En trois ans, la démocratisation des données est en nette progression (étude)
Avec Odoxa, Opendatasoft a mené son quatrième observatoire de la démocratisation des données dans les organisations françaises. L’étude met en lumière un gain de maturité chez les décideurs entre 2022 et 2025, qui ne se reflète pas totalement dans l’exécution des projets.
Les deux partenaires ont dévoilé les résultats de cette enquête de lors de l’événement Data Experience Makers 2025 à Paris. Étaient présents certains représentants des clients d’Opendatasoft, dont la Caisse des Dépôts, la MAIF, Coface ou encore la Banque de France.
L’institut de sondages a interrogé 850 cadres en janvier 2025. Parmi ceux-là, il compte 327 « data leaders » (chief data officers, directeur de l’innovation, DSI) et 523 responsables métiers (RH, achats, marketing, RSE, etc.). Ils proviennent d’organisations publiques et d’entreprises de plus de 50 salariés. Un sondage effectué selon la méthode des quotas qui met en lumière une nette progression de la maturité en matière de la valorisation des données.
« S’il y a une information à retenir de cet observatoire 2025, c’est la bascule des opinions concernant le partage et l’utilisation des données », affirme Erwan Lestrohan, directeur conseil chez Odoxa.
« S’il y a une information à retenir de cet observatoire 2025, c’est la bascule des opinions concernant le partage et l’utilisation des données ».
Erwan LestrohanDirecteur conseil, Odoxa
« En 2022, quand nous demandions aux “data leaders” : “est-ce que le partage et l’utilisation des données sont un axe de développement stratégique dans notre organisation ?”, ils étaient 39 % à nous répondre oui. Aujourd’hui, ils sont 60 % », ajoute-t-il. Ce pourcentage passe à 80 % chez les répondants en provenance de grandes organisations (plus de 10 000 salariés).
Pas moins de 61 % de ces responsables des données jugent que leur organisation est en avance en matière de partage et d’accès aux données. « C’est 25 points de plus qu’en 2022 », précise Erwan Lestrohan. « D’ailleurs, 71 % des sondés en provenance des organisations de plus de 10 000 salariés qui ont le sentiment d’être en avance ».
Une mise en pratique plus lente
Cette opinion « positive » se reflète un peu moins dans la pratique. Environ 45 % des « data leaders » sondés affirment que leur organisation a mis en place un « partage global des données ». Il faut noter que les acteurs publics français ont pour obligation d’ouvrir l’accès aux citoyens à une partie de leur patrimoine de données, conformément à la loi pour une République numérique.
Le binôme Odoxa-Opendatasoft note toutefois une forte disparité entre privé et public. « Seuls 21 % des organisations publiques interrogées ont mis en place un partage global des données (vs 54 % dans le secteur privé) et 15 % admettent ne pas du tout avoir initié de partage », constatent les deux partenaires.
« 55 % des organisations n’ont pas encore instauré ce partage global », signale Erwan Lestrohan d’Odoxa. « Dans la majeure partie des cas, quand cela n’a pas été fait, c’est parce que certaines informations sont jugées trop confidentielles ». Environ 45 % des responsables des données évoquent la mise en place d’un partage partiel.
Un décalage toujours marqué entre vision et exécution
Bien que 64 % des responsables métiers sont satisfaits de l’accès aux données partagées, le décalage d’opinion souligné l’année dernière entre data leaders et responsables métiers demeure. « Seulement 26 % des utilisateurs métiers interrogés pensent que leur entreprise est en avance en matière d’accès et au partage de données », note le directeur conseil chez Odoxa. Or, un peu moins de la moitié des dirigeants « data » (45 %) perçoivent ce décalage entre les ambitions de l’organisation et la réalité du quotidien.
Encore 30 % des responsables métiers regrettent qu’il faille passer par des experts pour exploiter des données partagées. Ce constat est un peu plus largement partagé par les dirigeants des activités financières et d’assurances (40 %), de l’innovation (43 %), et les directeurs administratifs (43 %).
Pourtant, les bénéfices sont bien identifiés : 84 % des utilisateurs métiers estiment que l’accès aux données leur fait gagner du temps, 82 % pensent que cela renforce leur efficacité et leur autonomie, et 81 % perçoivent une amélioration de leur prise de décision. Ces responsables métiers considèrent également que cela accélère l’innovation et la création de nouvelles offres (72 %). Dans une moindre mesure, 63 % d’entre eux affirment que le partage et l’accès aux données « sont incontournables pour devenir une organisation data driven ».
« Lorsque l’on se concentre sur des indicateurs concrets comme les outils ou la mise en place opérationnelle, la progression reste assez lente : en trois ans, le passage au partage intégral n’a évolué que de 35 % à 45 %, ce qui demeure limité ».
Erwan LestrohanDirecteur conseil, Odoxa
« Ce qui est intéressant, c’est que les écarts les plus marqués concernent la culture d’entreprise […] », remarque Erwan Lestrohan. « En revanche, lorsque l’on se concentre sur des indicateurs concrets comme les outils ou la mise en place opérationnelle, la progression reste assez lente : en trois ans, le passage au partage intégral n’a évolué que de 35 % à 45 %, ce qui demeure limité ».
Et au directeur conseil d’Odoxa de comparer cette tendance à celle observée dans les études consacrées à la RSE. « Au départ, ces sujets restaient secondaires dans les décisions des comités de direction. Aujourd’hui, la RSE est institutionnalisée et incontournable dans toute stratégie d’entreprise », déclare-t-il.
