux politiques que les datacenters sont un véritable levier de la transition écologique. »   

En échange de leur bienveillance à l’égard des datacenters, les candidats peuvent-ils demander aux fournisseurs qu’ils participent à la création d’énergie, par exemple en récupérant la chaleur dégagée par les serveurs qu’ils hébergent ?

Fabrice Coquio, dont l’un des datacenters à Marseille doit justement alimenter en eau chaude un quartier entier à proximité, rejette pourtant cette possibilité : « D’une manière générale, la France a pour habitude de produire de l’eau chaude par géothermie. Cela signifie que les investissements requis pour relier la chaleur d’un datacenter à l’endroit qu’il faut chauffer, le plus souvent à plusieurs kilomètres de distance, peuvent être prohibitifs. »

Emploi : des dizaines de milliers de postes à pourvoir sur les cinq prochaines années

Les représentants des chaînes de datacenters en colocation ont fait preuve de beaucoup plus d’attentes sur le sujet de l’emploi.

« Les datacenters tournent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et la filière est face à une réelle difficulté de trouver des ressources humaines. »
Régis CastagnéDG en France de la chaîne américaine Equinix

« Les datacenters tournent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et la filière est face à une réelle difficulté de trouver des ressources humaines », lance Régis Castagné. « Jusqu’à présent, nous formions nous-mêmes nos recrues, mais avec des niveaux de croissance à deux chiffres, cela ne suffit plus. Sur les cinq prochaines années, il y aura des dizaines de milliers de postes à pourvoir ! Et pas uniquement des informaticiens pour gérer les serveurs : nous avons aussi besoin d’ingénieurs en méthode, en construction, en refroidissement… C’est pourquoi nous demandons la création de formations d’ingénieurs pour les datacenters », martèle-t-il.

En Fabrice Coquio d’enchaîner tout aussi vivement : « avant nous avions des astreintes pour fonctionner en 3 x 8. Désormais ce sont des permanences. C’est-à-dire que nous multiplions les postes par six ! »

« En France, nous avons beaucoup de programmeurs, nous nous réjouissons d’avoir 25 licornes, mais il nous manque des techniciens en infrastructure ! C’est d’autant plus paradoxal que ces techniciens sont mieux payés que les développeurs. Et pour un emploi de technicien en supervision dans un datacenter, nous créons aussi quatre emplois indirects parmi les personnels en charge de la construction, de la sécurité, de la propreté… »

La filière estime représenter aujourd’hui 40 000 emplois et pense que ce chiffre va désormais doubler tous les deux ans.

Allègement des procédures administratives : l’enfer d’obtenir 17 signatures pour un câble

« La France est en compétition avec les autres pays européens pour implanter des datacenters sur le territoire. Mais, paradoxalement, les processus administratifs pour y parvenir ne sont pas très lisibles. Nous demandons plus de rationalité, par exemple un guichet unique qui traite toutes nos demandes d’autorisations », expose Régis Castagné.

Et Fabrice Coquio d’illustrer : « rendez-vous compte que pour faire atterrir un câble sous-marin à Marseille, il nous a fallu obtenir dix-sept signatures ! Il y a des enjeux fiscaux que nous devons voir avec Bercy, des enjeux géographiques que nous devons voir avec l’Aménagement du territoire… C’est pourquoi nous appelons de nos vœux la création d’un secrétariat général aux infrastructures numériques qui assure la transversalité entre les ministères. Sous François Hollande, le gouvernement l’avait fait pour la mer avec le Comité Interministériel de la Mer (CIMer), c’est donc possible. »

Fabrice Coquio avance que « l’écosystème s’enrichit de la présence d’un datacenter », car son chantier amènerait aux villes et aux entreprises alentour une fourniture en électricité, des réseaux télécoms et des réseaux de chaleur plus robustes, plus modernes, plus rationnels. Il laisse entendre qu’Interxion débourse un million d’euros pour chaque kilomètre de câble Enedis qu’il fait venir dans une zone géographique et que cette infrastructure, même si elle est construite pour servir un datacenter, profiterait au territoire. D’où l’idée d’impliquer plus en amont les régions.

Un manque de soutien par méconnaissance des enjeux

« Il faut entrer dans une notion de programmation urbaine, comme le font les Pays-Bas, les USA, l’Espagne qui sanctuarisent des espaces pour bâtir des datacenters », lance le DG d’Interxion France. Reste à savoir si les zones géographiques qui intéressent les datacenters – Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux… – ont réellement besoin de muscler plus encore leurs réseaux d’énergie et de télécommunication.

À cette question, Fabrice Coquio indique que, concernant l’Espagne, c’est bien la région de Madrid qui a décidé de prévoir des zones pour datacenters dans son plan d’urbanisme. Et que, concernant les grandes agglomérations françaises, quantité de friches industrielles qui pèsent sur les régions pourraient être plus utilement exploitées par des datacenters.

La filière en est persuadée : le manque de soutien et d’investissement de la part des pouvoirs publics ne serait dû qu’à une regrettable méconnaissance de ses enjeux. Elle souhaite être jugée sur pièces plutôt que sur des on-dit.

« Songez que jusqu’à il y a une semaine, la Commission environnementale de l’Île-de-France, qui décide de notre sort, n’avait jamais mis un pied dans un datacenter. Il faut apporter de pédagogie, de la prospective. Même inviter les territoires à se coordonner sur ces sujets », conclut Fabrice Coquio.

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