Lenovo : « En 2023, l’innovation dans les serveurs se fera sur le Edge »
Le fabricant chinois revendique avoir implémenté des usines en Asie, aux USA et en Europe pour concevoir des designs au plus proche des besoins des hyperscalers, des industriels et des sites de production.
Lenovo, premier vendeur de PC dans le monde d’après IDC et, selon lui-même, seul fournisseur de serveurs pour les hyperscalers, rêve d’accrocher la puissance des datacenters sur les murs des boutiques ou des entrepôts. C’est en substance, ce que dit l’interview que José Rodrigues, DG France de l’activité serveurs, a accordée au MagIT, à l’aube d’une nouvelle année probablement charnière pour les fournisseurs d’infrastructure.
Après une année 2022 lors de laquelle les ventes de serveurs avaient progressé de 18 %, pour rattraper le gel de la pandémie depuis mars 2020, IDC prédisait en septembre dernier 6,1 % d’augmentation des ventes sur 2023. Trois mois plus tard, il ne table plus que sur 3,2 % de croissance.
Alors que les baies de rack sur site se vident peu à peu chez certaines entreprises au profit des machines virtuelles en cloud, les fabricants de serveurs se cherchent un relais de croissance. La plupart parient tout de même sur un rebond de leur modèle historique – parce qu’il vaut mieux garder sur site les données pour y accéder plus vite, parce que les serveurs ont éliminé leur vilain défaut de consommer trop d’électricité, parce que le cloud n’est pas assez souverain… Les idées pour se rassurer ne manquent pas. D’autres croient à une carrière de leurs machines au-delà des murs du data center.
Lenovo revendique appartenir à la deuxième catégorie.
LeMagIT : Comment se positionne l’activité datacenter de Lenovo à l’aube de 2023 ?
José Rodrigues : Nous ne parlons plus de data centers, mais d’infrastructure. Lenovo DataCenter Group (DCG) a été rebaptisé Infrastructure Solutions Group (ISG), depuis fin 2021. Parce que notre métier a changé. Nous ne vendons plus des solutions qui vont forcément dans des salles informatiques. Les infrastructures sont aussi aujourd’hui dans le cloud, privé ou public, comme dans les entrepôts, ce que l’on appelle le Edge computing.
Les entreprises se sont transformées vers ce modèle Edge. Elles avaient l’intention de le faire avant le Covid-19, mais la pandémie a accéléré leurs projets dans le sens où il était urgent de reconstruire les applications pour les rendre utilisables à distance. La croissance du marché des serveurs est, disons, raisonnable. Pour autant, grâce à la transformation vers le Edge, nous sommes sur un marché très dynamique.
Notre stratégie est maintenant de concevoir des solutions qui, pour un secteur d’activité particulier, offriront un contrôle maximal de toute l’infrastructure, au sens large. Avec des outils qui gèrent l’activité IT du smartphone, du PC, jusqu’aux applications cœur de métier dans le datacenter, dans le cloud et en Edge. Nous voulons offrir une console panoramique, globale, avec un spectre d’informations inégalé et motorisé par une IA qui sera intégrée à toutes nos machines. C’est du moins ce que préparent nos laboratoires de R&D : aller au-delà de l’IT du datacenter.
LeMagIT : Vous évoquez la migration des datacenters vers le cloud. Ne vous fait-elle pas perdre des ventes ? Les hébergeurs de cloud déclarent qu’ils fabriquent eux-mêmes leurs serveurs, plutôt que les acheter clefs en main à des fournisseurs tels que vous.
José Rodrigues : Pas tous ! Je vous confirme que certains fabriquent leurs serveurs, mais d’autres, parmi les plus connus, achètent des serveurs déjà construits. Et, dans ce cas-là, ils se fournissent exclusivement chez Lenovo. La vente de serveurs aux hébergeurs de cloud représente aujourd’hui 50 % du CA de Lenovo ISG. Ils viennent chez nous, car nous avons conservé nos propres usines, en Asie, aux USA et en Europe.
Nous sommes complètement autonomes sur la production et sur les délais de livraison. Nous avons un service dédié pour concevoir localement des machines sur mesure, notamment pour répondre aux besoins très particuliers de forte densité des hyperscalers. La nouveauté en 2023 est que nous allons aussi pouvoir personnaliser les cartes mères.
LeMagIT : Tirez-vous des serveurs personnalisés que vous mettez au point pour les hyperscalers des idées de design que vous déclinez ensuite dans les serveurs de série pour les entreprises ?
José Rodrigues : Pour l’instant, nous déclinons sur nos serveurs de série les idées innovantes que nous avons précédemment eues dans le monde du supercalcul. Typiquement, le refroidissement liquide des processeurs qui arrive en série sur certaines de nos nouvelles configurations. Ce système envoie de l’eau à l’intérieur des serveurs pour les refroidir.
La prochaine étape est le refroidissement par immersion. Nous travaillons avec des partenaires – dont Total Linux en France – sur de tels designs, où les serveurs baigneront littéralement dans un liquide. Un liquide qui n’est plus de l’eau, évidemment, mais une huile particulière. Cela conduira à des designs qui, une nouvelle fois, trancheront avec les datacenters traditionnels.
LeMagIT : À propos de designs, Lenovo s’est félicité de présenter 50 nouveaux modèles de serveurs en septembre dernier. Pourquoi autant ?
