De Prolog au traitement de la parole : l’AMU, cette pointure française en IA

Aix-Marseille Université, la plus importante université francophone dans le monde, propose une soixantaine de formations diplômantes en IA et fédère des recherches pluridisciplinaires sur tout ce qui a trait au traitement du langage à l’aide de l’IA.

« MassalIA ». Le nom antique était-il prédestiné ? La cité phocéenne est en pointe en matière d’intelligence artificielle ; les laboratoires de recherche pluridisciplinaires y sont légion dans une grande variété de domaines.

Si la discipline de l’IA est née à la fin des années 50 durant la conférence de Dartmouth sous l’impulsion de John McCarthy (également inventeur du langage LISP) et Marvin Minsky, il a fallu attendre plusieurs années pour que les premières concrétisations voient le jour. Et celles-ci vont s’accélérer après la création du langage Prolog en 1972 par le Français Alain Colmerauer de l’université de Lumilly. Celle-ci deviendra plus tard Aix-Marseille Université (AMU), la plus grande université francophone dans le monde avec près de 80 000 étudiants. Alain Colmerauer créera également en 1984 la société Prologia, laquelle existe encore aujourd’hui.

Pour ce qui concerne l’IA fondamentale et ses applications, on distingue deux entités distinctes au sein de l’AMU : le LIS et le I2M.

Le LIS, ou Laboratoire d’informatique & systèmes, comporte 355 personnes, dont 181 chercheurs et 99 doctorants. L’I2M, ou Institut de mathématiques de Marseille, accueille 130 enseignants-chercheurs, 30 chercheurs du CNRS et 60 doctorants.

« Toutes ces personnes travaillent à l’utilisation de l’IA dans des domaines divers comme l’environnement, la santé, l’archéologie, l’énergie, le transport. Et, ce, de manière pluridisciplinaire avec des spécialistes de ces différents secteurs qui sont issus d’autres instituts spécialisés », précise Mustapha Ouladsine, vice-président de l’AMU responsable de l’IA pour la recherche.

Parmi ces instituts, citons pêle-mêle Archimède (Mathématiques-informatique), Marseille Imaging, NeuroMarseille pour les sciences cognitives. L’institut Cancer & immunologie, l’Institut des Sciences de la Santé publique, l’Institut des sciences de l’Océan. Et d’autres encore. Tout ceci donne un nombre très important de publications (plus de 1 300 en 2022 et 2023 pour 714 chercheurs), dont plus de la moitié sont réalisées dans le cadre d’une coopération internationale. 

AMU propose dix-sept formations à bac + 3 et quarante-deux à Bac + 5 en lien avec l’IA. Un focus tout particulier est mis sur le domaine de la santé avec quatre axes de recherches spécifiques : usages, éthique, droit, pédagogie, en collaboration avec les établissements de santé de la région.

Traitement du langage

Un domaine de recherche directement issu du langage Prolog est celui du traitement automatique des langues, sous la conduite de Frédéric Béchet, docteur en informatique et directeur du LIS.

Le LIS est un laboratoire multitutelles (CNRS, Université Aix Marseille, Université Toulon, École Centrale Marseille) regroupant plus de 350 personnes entre les sites de Marseille et Toulon. Ses recherches se situent principalement dans le domaine de la modélisation du langage pour la compréhension automatique de la parole. En traitant le langage parlé, ses travaux sont à l’intersection du Traitement Automatique de la Langue Naturelle (TALN) d’une part, et d’autre part du Traitement Automatique de la Parole (TAP). 

Les thèmes principaux sont la modélisation du langage pour la reconnaissance et la synthèse automatiques de la parole, la compréhension automatique de la parole, le dialogue oral Homme-Machine et l’analyse syntaxique et sémantique robuste. Ces thèmes sont développés à la faveur de trois cadres applicatifs : les serveurs vocaux téléphoniques de dialogue, la fouille de donnée sonore, le traitement robuste de corpus textuels (étiquetage pour la fouille de donnée, résumé automatique). Le LIS est à l’origine de plus de quatre-vingts publications dans ce domaine.

Réduire les discriminations

Une autre chercheuse de l’AMU, Magalie Ochs, travaille quant à elle sur la possibilité de donner une dimension sociale et émotionnelle aux robots humanoïdes et aux personnages virtuels. Il s’agit en particulier de leur apporter la capacité d’exprimer des émotions (tristesse, joie, colère, etc.) ou des attitudes sociales comme manifester de l’empathie, de l’autorité, ou de la sympathie envers l’utilisateur, à travers différents indices verbaux et non-verbaux : expressions faciales, gestes, tours de parole, distance sociale. 

Pour développer de tels systèmes humanoïdes socioémotionnels, il faut construire des modèles informatiques de phénomènes complexes tels que les émotions, l’empathie, et les attitudes sociales. Pour ce faire, Magalie Ochs utilise des données provenant de l’observation des interactions entre des personnes, analysées avec des linguistes et des spécialistes de neuroscience, en utilisant des outils d’apprentissage automatique construits pour cette application.

« L’un de nos objectifs est de lutter contre un phénomène assez bien connu en psychologie sociale cognitive, appelé la menace du stéréotype. »
Magalie OchsMaîtresse de Conférences et chercheuse, AMU

Les enjeux sociétaux de ces recherches sont fondamentaux, car ces systèmes interactifs sont de plus en plus utilisés pour jouer des rôles où l’intelligence socio-émotionnelle est essentielle : tuteur, coach, assistant, acteur, etc. Or, il existe des biais de comportement dans les IA qui sont eux-mêmes issus des biais introduits par les humains qui nourrissent les IA.

« Par exemple, il y a une sous-représentation des femmes en informatique, donc vous voyez plus de tuteurs d’informatique virtuels dans les environnements virtuels que de tutrices d’informatique. Et donc les humains vont s’habituer à associer l’informatique aux hommes et non pas aux femmes. Cela va renforcer encore ce stéréotype, que les femmes ne sont pas faites pour l’informatique. Et c’est un gros problème que nos recherches visent à résoudre », explique Magalie Ochs.

« L’un de nos objectifs est de lutter contre un phénomène assez bien connu en psychologie sociale cognitive, appelé la menace du stéréotype. Par exemple, les filles ont l’idée d’être moins fortes en maths et cela réduit inconsciemment leur capacité de travail comme leur performance. Pour abolir cette menace de stéréotype, nous avons créé des personnages virtuels qui incarnent des jeunes filles fortes en maths. Et une expérimentation à grande échelle, faite dans neuf collèges, soit au final 326 élèves, a montré que, effectivement, ces rôles féminins permettaient d’améliorer les performances des filles en maths », se félicite la chercheuse.

Au-delà de la lutte contre les stéréotypes, les domaines d’application des recherches de Magalie Ochs sont vastes : simulation d’entretien d’embauche avec un recruteur virtuel, formation des médecins à l’annonce d’événements graves avec une patiente virtuelle, coach virtuel pour inciter les personnes âgées à faire du sport, formation à la prise de parole en public, etc.

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