Cloud public : Google inaugure la région française de GCP

Les trois datacenters parisiens serviront surtout à améliorer la réactivité des applications et à soutenir les projets avec une équipe locale. Thalès s’occupera des traitements souverains via sa nouvelle filiale Sens.

GCP ouvre enfin une région française. Dernier des hyperscalers à s’installer dans l’hexagone, le cloud public de Google prône un rapprochement géographique pour mieux aider ses clients à transformer leurs activités, comme l’avaient déjà fait avant lui ses concurrents AWS, Azure et OCI.

À la différence d’eux, il met l’accent sur des services qui favoriseraient l’écoresponsabilité et, d’une certaine manière, sur un pont vers plus de souveraineté. Son partenaire local Thalès, via une nouvelle filiale baptisée Sens, proposera à terme de traiter les données sensibles avec les mêmes services.

Tous les services habituels sont disponibles sur GCP France, avec des tarifs un peu moins chers que ceux de GCP Allemagne et GCP Grande-Bretagne, mais un peu plus élevés que ceux de GCP Belgique. Bien entendu, la latence pour travailler avec des applications hébergées dans trois datacenters autour de Paris sera subtilement meilleure que lorsqu’il faut traverser le Rhin, la Manche ou les Ardennes. LeMagIT a réussi à obtenir des chiffres : depuis la région parisienne, la latence serait de 1 à 2 millisecondes vers GCP France, d’environ 5 millisecondes vers GCP Belgique et de 10 à 14 millisecondes vers GCP Allemagne ou Grande-Bretagne.

« Les scénarios d’usage sont que vous venez sur GCP pour des services de données sans comparaison avec tout ce qui existe chez nos concurrents. Et vous choisissez la région France pour ses performances, comme pour la présence à vos côtés d’équipes locales qui vous aident à innover, à déployer vos applications en cloud, à étendre vos activités à l’internationale », a argumenté Anthony Cirot, le DG de Google France, lors du lancement de GCP France depuis la scène de la Maison de la Mutualité à Paris.

Devant 1 500 clients et partenaires de Google invités pour l’occasion, Anthony Cirot a prédit que GCP France contribuerait d’ici à 2027 à la création indirecte de 13 à 14 000 emplois et à une augmentation du PIB français d’au moins 2,4 milliards d’euros.

Renault très enthousiaste

Parmi les premiers clients de GCP France, le constructeur automobile Renault a montré son enthousiasme à participer à l’aventure en parquant tout autour de la Maison de la Mutualité de nombreux exemplaires de son tout dernier modèle de voiture électrique, la Megane E-Tech. Ses véhicules étaient pour l’occasion coiffés d’un logo GCP géant.

 « La transformation de la voiture, c’est deux choses : son passage au moteur électrique, mais aussi toute la digitalisation de l’habitacle pour la rendre plus sûre et plus confortable. C’est sur cette digitalisation que nous travaillons avec les équipes de Google France », est intervenu Frédéric Vincent, le DSI de Renault.

« Travailler avec une équipe locale nous a permis de personnaliser le système, pour que la cartographie prenne en compte l’autonomie de nos voitures dans ses calculs d’itinéraires. »
Frédéric VincentDSI, Renault

« Nous avons choisi les technologies de Google, d’abord, parce que personne d’autre ne propose une cartographie aussi pointue que Google Maps. Et le fait de pouvoir travailler avec une équipe locale nous a permis de personnaliser le système, pour que la cartographie prenne en compte l’autonomie de nos voitures dans ses calculs d’itinéraires. Mais ce n’est pas tout : Google nous permet de commander toutes les fonctions de la voiture à la voix. Il nous apporte aussi un Google Store qui va permettre à des intervenants tiers d’enrichir les fonctions de nos véhicules », ajoute-t-il.

« C’est pour accéder à tous ces moteurs logiciels que nous mettons nos données et nos applications dans GCP. Quant aux fonctions qui améliorent la sécurité du véhicule, il est primordial qu’elles bénéficient d’une haute connectivité et c’est précisément ce que nous apporte une implémentation en France de GCP. »

Précisons que, dans les prochaines semaines, GCP va aussi ouvrir des régions à Madrid, Milan, ou encore Tel-Aviv.

