Outscale : « notre cloud va au-delà de la souveraineté, il est secret »

Le fournisseur français, qualifié SecNumCloud, veut séduire au-delà de la clientèle de sa maison mère. Il revendique être le seul à ne dépendre d’aucune technologie américaine et le seul à proposer du cloud à la fois public et souverain.

Outscale, le cloud souverain français dont la particularité est d’héberger toutes les applications SaaS de sa maison mère Dassault Systèmes (370 000 clients dans l’industrie, l’architecture, la défense, la santé…), étoffe son catalogue avec l’IA de Mistral et l’accès à un ordinateur quantique d’IQM. Mais à en croire les déclarations du prestataire, il ne s’agit pas seulement de réajuster l’offre pour éviter aux abonnés de Dassault Systèmes d’aller faire de l’IA et du quantique souverains chez le concurrent OVHcloud.

Le prestataire aurait plus que jamais la volonté de capter des clients qui n’ont rien à voir avec ceux de sa maison mère, mais qui désirent tout autant utiliser des services en cloud les plus souverains possibles.

Et c’est bien cette grille de lecture là qu’il faut avoir, pour comprendre les enjeux qui se cachent derrière son partenariat avec l’incubateur PariSanté Campus, annoncé, comme le reste, à l’occasion de l’événement annuel Outscale Expériences qui s’est tenu à Paris la semaine dernière.

Peser en tant qu’acteur souverain de la santé

Outre aider à la sélection et à la formation des startups, le partenariat avec PariSanté Campus consiste à fournir aux jeunes pousses des « crédits cloud », à savoir du temps de calcul et de l’espace de stockage sur OutScale. Pour le prestataire, il s’agit surtout de se rendre indissociable des services de santé de pointe en France, avec l’enjeu de fédérer la majorité des commandes publiques et privées dans le secteur.

« Les applications de santé représentent l’activité numéro 1 de Dassault Systèmes et, de fait, nous sommes officiellement labélisés hébergeurs de données de santé. À partir de cela, nous développons nous-mêmes des initiatives d’ampleur nationale », explique Philippe Miltin, le PDG d’Outscale (en photo en haut de cet article), lors d’une entrevue avec LeMagIT.

« Nous lançons aussi aujourd’hui l’EDS (Entrepôt de Données de Santé) souverain et sécurisé de la fondation FondaMental qui œuvre à faire avancer la recherche, les innovations et les diagnostics en psychiatrie. Nous allons prochainement annoncer des projets similaires dans les domaines de la radiologie, de l’oncologie », ajoute-t-il.

Il argumente qu’Outscale peut se targuer d’être le seul hébergeur à avoir reçu la qualification SecNumCloud 3.2 de la part des autorités françaises, sur des services de cloud public ; comprendre, sans obligation de réserver des machines physiques entières. Or, pourvoir bénéficier de services payables uniquement à l’usage serait clé dans le domaine de la santé, où les acteurs ont rarement les moyens humains d’administrer des infrastructures informatiques, comme c’est le cas avec les clouds privés.

Selon Philippe Miltin, il y avait jusque-là une dichotomie entre le besoin impérieux de souveraineté pour héberger des données sensibles et l’obligation de passer par des clouds privés non adaptés aux besoins métier pour garantir la souveraineté.

« En France, l’affaire du Health Data Hub est symbolique [hébergement de données de santé françaises sur le cloud public américain Azure, autorisé par la France en 2019 puis de nouveau en 2023, faute d’avoir trouvé une solution souveraine aussi pratique, N.D.R.]. Nous n’étions pas prêts à l’époque. Nous le sommes aujourd’hui », veut-il faire savoir.

Le HDH représente un investissement de 20 millions d’euros par an de la part de l’État français. En avril dernier, la ministre Clara Chappaz, déléguée au numérique et à l’IA, a manifesté sa volonté de relancer un appel d’offres pour trouver une solution souveraine. OVHcloud et Cloud Temple, deux autres hébergeurs français de services de cloud estampillés SecNumCloud, sont sur les rangs pour répondre.

Mais pour l’heure, la qualification d’OVHcloud ne concerne que des offres de cloud privé. Quant à celle de Cloud Temple, elle correspond seulement à des fonctions informatiques qu’il faut ensuite assembler (PaaS).

