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RHIVOS : Red Hat monte en régime pour cibler le marché automobile

Red Hat entend bien profiter de la montée en puissance Linux et de l’open source dans le secteur automobile. Toutefois, son futur concurrent et actuel leader du marché, Blackberry QNX, n’a pas dit son dernier mot.

L’automobile est une industrie clé de l’embarqué. Outre l’électrification et l’hybridation des modes de propulsion des véhicules, l’industrie vise l’adoption du concept « Software-Defined Vehicle » (SDV). Cette approche qui consiste à diminuer le nombre de composants et à faciliter les mises à jour des logiciels embarqués fait la part belle à des infrastructures calquées sur le fonctionnement du cloud. Et parmi les composants essentiels de cette évolution, l’on trouve les systèmes d’exploitation temps réel.

Un segment sur lequel Red Hat n’est pas présent historiquement. Et pourtant, en janvier dernier, la filiale d’IBM a annoncé que son système d’exploitation RHIVOS (Red Hat In-Vehicle Operating System) a passé le jalon « Freedom From Interference » (FFI) de la norme ISO 26262, plus connu sous le nom ASIL-B (Automotive Safety Integrity Level B).

RHIVOS, un futur concurrent à QNX

Le jalon FFI doit permettre de s’assurer de l’absence de défaillances en cascade. Un bug ou une lenteur dans une application peu critique ne doit pas entraîner le dysfonctionnement d’organes vitaux du véhicule : gestionnaire de la batterie, du moteur, systèmes de freinage, etc. Les interférences peuvent être de différentes natures. Elles sont principalement liées à l’accaparement d’un trop grand volume de ressources de stockage ou de calcul et à la corruption de données.

Techniquement pour Red Hat, il s’agit d’assurer l’isolation des charges de travail au niveau de son futur RHIVOS, un système d’exploitation qu’elle teste avec l’aide de General Motors.

« Red Hat montre comment les configurations de conteneurs légers, comme en témoigne cette récente certification de sécurité à criticité mixte, peuvent permettre une utilisation bien plus importante des ressources, de meilleures options de service pour les mises à jour en direct et d’autres avantages, tout en offrant les garanties de sécurité requises pour de nombreux cas d’usage », vante Francis Chow, vice-président et directeur général de la division In-Vehicle Operating System and Edge chez Red Hat.

Ce sont les premières étapes avant la commercialisation de RHIVOS au cours de cette année. Red Hat promet d’en dire davantage lors de sa conférence annuelle, en juin prochain.

Selon Francis Chow, l’ambition n’est autre que de remplacer les RTOS de type QNX dans les systèmes ADAS et les cockpits.

« C’est certainement l’ambition de Red Hat, et surtout, l’ambition de nombreux fabricants d’automobiles (OEM) et équipementiers Tier 1, de s’éloigner des solutions RTOS propriétaires, y compris dans les cas d’usage existants », assure-t-il au MagIT.

« C’est certainement l’ambition de Red Hat, et surtout, l’ambition de nombreux fabricants d’automobiles (OEM) et équipementiers Tier 1, de s’éloigner des solutions RTOS propriétaires, y compris dans les cas d’usage existants ».
Francis ShowVice-président et directeur général In-Vehicle Operating System and Edge, Red Hat

« Cela est dû à de nombreux facteurs », ajoute-t-il. « Notamment la consolidation des conceptions d’ECU [de calculateurs en français, N.D.L.R.] dans un nombre réduit de SoC de calcul à haute performance, nécessitant des architectures logicielles plus sophistiquées à criticité mixte, ainsi que le passage à un paradigme de développement “cloud-to-car” entraînant l’adoption de technologies modernes et “cloud native” qui sont une caractéristique du portefeuille de produits de Red Hat ».

Des constructeurs déjà sensibilisés à l’open source

De fait, Red Hat n’est pas le seul acteur à vouloir introduire des OS sur base Linux. Canonical, distributeur de versions supportées d’Ubuntu, s’est, lui aussi, lancé sur ce secteur. Real-Time Ubuntu est en disponibilité générale depuis 2023. L’année suivante, Elektrobit, un groupe allemand spécialisé dans l’électronique embarquée a lancé EB Corbo Linux, basé sur Ubuntu. Elektrobit a également lancé un hyperviseur connexe, EB Corbos Hypervisor.

En outre, certains industriels, dont Bosch, BMW, Mercedes-Benz, Denso, Valeo ou encore ZF ont rejoint le groupe de travail Software Defined-Vehicle de l’Eclipse Foundation. Eux proposent des livrables afin de faciliter la conception de logiciels embarqués. Microsoft a également confié à la fondation Azure RTOS, sous le nom Eclipse ThreadX, un OS qui serait également prêt pour propulser des architectures SDV.

Ces distributions et outils liés Linux servent à émuler les fonctions logicielles des véhicules sur des architectures matérielles de même nature (base ARM ou x86). Ou comme OS invité.

D’autres constructeurs et équipementiers – dont les Japonais Honda, Mazda, Subaru, Suzuki, Nissan et Toyota – ont rejoint l’Automotive Grade Linux au sein de la Linux Foundation (AGL). L’objectif depuis 2014 ? Bâtir des logiciels par-dessus des RTOS Linux, notamment le projet de distribution Linux personnalisé pour l’embarqué, Yocto. Un groupe de travail se penche également sur une architecture SDV à l’aide de la technologie de virtualisation KVM (Kernel-based Virtual Machine).