« Nous observons un mouvement similaire avec la “data” : autrefois perçue comme un sujet technique ou annexe, elle gagne en importance auprès des comités de direction », traduit le directeur conseil.
« Entre ceux qui fixent la stratégie et ceux qui la vivent, il y a forcément une différence », commente Matthieu Blanc, Chief Data Officer à la Caisse des Dépôts. « L’exécution de la stratégie prend toujours du temps, c’est certain, mais parfois aussi, l’on peut avoir l’impression que tous les indicateurs sont au vert lorsqu’on regarde d’en haut, sur un tableau de bord, alors que la réalité sur le terrain est plus nuancée ».
« Entre ceux qui fixent la stratégie et ceux qui la vivent, il y a forcément une différence ».
Matthieu BlancCDO, Caisse des Dépôts
Pour éviter ce problème, le CDO de la Caisse des Dépôts cherche à obtenir les retours des métiers afin de couvrir leurs besoins et leur fournir les bons outils.
Gouvernance de données, IA, acculturation : les priorités des décideurs « data »
Ce changement de culture se reflète dans leurs feuilles de route « actuelle » des décideurs data. La mise en place d’une politique de gouvernance de données (70 %), d’une data marketplace (67 %) et l’usage de l’IA (67 %) sont les trois objectifs principaux de ces cadres. L’acculturation et la formation des équipes (65 %), la constitution de produits de données (61 %) et la mise en place d’un data catalog (57 %) arrivent, a priori, au second rang.
« Nous observons l’optimisme des “data leaders” avec des priorités qui sont bien identifiées : IA, sensibilisation en interne, produits de données, data marketplace », résume Erwan Lestrohan. « Il se dégage un cap assez clair pour mieux partager les données, pour en faire un actif stratégique ».
Dans le secteur public, le commerce, la finance et l’assurance, c’est l’implémentation de l’IA qui occupe les esprits. Mais la segmentation par taille d’organisation révèle d’autres priorités. Dans les entreprises de 50 à 249 salariés, la mise en place d’une politique de gouvernance de données arrive en haut de la feuille de route des décideurs data. Dans les organisations de plus de 250 salariés et celles de plus de 5 000 collaborateurs, la priorité n’est autre que « la formation des équipes à la culture data ». C’est d’ailleurs l’objectif numéro 1 dans les douze mois à venir, légèrement devant l’utilisation de l’IA. Mais l’un ne va pas sans l’autre.
« La popularité de l’IA générative représente un formidable momentum pour vendre la gestion de données au COMEX ».
Matthieu BlancChief Data Officer, Caisse des Dépôts
« La popularité de l’IA générative représente un formidable momentum pour vendre la gestion de données au COMEX », signale Matthieu Blanc. « Pour cela, j’ai deux phrases chocs : “pas de data, pas d’IA, il ne faut pas rêver” et “si l’on range bien sa chambre, l’on retrouve bien ses jouets” ».
Qualité des données, conformité réglementaire, data marketplace : un optimisme partagé, malgré des défis de taille
Un enthousiasme tel que 90 % des décideurs data interrogés prédisent qu’ils pourront garantir la qualité des données à disposition des collaborateurs d’ici à 3 ans. « Dans trois ans, ça ira mieux, mais je pense que cela prendra un petit peu plus de temps que cela à la Caisse des Dépôts », commente Matthieu Blanc. Une progression également difficile à dater pour Samia Boujatioui, responsable groupe de la gestion de données chez Coface.
« Trois ans, je ne sais pas, mais je suis très confiante », affirme-t-elle. « Auparavant, la question de la qualité des données concernait surtout le data office et les équipes techniques, des problématiques de contrôle et de corrections techniques », explique-t-elle. « Or, ce qui fait la différence maintenant, c’est l’engagement des métiers, avec l’intégration des règles de gestion fonctionnelles directement dans nos contrôles, ce qui joue un rôle clé ».
« Ce qui fait la différence maintenant, c’est l’engagement des métiers ».
Samia BoujatiouiResponsable groupe de la gestion de données, Coface
84 % des leaders data interrogés estiment que leur organisation respectera les réglementations en matière de partage de données. Et 80 % d’entre eux anticipent qu’ils auront mis en place des portails de données métiers. Ils envisagent aussi que la gouvernance des données à l’échelle d’une entreprise sera un acquis (77 %).
Pour Sylvie Calvet, directrice du département IT business et ressource à la Banque de France et Thierry Champeroux, Chief Data officer à la MAIF, ces trois aspects –, qualité, gouvernance, conformité – dépendent d’efforts continus.
« La mise en qualité de données fait partie de notre cœur de métier, mais comme nous allons en collecter des volumes de plus en plus importants, notamment des données non structurées, l’obligation de contrôle demeure et s’accroît », souligne Sylvie Calvet. La Banque de France gère aujourd’hui plus de 13 pétaoctets de données. Elle a mis à disposition du public 45 000 séries statistiques et en partage plus de 3 millions en interne.
« Le volume de données va continuer à augmenter, notamment avec la multiplication des sources. Parallèlement, les exigences se renforcent, y compris sur le plan réglementaire, ce qui est loin d’être anodin », signale Thierry Champeroux. « À cela s’ajoute l’enjeu de l’IA qui chez nous devra améliorer la relation client ».
En photo en haut d’article : au centre, Jean-Marc Lazard, cofondateur et CEO d’Opendatasof et à droite, Erwan Lestrohan, directeur conseil d’Odoxa. Crédits photo : Gaétan Raoul