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Le CES 2024, vitrine des enjeux IT du secteur automobile

Lors du CES 2024, les annonces des constructeurs, des équipementiers et des OEM du secteur automobile mettent en lumière les enjeux matériels et logiciels d’un écosystème animé par le concept parfois nébuleux, mais très prometteur de software-defined-vehicle.

Le Consumer Electronic Show (CES) a définitivement volé la vedette au salon de l’automobile de Détroit. Le North American International Auto Show, qui avant le COVID avait lieu une semaine après le CES de Las Vegas est organisé depuis 2022 (les éditions 2020 et 2021 ont été annulées) au mois de septembre pour tenter d’attirer plus de visiteurs.

Il faut dire que, depuis 2016 environ, le CES a gagné de l’importance pour les constructeurs automobiles. Les équipementiers sont désormais des intervenants réguliers sur le salon. Il n’est plus rare de voir des acteurs comme Bosch, ZF ou Valeo effectuer des annonces dans le cadre de la grand-messe. Les constructeurs n’ont pas tardé à suivre : Mercedes Benz, Stellantis ou encore BMW ont profité de l’événement cette année pour faire part de leurs avancées. Dans un même temps, certains OEM ont l’attention nécessaire des constructeurs afin de pouvoir exposer des systèmes qui concernent plus ou moins directement le grand public.

L’IA générative s’invite dans l’habitacle des grandes berlines

Traditionnellement, le CES permet aux constructeurs de mettre en scène la modernisation des habitacles et des cockpits. Salon grand public oblige, l’édition 2024 ne déroge pas à la règle.

BMW a profité de l’événement pour présenter l’extension de son partenariat avec Amazon et AWS. Le fabricant travaille à l’intégration d’Alexa LLM, une version de son assistant vocal propulsé par un modèle d’IA générative, dans ses véhicules. La fonction nommée BMW Intelligent Personal Assistant doit permettre de répondre aux questions de l’automobiliste sur sa voiture en langage naturel.

L’équipementier français Valeo, lui, a annoncé avoir mené un hackathon avec les outils Vertex AI de Google Cloud afin d’identifier des cas d’usage et des gains d’efficience potentiels « dans l’ingénierie, la gestion de la connaissance et de la maintenance industrielle ».

De son côté, Mercedes, également partenaire de Google Cloud, a mis en scène « l’expérience hyper personnalisée » offerte par l’évolution de son système d’infotainment MBUX. Celui-ci est amené à devenir, grâce à l’intelligence artificielle, un assistant virtuel. Il s’agit, entre autres, de reconnaître les habitudes du conducteur afin de lui proposer le déclenchement automatique de fonctions plus ou moins utiles : lecture de l’actualité, appel à ses interlocuteurs en cas de retard à un rendez-vous, enclenchement d’un programme de massages avant de partir au travail, etc.

« L’expérience utilisateur Mercedes-Benz de demain sera hyperpersonnalisée ».
Magnus ÖstbergDirecteur des logiciels, Mercedes-Benz AG

« L’expérience utilisateur Mercedes-Benz de demain sera hyperpersonnalisée. Grâce à l’IA générative, notre assistant virtuel MBUX apporte plus de confiance et d’empathie à la relation entre la voiture et le conducteur », vante Magnus Östberg, directeur des logiciels chez Mercedes-Benz AG, dans un communiqué de presse. « Propulsés par notre architecture MB.OS chip-to-cloud, nos futurs véhicules fourniront aux clients exactement ce dont ils ont besoin quand ils en ont besoin ».

Cette architecture MB.OS, renvoie à la fois au système d’exploitation embarqué conçu par Mercedes, mais également à l’architecture MMA (Mercedes-Benz Modular Architecture) que le constructeur est en train de mettre au point sur les bases de son expérience obtenue en développant son concept-car VisionEQXX. Cette plateforme technologique équipera au moins quatre véhicules électriques de la marque à partir de 2025.

Développement embarqué : le cloud gagne en importance

Cette notion de « chips to cloud », de la puce au cloud en français, anime en réalité l’ensemble de l’écosystème automobile. En 2022, Stellantis annonçait un partenariat d’envergure avec Amazon afin de développer les plateformes matérielles et logicielles STLA Brain, SmartCockpit et AutoDrive qui animeront les véhicules du groupe à partir de 2030. Cette année, la maison mère de Peugeot se rapproche de BlackBerry et compte s’appuyer sur la version cloud de QNX Hypervisor sur AWS, qui sera commercialisée en 2024.

QNX Hypervisor est essentiellement un hyperviseur basé sur le standard VirtIO qui permet d’exécuter des machines virtuelles adaptées au monde de l’embarqué sur des architectures ARMv8 et X86-64. Dans sa version cloud, QNX Hypervisor est une suite d’outils pour développer des logiciels embarqués, émuler leur fonctionnement et les SoC associés, comme s’ils étaient déployés dans des véhicules.

