Source Solde : le détail d'un projet IT géré comme un programme d’armement

Le ministère de la Défense a tranché : c’est Sopra qui développe le nouveau système de paie de l’armée française. Source Solde doit faire oublier les multiples échecs du projet Louvois en privilégiant une approche 100% progicielle.

Gérer un projet informatique comme on gère la construction d’un sous-marin nucléaire ou un programme de développement de missile : c’était l’idée du ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian quand il a confié à la DGA (Direction générale de l'armement) la mission, ô combien difficile, de sortir nos armées du bourbier informatique qu’est devenu le projet Louvois.

Un « désastre » avait commenté le ministre lors d'une visite du centre d’expertise des ressources humaines et de la solde (CERHS) de Nancy. Le projet de « Logiciel unique à vocation interarmées de la solde » avait été lancé en 1996 pour unifier les différents systèmes de paie des armées françaises. Le coût des dysfonctionnements engendrés par Louvois a été estimé entre 150 à 200 millions d’euros par an par la Cour des Comptes.

Après trois échecs cuisants, la DGA a pris les rênes du projet et vient de signifier à Sopra la mission de mettre en place Source Solde, le successeur de Louvois.

Une gestion de projet menée comme un programme d’armement

Projet à haut risque, "Source Solde" est véritablement mené par la DGA comme un programme d’armement, avec sa phase de dialogue compétitif avec les industriels et un travail de « dérisquage » des technologies en amont du projet.

Une phase classique dans les projets d’armement où l'on passe les niveaux de maturité technologiques par différents projets de recherche et autres démonstrateurs avant de lancer un programme et de s’assurer que les technologies seront disponibles le jour J pour que l’industriel puisse développer l’arme, ici, en l’occurrence, le logiciel.

Caroline, ingénieure générale de l'armement et directrice du programme "Source Solde" évoque les phases initiales du projet : « comme dans tous les programmes d’armement, le travail a commencé par une première phase d’expression du besoin. Commencé en avril 2014, elle a abouti en avril 2015. Cela peut paraître long, mais ce fut un énorme travail de discussion avec les candidats pour que nous nous comprenions bien. Un travail qui a été mené dans un souci de complète égalité de traitement des 3 candidats en lice. Cette phase du dialogue compétitif permet d’avoir la meilleure réponse technique possible. » 

De cette phase, c’est l’offre de Sopra basée sur son progiciel HR Access qui a emporté la décision, une solution progicielle préférée aux offres basées sur SAP d’Accenture/CGI et de Atos/Steria, les deux consortiums concurrents de Sopra sur ce marché.

Un projet qui repart d’une page blanche

Après les échecs retentissants des 3 premiers Louvois, la DGA a préféré repartir d’une page blanche. La DGA et la DRH-MD, direction des ressources humaines du ministère de la Défense, se sont donc livrées à un décryptage de l’embrouillamini réglementaire qui régit le calcul des soldes de nos militaires.

« En parallèle au dialogue compétitif, nous avons rédigé les spécifications du droit indemnitaire, c'est-à-dire décrire dans le détail les spécifications de toutes les conditions qui permettent de calculer telle ou telle prime pour le militaire concerné. Là aussi, ce fut un énorme travail que la DGA a conduit avec la DRH-MD. Nous sommes arrivés à une combinatoire de 230 fiches qui décrivent tous les cas possibles pour les 250 000 militaires français. »

Un empilement de règles que Sopra va devoir faire ingurgiter à HR Access alors que Louvois avait butté sur beaucoup de spécificités du monde militaire, notamment les primes relatives aux opérations extérieures. Ce qui avait eu pour conséquence de placer de nombreux militaires en grande difficulté face aux soldes non payées, mais aussi de multiplier les trop perçus pour d’autre, plus chanceux.

En parallèle, l’armée est en train de préparer toutes les interfaces que "Source Solde" devra solliciter avec les systèmes informatiques en place pour parvenir à calculer les soldes.

Le progiciel devra pouvoir communiquer avec pas moins de 18 systèmes d’information, dont les SIRH des armées Concerto, Orchestra et Rhapsodie. Une complexité qui oblige la DGA à gérer ces projets de mise en place d’interfaces de manière extrêmement serrée pour que tout soit opérationnel à l’arrivée du premier pilote.