José Rodrigues : Parce qu’il y a plus de cas d’usage ! C’est ce que je disais en introduction : l’infrastructure est désormais multiple. Par exemple, nous avons à présent des cas d’usage pour le Edge computing. Dans ce domaine, les serveurs doivent sortir du format traditionnel en rack. Il faut pouvoir les accrocher à un mur, derrière une caisse enregistreuse. Un magasin de prêt-à-porter, par exemple, a besoin d’un serveur x86 pour gérer son activité, mais il n’est pas question de mettre une baie rack au beau milieu de ses produits de luxe.
Donc nous proposons à présent des machines très petites, les SE350 et SE450, qui sont résistantes aux chocs, qui supportent des amplitudes thermiques ou climatiques inédites et tout cela avec la puissance d’un serveur 2U ou 4U.
Nous avons conçu de nouvelles machines pour répondre aux nouvelles demandes de nos clients. Les designs innovants engendrent des cas d’usage inédits. Dans l’élevage, par exemple, nous avons été sollicités sur des solutions à base de caméras intelligentes, pour surveiller des cheptels et identifier les animaux qui peuvent avoir des signes de faiblesse. Le but est d’isoler rapidement les animaux qui ont contracté une maladie, un virus, avant qu’ils ne contaminent les autres. Sans design de serveur adapté, ce cas d’usage était impossible. Car il fallait capturer les informations dans un enclos, les envoyer ailleurs pour qu’elles soient analysées, et les récupérer. Tout cela était bien trop complexe à mettre en place.
LeMagIT : Vous proposez désormais des versions AMD et Intel sur toutes vos gammes. Comment différenciez-vous l’usage entre une technologie et l’autre ?
José Rodrigues : Nous voulons être agnostiques. La particularité des processeurs AMD est leur consommation plus économe de l’énergie. Ce sont donc des configurations que l’on nous demande dès lors qu’il s’agit de mettre en production des applications qui calculent beaucoup. D’ailleurs, c’est vraiment dans le domaine du supercalcul qu’AMD a très fortement progressé ces dernières années, avec des puces dotées d’un nombre très important de cœurs. Aujourd’hui, en France, nos gros projets HPC partent chez nos clients en embarquant des processeurs AMD.
Intel, de son côté, reste leader sur les applications traditionnelles, les applications métiers, les bases de données. Et même pour exécuter des machines virtuelles. Dans la majeure partie des cas, les entreprises ne veulent pas de serveurs AMD, car ces applications ne sont certifiées que pour fonctionner sur des configurations Intel.
Nous réfléchissons à présent aux configurations ARM. Nous commençons à voir arriver des demandes pour des cas d’usage très spécifiques. Mais, d’une manière générale, Intel reste le leader parce que tous ses concurrents ont la bonne technologie sans avoir l’écosystème applicatif, sans l’historique qui rend Intel hégémonique. Par conséquent, alors que, techniquement, des configurations ARM seraient très adaptées au Edge, nos serveurs dans cette gamme sont tous des Intel.
Pour être complet sur ce sujet, je dirais qu’il y a aussi une temporalité différente selon les cas d’usage. Les tout derniers processeurs partent systématiquement en premier dans les projets de supercalcul. Et j’inclus désormais dans cette catégorie les applications de Machine learning. Puis on les retrouve dans les serveurs traditionnels. Et, à terme, dans les baies de stockage.
LeMagIt : Le supercalcul est-il un domaine qui marche particulièrement bien pour Lenovo France ?
José Rodrigues : Nous avons en effet une belle base installée de clients HPC en France, surtout dans le domaine industriel où notre filiale est réputée très pertinente. Il faut comprendre qu’il y a véritablement deux cas d’usage du HPC en France. D’un côté, il y a l’académique, les grands centres de recherche. De l’autre, de très nombreux industriels de l’aéronautique et de l’automobile. Nous sommes à présent sollicités par les laboratoires pharmaceutiques.
Nous observons que ces cas d’usage là ne vont pas autant dans le cloud que ce que les analystes avaient prévu. Parce qu’il y a des particularités pour lesquelles le cloud n’est pas forcément adapté. Par exemple, un ingénieur peut à tout moment vouloir lancer un calcul d’appoint pour voir en situation la pièce qu’il est en train de modéliser. Ces acteurs-là vont en revanche se servir du cloud pour les débordements, pour les quelques fois où il y a trop de simulations complexes à lancer en même temps pour la puissance de calcul disponible localement.
José RodriguezDG France de l’activité serveurs, Lenovo
Cela dit, à l’échelle de Lenovo, la filiale française est perçue comme la spécialiste des infrastructures hyperconvergées. Sous Nutanix, mais aussi sous VMware. Et, ce, pour toutes les applications et tous les secteurs d’activité. Même si nous avons noté une forte progression des cas d’usage VDI durant la pandémie.
LeMagIT : Votre concurrent HPE a récemment affiché une nouvelle stratégie Green IT. Où en êtes-vous sur ces sujets ?
José Rodrigues : Le refroidissement liquide dont je parlais fait partie d’un effort global chez Lenovo pour réduire l’empreinte carbone de l’IT. Cet effort global commence par nos moyens de production.
Nos usines, par exemple, sont majoritairement alimentées par de l’énergie propre. À Budapest, où nous avons ouvert un site industriel il y a un an et demi, vous trouverez l’équivalent de plusieurs terrains de football couverts de panneaux solaires.
Nous employons aussi des matériaux plus écologiques pour construire nos machines, même si c’est pour l’instant surtout le cas sur nos gammes de PC. Sur les serveurs, nous devons respecter des contraintes physiques très strictes qui limitent les possibilités en termes de matériaux. Mais c’est le prix à payer pour servir tous les cas d’usage.