« Avec la couche de virtualisation VirtIO, et en plaçant par-dessus Linux et des conteneurs, vous pouvez exécuter des clusters d’instrumentation, l’affichage tête haute et l’infotainment sur le même processeur ».
Dan CauchyDirecteur général Automotive Grade Linux, Linux Foundation

« Avec la couche de virtualisation VirtIO, et en plaçant par-dessus Linux et des conteneurs, vous pouvez exécuter des clusters d’instrumentation, l’affichage tête haute et l’infotainment [infodivertissement, N.D.L.R.] sur le même processeur », affirme Dan Cauchy, directeur général d’Automotive Grade Linux, dans un entretien relayé par la Linux Foundation. « Vous pouvez également superviser des capteurs, des caméras, les systèmes d’alerte de franchissement de ligne, etc. ».

Selon Dan Cauchy, AGL est un moyen pour les constructeurs et les équipementiers pour personnaliser les applications et les fonctionnalités logicielles s’exécutant sur les produits des équipementiers en lien avec l’infotainment et la télématique. Plus de 100 millions de véhicules, principalement les modèles de Toyota et de sa marque Lexus ainsi que ceux de Subaru sont équipés de logiciels basés sur le projet. Certains constructeurs européens exploitent la technologie, mais ne souhaitent pas communiquer.

Les constructeurs membres de l’Automotive Grade Linux travaillent notamment avec AWS pour concevoir des architectures « cloud-to-car ». « Je pense que nous allons voir de plus en plus d’OEM adopter des standards ouverts comme AGL afin de gérer correctement les couches logicielles des véhicules », anticipe Dan Cauchy.

« Bon nombre d’équipementiers et de constructeurs reconnaissent que l’adoption de l’open source et de la collaboration ouverte, tout en tirant parti des technologies et méthodologies cloud-natives modernes, sont des piliers essentiels de la stratégie à mettre en œuvre pour parvenir à la mise en place d’une architecture SDV », observe Francis Show de Red Hat.

Et d’insister sur le fait que la filiale d’IBM, en tant que distributeur de technologies Linux, de cloud hybride, et de conteneurisation, « est bien placé pour permettre aux OEM et à leurs fournisseurs de naviguer efficacement et avec succès dans cette transformation ».

QNX tente de faire valoir ses atouts et simplifier l’apprentissage de ses technologies

Cela ne veut pas dire que des acteurs proposant des solutions propriétaires comme Blackberry QNX (255 millions de véhicules équipés) ont dit leurs derniers mots.  

« C’est un marché qui évolue très vite », notait en janvier Thomas Cardon, directeur des ventes EMEA, secteur automobile chez BlackBerry QNX. « Il y a un certain nombre d’acteurs qui veulent lancer des initiatives qui pourraient remettre en question notre position sur le marché. Mais aujourd’hui, nous sommes sereins ».

« Il y a un certain nombre d’acteurs qui veulent lancer des initiatives qui pourraient remettre en question notre position sur le marché. Mais aujourd’hui, nous sommes sereins ».
Thomas CardonDirecteur des ventes EMEA, secteur automobile, BlackBerry QNX

QNX se dit également capable de gérer l’interaction entre son RTOS, son hyperviseur et les couches Linux à travers VirtIO. « Les OS de type Linux ouvrent un champ des possibles très important. C’est enthousiasmant, mais c’est aussi une vraie problématique parce que cela ouvre beaucoup plus de brèches potentielles, des problématiques de performances, de sûreté, des problématiques d’intégration, etc. », affirme Thomas Cardon. « Nous avons une carte à jouer dans l’intégration des couches basses ».

L’éditeur canadien sait toutefois qu’il doit fournir des efforts pour populariser sa solution. « QNX, ce n’est pas Linux. Un OS Linux peut être téléchargé par n’importe qui et servir de base d’apprentissage », poursuit Thomas Cardon. « QNX est une solution commerciale avec des coûts d’entrée qui ne sont pas négligeables. Nous devions apporter une solution pour simplifier l’accès à la technologie ». Ainsi, l’acteur a lancé QNX Everywhere, une initiative qui combine une version gratuite de QNX SDP 8.0 pour les usages non commerciaux, ainsi qu'un programme de formation, lui aussi en partie gratuit (les cours avec formateurs demeurent payants). « Nous sommes présents sur le marché de l’automobile depuis une trentaine d’années. L’ensemble des équipementiers ont une expertise QNX. Ce n’est pas le cas de tous les constructeurs et des prestataires de services tiers qui interagissent depuis peu sur le marché », note Thomas Cardon.

En février, l’éditeur canadien a signé un partenariat pluriannuel avec Pi Square Technologies, un intégrateur américain spécialisé dans l’automobile pour former des « centaines d’ingénieurs logiciels » dans l’embarqué en Inde.

Une démocratisation de ses logiciels que QNX espère étendre à l’ensemble des secteurs de l’embarqué. Ce 10 mars, QNX a lancé General Embedded Development Platform, une suite d’outils pour divers cas d’usage, dont l’automobile.

« Cette nouvelle plateforme unifie nos produits QNX en une pile modulaire et évolutive qui peut être personnalisée pour répondre aux besoins spécifiques de différents cas d’usage et industries », assure John Wall, COO et responsable produits ingénierie et services chez Blackberry QNX, dans un communiqué de presse. « [GEDP] accélère les efforts de certification de sécurité, en atténuant le risque d’échecs coûteux dus à des intégrations personnalisées inappropriées, et raccourcissant les délais de mise sur le marché ».

Et de promettre un modèle de licence « flexible » et « évolutif » qui réduirait « les coûts initiaux ».

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