GCP pour plus de fonctions liées au développement durable

Au sein des géants d’Internet, Google est sans doute celui qui a fait le plus de publicité autour de ses engagements écoresponsables. Si le fournisseur n’a pas manqué de rappeler lors de son lancement que certains des datacenters de GCP utilisent jusqu’à 90 % d’énergie renouvelable, cela ne concerne pas la région France : les trois data centers que GCP occupe autour de Paris sont en réalité des salles qu’il loue dans des bâtiments en co-location et dont les infrastructures énergétiques ne sont pas de son fait. Il s’agit sans doute des bâtiments d’Interxion, d’Equinix ou de Data4, mais Google France refuse de le préciser.

En guise de consolation, le fournisseur laisse entendre qu’un design particulier au niveau des serveurs qu’il fabrique lui-même permettrait à GCP d’atteindre une meilleure efficacité énergétique que des baies de serveurs ordinaires.

En revanche, GCP disposerait de plus d’outils que ses concurrents pour traiter les métriques concernant l’empreinte carbone. Des solutions suffisamment riches pour avoir suscité la création de la startup française namR, qui se spécialise dans le bilan carbone.

« Nous captons des données de territoires, de bâtiments et d’environnements pour prédire des indices de développement durable destinés aux grands groupes, afin de mesurer l’impact de leurs projets. Mais pour y parvenir, nous devons à la base récupérer ces données. Or, il n’y a que dans GCP que nous y parvenons », assure Chloé Clair, la DG de namR. « Il est intéressant de noter que les outils de GCP nous permettent d’ailleurs de mesurer notre propre impact : sur un an, notre solution maintenue dans GCP par les 50 personnes de notre startup a le même bilan carbone qu’un seul citoyen. »

« Nous devons déployer une capacité technologique d’analyse avec les mêmes procédés de pilotage que ceux de notre production. Donc, nous avons besoin d’un partenaire local. »
Ariane ThomasDirectrice solutions de développement durable, L'Oréal

Même enthousiasme de la part d’Ariane Thomas, la directrice des solutions de développement durable chez L’Oréal. « Nous travaillons depuis dix ans sur notre écoresponsabilité directe, c’est-à-dire sur la production en équivalent CO2 de nos usines et de notre logistique. Ça, c’était facile à mesurer. Nous voulons à présent nous engager sur nos impacts indirects, c’est-à-dire ceux de nos fournisseurs et de nos distributeurs. C’est beaucoup plus pointu, car pour être suffisamment précis, nous avons besoin de données difficiles à récupérer et de calculs sur ces données. »

« Pour y parvenir, il nous a fallu considérer que les fournisseurs de technologies étaient désormais aussi importants pour nous que les fournisseurs d’ingrédients ou de packaging. C’est-à-dire que nous devons déployer une capacité technologique d’analyse avec les mêmes procédés de pilotage que ceux de notre production. Donc, nous avons besoin d’un partenaire local », dit-elle, en expliquant que l’implémentation de GCP en France tombe à point.  

La souveraineté via Sens, le clone de GCP chez Thalès

Dernier point, celui de la souveraineté. Comme les autres hyperscalers américains, GCP est soumis au CLOUD Act, une loi qui donne le droit aux cours de justice outre-Atlantique de regarder dans les disques durs les secrets industriels ou commerciaux des entreprises européennes. Et le fait que GCP jouisse désormais d’une implémentation française n’y change rien : « à présent, nous allons pouvoir localiser les données de nos clients français en France. Mais, en effet, cela ne répond pas à une réglementation française en particulier, c’est surtout psychologique », reconnaît Anthony Cirot.

En revanche, à l’instar de Microsoft qui va déléguer ses technologies à Orange pour proposer Bleu, un clone souverain de son cloud, GCP va lui aussi être décliné en une offre dite « de confiance » sous la tutelle, cette fois-ci, de Thalès. Le nom de cette activité a d’ailleurs été dévoilé lors de ce lancement : la filiale de Thalès en charge du cloud souverain qui reprend les technologies de GCP s’appellera Sens.