Du cloud souverain au cloud secret

Au-delà du secteur de la santé, Outscale compte séduire le tout-venant des entreprises qui manipulent des données sensibles en se positionnant comme le summum du cloud souverain.

« Notre proposition va au-delà du cloud souverain. Nous sommes les seuls à faire du cloud secret », lâche Philippe Miltin. « Cela signifie que nous détenons la clé du coffre, c’est-à-dire la technologie sur laquelle reposent nos hyperviseurs de machines virtuelles et nos orchestrateurs d’applications en containers », dit-il, en faisant référence à TinaOS, à savoir tout le moteur logiciel sur lequel reposent les offres d’Outscale et que le prestataire a développé dès le départ comme une alternative à OpenStack.

« Nous n’avons aucune dépendance technologique. Si, demain, un président américain décide d’interdire la fourniture à la France de logiciels américains, […] hé bien nous ne serons pas concernés. »
Philippe MiltinPDG d’Outscale

« Cela signifie que nous n’avons aucune dépendance technologique. Si, demain, un président américain décide d’interdire la fourniture à la France de logiciels américains, par exemple VMware qui noyaute tous les clouds privés qui se revendiquent souverains, hé bien nous ne serons pas concernés », argumente-t-il.

Même remarque pour S3NS, le cloud public souverain que commercialise et administre le Français Thalès sur la base des logiciels qui motorisent le cloud public américain GCP de Google. Même si celui-ci repose sur des technologies Open source comme l’hyperviseur KVM et l’orchestrateur Kubernetes, tout le reste de la pile essentiel au fonctionnement global, dont celui de Mistral, dépend de logiciels sous autorité américaine.

Zéro dépendance aux technologies américaines

Outscale revendique ainsi un avantage technique pour mieux servir la souveraineté. D’une part, TinaOS est suffisamment modulaire, comme l’était OpenStack, pour changer n’importe quel élément technique sans que cela impacte la production.

« À l’heure actuelle, TinaOS repose aussi sur KVM et Kubernetes. Mais nous sommes capables de les remplacer par tout à fait autre chose de plus particulier, si des entreprises sensibles françaises, européennes ou même chinoises ou américaines (puisque Dassault Systèmes a des clients que nous hébergeons dans le monde entier) le souhaitent », dit le PDG d’Outscale.

D’autre part, Outscale a su continuer à développer des technologies maison pour étendre TinaOS. Il en va ainsi d’OKS, toute la plateforme de gestion des containers qui permet à Kubernetes d’être fonctionnel au-delà du simple moteur open source.

« Toutes nos technologies sont elles-mêmes open source. C’est-à-dire que vous pouvez par exemple installer OKS dans votre propre datacenter ou sur un autre cloud pour faciliter l’interopérabilité. »
Philippe MiltinPDG d’Outscale

« Je précise que toutes nos technologies sont elles-mêmes open source. C’est-à-dire que vous pouvez par exemple installer OKS dans votre propre datacenter ou sur un autre cloud pour faciliter l’interopérabilité. C’est très différent des autres solutions souveraines qui vous emprisonnent dans leurs technologies, sur leurs propres infrastructures », plaide Philippe Miltin.

Enfin, quitte à trancher avec les standards, Outscale fait la part belle aux équivalents européens des grandes solutions logicielles américaines. Il en va ainsi de Cleyrop, alternative française à Databricks et, donc, de l’IA française Mistral, qu’Outscale estime avoir suffisamment outillée pour proposer autant de fonctions aux entreprises que celles qui sont greffables par-dessus un ChatGPT chez Microsoft Azure, un Claude chez AWS ou un Gemini chez GCP.

Parmi ces fonctions, Outscale héberge Allonia, encore une solution française. Cette plateforme fournit tous les outils pour faire du RAG par-dessus Mistral : une base de données vectorielles pour stocker les données privées à soumettre à une IA, une application Nexus pour gérer ses données, et un chatbot Neo pour soumettre ces données aux LLM de Mistral.

Selon les informations obtenues par LeMagIT, le chiffre d’affaires d’Outscale serait en croissance de 40 % par rapport à l’année dernière. Mais il serait encore majoritairement réalisé grâce aux clients de Dassault Systèmes. Les clients hors Dassault Systèmes viennent en particulier de NumSpot, un autre fournisseur français de cloud souverain dont l’activité consiste principalement à revendre sous sa marque les services d’infrastructure d’Outscale.

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