Chez le groupe automobile franco-italo-américain, QNX Hypervisor Cloud servira à développer « des versions virtuelles des sous-ensembles du véhicule sans avoir à modifier le logiciel principal qui les fait fonctionner, permettant ainsi de ramener à 24 h, des développements réalisés précédemment en plusieurs mois », assure BlackBerry QNX. Le groupe automobile commencera par développer un cockpit virtuel afin d’affiner l’expérience des utilisateurs dans les véhicules du groupe.

« Le logiciel devient de plus en plus crucial dans les véhicules, ce qui nous amène à innover dans la manière dont nous le développons et le validons », avance Yves Bonnefont, Chief Software Officer chez Stellantis, dans un communiqué de presse « […] Cette technologie permet essentiellement de nous rapprocher des besoins de nos clients grâce à des cycles de développement accélérés, des retours d’information plus rapides et une livraison plus prompte de la technologie qu’ils utilisent et qu’ils apprécient ».

Cette accélération du développement logiciel va de pair avec une simplification nécessaire des infrastructures embarquées.

Les SoCs voués à remplacer les calculateurs et certains microcontrôleurs

« Il faut bien comprendre qu’une voiture est animée par un ensemble de fonctions élémentaires (le freinage, les batteries, le moteur, la boîte de vitesse, le tableau de bord, le cockpit), de plus en plus sophistiquées », expliquait en 2023 Frédéric Vincent, DSI du groupe Renault auprès du MagIT. « Cela nécessite davantage de puissance de calcul et de développement pour les piloter ».

« Il faut bien comprendre qu’une voiture est animée par un ensemble de fonctions élémentaires […] de plus en plus sophistiquées ».
Frédéric VincentDSI, groupe Renault.

De plus, ces fonctions élémentaires sont de plus en plus interdépendantes, selon le directeur des systèmes d’information de Renault. « Quand il faut orchestrer un changement automatique de voie, il convient de contrôler le volant, les capteurs, piloter l’accélération et potentiellement le freinage », illustre-t-il. De même, un freinage d’urgence pourrait être enclenché grâce à un algorithme de vision par ordinateur qui traite les images d’une caméra embarquée.

Ces cinématiques de plus en plus complexes sollicitent beaucoup de composants. « Aujourd’hui, les fonctions élémentaires sont dépendantes de fournisseurs unitaires – des capteurs, des calculateurs – difficiles à faire communiquer ensemble », poursuit Frédéric Vincent. « Les fabricants automobiles entendent basculer vers des architectures centralisées dans lesquelles il y a moins en moins de composants électroniques qui communiquent à l’aide de technologie réseau IT de type Ethernet et dans lesquelles les couches logicielles sont standardisées ».

En ce sens, lors du CES 2024, Qualcomm a annoncé une famille de SoCs nommée Snapdragon Ride Flex, pensée pour animer à la fois les fonctions ADAS d’assistance à la conduite et au stationnement et le système d’infotainment du véhicule sur un seul HPC embarqué. Les System on Chips entreront en production dès 2024, assure le spécialiste américain. La marque Ride Flex est elle-même rattachée au portfolio de solutions Snapdragon Digital Chassis. C’est la gamme de produits choisis par Renault pour animer son architecture centralisée qui communiquera avec des solutions hébergées sur le cloud de Google.

Qualcomm a signé un partenariat avec Bosch. L’Allemand sera l’un des premiers équipementiers à proposer une plateforme reposant sur un SoC Ride Flex. Selon Bosch, celle-ci devrait animer les fonctions de stationnement automatisé, la détection de voie, le système de navigation embarqué ou encore l’assistance vocale dans les véhicules de ses clients. « Avantages pour les constructeurs automobiles : moins d’espace et de câbles nécessaires, ce qui réduit les coûts », promet Bosch dans un communiqué de presse.

« Nous voulons réduire la complexité des systèmes électroniques des voitures tout en les rendant aussi sûrs que possible ».
Markus HeynMembre du conseil d’administration, Robert Bosch GmbH et président, Bosch Mobility.

« Nous voulons réduire la complexité des systèmes électroniques des voitures tout en les rendant aussi sûrs que possible. […] Notre objectif à moyen terme est d’introduire encore plus de fonctions de conduite automatisée sur les routes, y compris dans les segments des voitures compactes et moyennes », résume Markus Heyn, membre du conseil d’administration de Robert Bosch GmbH et président de Bosch Mobility.

Selon Qualcomm, les charges de travail décrites plus haut peuvent être isolées des unes des autres et le SoC prend à la fois en charge les SDK Qualcomm, ainsi que les logiciels embarqués du marché, dont QNX Hypervisor et AUTOSAR.

AMD, lui, a (re) présenté une famille de SoCs, nommée Versal AI Edge XA, héritée du rachat de Xilinx, et la série de processeurs embarqués Ryzen Embedded V2000A.