Autre point capital dans la fiabilisation du futur moteur de paye de l’armée, la qualité des données qui vont être chargées dans le progiciel. « Outre ce travail sur les spécifications du droit indemnitaire, nous menons un gros travail sur la fiabilisation des données qui vont devoir être chargées dans Source Solde, car si ces données ne sont pas correctes, Source Solde ne pourra pas calculer des soldes justes. C’est un chantier extrêmement complexe à mener. »

Des actions de « dérisquage » du projet menées par la DRH-MD sous la direction de la DGA, qui étaient indispensables selon la directrice du programme : « Nous avons vraiment cherché à ne laisser en phase de conception que les travaux qui sont de la responsabilité du titulaire du marché, éviter ainsi tout mélange des genres entre travaux du ressort de l’administration et de l’industriel. »

Première version attendue pour la fin de l’année

« Nous sommes depuis peu en phase de conception et de réalisation », explique la directrice de programme de la DGA. « Nous disposerons de la toute première version pilote de Source Solde en fin d’année 2015. Celle-ci va être testée avec des soldes à blanc et des soldes en double afin de nous assurer que le système fonctionne bien. »

Pour éviter au maximum l’enlisement et les délais additionnels, l’accent est mis sur un recours maximum au progiciel et éviter à tout pris les développements spécifiques.

« Le travail de réalisation consiste essentiellement dans le paramétrage du progiciel HR Access, c’est-à-dire faire entrer les spécificités des soldes du ministère de la Défense dans le progiciel. Nous allons travailler avec l’industriel via différents ateliers de conception. L’un des axes de travail du dialogue compétitif a porté sur l’approche progicielle que nous souhaitons privilégier. Nous avons voulu nous assurer qu’il n’y aurait pas de développement spécifique. »

Ainsi, une nouvelle opération extérieure des forces françaises se traduira dans HR Access comme une nouvelle condition d’octroie de prime. « Il n’y aura pas de redéveloppement à apporter à chaque nouvelle prime, pour chaque nouvelle condition d’ouverture de prime », assure l’ingénieure générale à l’armement.

L’hébergement de la plateforme Source Solde sera assuré par la DIRISI (Direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information), qui est l’hébergeur interne du ministère de la Défense. «  Source Solde touche bien évidement les données personnelles des militaires, des données qui sont extrêmement sensibles et nous prenons toutes les mesures de sécurité qui s’imposent », précise, laconique, l’ingénieure générale de l’armement. Des mesures qui excluent le recours à un datacenter d’un opérateur de Cloud, même souverain, et plus encore l’option SaaS de HR Access.

Le ministère a imposé un déploiement armée par armée

Les premiers concernés par le projet sont les armées dont les soldes sont actuellement traitées par le système Louvois, c'est-à-dire la marine, l’armée de terre et le SSA (Service de Santé des Armées).

L’armée de  l’air, qui aurait dû basculer dans Louvois, ne l’a pas fait suite aux dysfonctionnements. Elle s’appuie toujours sur leur ancien système, mais elle basculera à son tour sur Source Solde après la marine et l’armée de terre.

La gendarmerie faisant dorénavant partie du ministère de l’Intérieur est sortie du périmètre de Source Solde.

La marine sera la première à bénéficier du nouveau système avec un déploiement prévu pour début 2017, mais la directrice de programme martèle : « Le déploiement n’aura lieu que lorsque nous aurons eu toutes les assurances sur le bon fonctionnement du système. C’est le critère primordial. Nous ne basculerons une armée que lorsque toutes les conditions seront réunies pour le faire sans erreurs. Les armées basculeront une par une pour un achèvement en 2019. »

Le marché qui a été notifié à Sopra est d’un montant global maximal de 128 millions d’euros. Il couvre la réalisation, les tests, le déploiement, la conduite du changement, la formation des utilisateurs et la maintenance sur une durée de 10 ans. « Il s’agit non seulement d’une maintenance corrective, mais aussi et surtout évolutive car la réglementation évolue constamment », conclut la directrice de programme de la DGA.

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