Sens disposera lui aussi de trois data centers – c’est le modèle de fonctionnement de GCP – mais on n’en sait pas plus sur les bâtiments en colocation dans lesquels ils se trouveront. Son activité devrait démarrer au second semestre 2023 (si l’ANSSI attribue entretemps à ses trois datacenters le label SecNumCloud, ce qui prend toujours du temps).

Selon les explications obtenues par LeMagIT, la stratégie serait d’inciter les entreprises à aller en priorité sur GCP et de basculer le traitement des données sensibles sur Sens, dont les tarifs seront beaucoup plus élevés. Le passage d’un cloud à l’autre ne nécessiterait en revanche aucune réécriture de code, car les services seront a priori exactement les mêmes.

Souveraineté intermédiaire : un cloud américain, mais des clés françaises

Pour se différencier de ses concurrents, GCP a tout de même pensé à une offre intermédiaire. Les données sur GCP pourront être chiffrées avec des clés que ne possède pas GCP, mais qui seront gérées par Sens. Puisque Thalès n’est pas soumis au CLOUD Act, il ne les livrera pas aux autorités américaines.

« Nous utilisons des moyens scientifiques qui ne sont pas encore brevetés, donc nous avons besoin d’un partenaire de confiance. GCP répond à ces critères. »
Virginie DominguezDirectrice pôle digital, data & IT, Servier

Ainsi, une entreprise, qui n’est pas nécessairement soumise à une réglementation l’obligeant à utiliser un cloud souverain, pourrait stocker au meilleur tarif ses données sensibles chez GCP France sans pour autant craindre un espionnage économique.

L’argument semble avoir séduit les laboratoires Servier. « Nous sommes le second plus important laboratoire pharmaceutique en France. Nous sommes en pleine transformation avec un fort enjeu sur l’IA », explique Virginie Dominguez, directrice du pôle Digital, Data & IT chez Servier.

« Notre problématique est que nous mettons à l’heure actuelle dix ans pour développer un médicament et que 90 % de nos développements n’aboutissent pas. Nous avons évalué que les algorithmes sophistiqués d’IA des hyperscalers nous permettraient de réduire ces délais et ces échecs, de basculer en mode chercheur augmenté, en quelque sorte. Mais nous utilisons des moyens scientifiques qui ne sont pas encore brevetés, donc nous avons besoin d’un partenaire de confiance. GCP répond à ces critères. »

Elle ajoute que GCP pourrait aussi lui permettre de développer une nouvelle activité de diagnostic précoce, avec des objets connectés, voire d’utiliser l’IA pour optimiser sa logistique, afin d’éviter les ruptures de stock, un drame dans le domaine des médications récurrentes. En coulisse, LeMagIT apprendra que les équipes de Google France sont à la manœuvre depuis plusieurs semaines pour convaincre les grandes entreprises françaises des bénéfices que pourrait leur apporter GCP.

« Cela ne concerne pas Workspace, Gmail, Google Drive, etc. Ces services SaaS sont gérés sur un modèle d’infrastructure spécifique [...], et donc ne seront pas hébergés localement sur des surfaces en colocation. »
Franck ZerbibDirecteur France Customer Engineer, Google Cloud

Plus surprenant, Malek Hamitouche Drevon, responsable informatique chez Diabeloop, une entreprise grenobloise qui développe un dispositif médical pour les patients diabétiques, confie au MagIT : « Certaines certifications ISO que nous cherchons à obtenir sont compatibles avec l'hébergement des données de patients en cloud, à la seule condition qu’elles soient localisées sur le territoire français. Dans cette perspective, les clouds publics américains installés en France représenteraient pour nous une opportunité. Nous pourrions préférer GCP à AWS, par exemple, car nous sommes déjà clients de Google Workspace. »

À ce propos, on notera que l’annonce d’une région française pour le cloud de Google concerne seulement son cloud public GCP – c’est-à-dire les services IaaS (machines virtuelles, stockage objet, etc.) et PaaS (analytique, etc.) –, et pas son SaaS. « En effet, cela ne concerne pas Workspace, Gmail, Google Drive, etc. Ces services SaaS sont gérés sur un modèle d’infrastructure spécifique, dans des datacenters construits par Google, donc ils ne seront pas hébergés localement sur des surfaces en colocation », justifie Franck Zerbib, l’un des cadres de Google France.

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