Les Versal AI Edge XA sont tous animés par un APU double cœur Arm Cortex A72 et un RPU dual core Arm Cortex-5RF. AMD distingue ses SoCs par leur capacité à prendre en charge ou non le protocole PCIe Gen 4 8x et par le nombre de « moteurs d’IA » associés, consacrés au traitement d’images et de signaux. « Les SoC adaptatifs Versal AI Edge XA peuvent effectuer des inférences d’IA sur de grandes quantités de données, et peuvent également être utilisés dans des capteurs de bord, tels que les LiDAR, les radars et les caméras, ou dans un contrôleur de domaine centralisé. Les moteurs d’IA sont capables de gérer différents types de modèles d’IA tels que la classification et le suivi des caractéristiques », résume le concepteur. Les premiers exemplaires seront disponibles au début de cette année.

Les Ryzen Embedded V2000A sont basés sur l’architecture Zen 2 et accueillent tous les puces graphiques Radeon Vega 7. Gravée en 7 nm, la série rassemble trois processeurs 6 cœurs 12 threads d’une fréquence nominale allant de 2,1 GHz jusqu’à 3 GHz pour un TDP maximum de 54 Watts et deux CPU 8 cœurs 16 threads (cadencés respectivement à 1,7 – 4,15 GHz et à 2,9 GHz – 4,25 GHz). La fiche technique présente une enveloppe thermique identique. Ces SOC-là sont davantage consacrés à l’animation de systèmes d’infotainment et de connectivité accessibles aux passagers. Ils ressemblent fortement à des versions tronquées des CPU desktop des séries Ryzen 3000 et 4000 G.

Intel a également dévoilé sa première génération de SoC consacré à l’automobile. Couplé à deux barrettes de 32 Go de RAM DDR5 au format SODIMM et à un SSD de 1 To PCIe 4.0, Intel assure que son système peut gérer « jusqu’à 12 charges de travail avancées ».

Dans le cadre d’une démonstration, Intel y a exécuté « une variété d’applications automobiles telles que la suite d’instruments Kanzi One de Rightware, les applications Surround View et de surveillance du conducteur de ThunderSoft, les applications automobiles Android et la fonctionnalité de mise à jour Over-the-Air sur une plateforme RTOS/QNX Hypervisor avec des machines virtuelles Ubuntu et Android ».

Pour l’heure, et au vu de l’historique d’Intel avec MobilEye, le SOC semble davantage pensé pour gérer des flux vidéo et l’inférence des modèles de computer vision associés. Contrairement à Qualcomm et à AMD, Intel n’a pas dévoilé de date de lancement de production pour son SoC.

Le concurrent d’AMD et de Qualcomm investit également dans l’amélioration de la gestion des batteries. Il a annoncé l’acquisition du français Silicon Mobility, un spécialiste de la conception de puces dédiées aux contrôles de puissance et de consommation des véhicules électriques, basé à Sophia Antipolis. Ses FPCU (Field Programmable Control Unit) permettraient d’économiser 10 à 20 % d’énergie stockée dans les batteries.

Sotfware-Defined Vehicle : les acteurs partagés entre le buzz et des interrogations légitimes

Constructeurs et OEM inscrivent tous leurs annonces dans le développement du « Software Defined Vehicle » (SDV), concept pour lequel ils présentent une définition et des solutions différentes.

« Il n’existe pas de définition standard du SDV, mais l’une des plus largement acceptées pourrait être celle d’un véhicule dont les caractéristiques sont propulsées par la livraison agile de logiciels tout au long de la durée de vie du véhicule, au-delà du point de vente », écrit Girish Shirasat, directeur senior de la gestion produit chez Qualcomm, dans un billet de blog. In fine, il s’agit d’engendrer de nouvelles sources de revenus à travers des services annexes.

Si en ce sens, les constructeurs automobiles et les équipementiers renforcent leurs équipes de développement, à l’image de Stellantis et de Valeo, certains préfèrent développer leurs OS, comme BMW, Mercedes ou Volvo, plutôt que s’appuyer sur logiciels embarqués du marché, à l’instar de Renault ou Stellantis. Tous doivent trouver un équilibre entre maîtrises de la propriété intellectuelle, sécurité et dépendance aux fournisseurs technologiques.

« Je pense que nous sommes au début de cette stratégie Software-Defined Vehicle ou d’architecture centralisée. Chacun prend des trajectoires un peu différentes ».
Frédéric VincentDSI, groupe Renault.

« Je pense que nous sommes au début de cette stratégie Software-Defined Vehicle ou d’architecture centralisée. Chacun prend des trajectoires un peu différentes. Nous allons voir dans les années qui viennent comment les uns et les autres avancent », anticipait, pour sa part, Frédéric Vincent de Renault en 2023. « Il n’est pas impossible qu’il y ait des stratégies de regroupement entre différents OEMs pour aller vers des choses plus standardisées. En tout cas, chez Renault, nous y sommes pour ».

Le CES 2024 semble marquer une prise de conscience pour certains d’entre eux. Bosch affiche une « approche Multi-SoC » afin de ne pas dépendre d’un seul fabricant de semiconducteurs. « Nos logiciels fonctionnent sur des puces de différents fabricants. Cela permet de découpler le logiciel et le matériel », affirme Markus Heyn. Enfin, même s’ils proposent des plateformes logicielles, Qualcomm et Intel ne veulent surtout pas brider la compatibilité de leurs puces avec les solutions embarquées du marché.

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