Semi-conducteurs : l’heure est aux méga-acquisitions
Intel qui s’offre les FPGA d’Altera pour près de 17 milliards de dollars, Avago qui met 37 milliards sur la table pour les puces de Broadcom, et encore NXP par Freescale le secteur électronique connait une vague de consolidation sans précédent.
En mettant la main sur Altera pour la somme de 16,7 milliards de dollars, Intel vient de réaliser la plus grosse acquisition de son histoire.
Le leader du microprocesseur s’offre au prix fort les puces FPGA d’Altera, ses circuits logiques programmables, certes bien moins complexes que ses Intel Core ou Xeon, mais qui peuvent s’avérer extrêmement efficaces dans certaines tâches.
Interrogé par Bloomberg, Brian Krzanich, le PDG d’Intel, motive cette acquisition record par la demande ses clients pour des produits qui combinent un FPGA aux côtés d’un CPU Intel. Une demande, explique-t-il à ses investisseurs, qui vient du monte des datacenters, de l’Internet des objets et de l’automobile.
Une explication séduisante mais qui cache peut-être la motivation première du PDG d’Intel estime Mark Hung, vice-président chez Gartner : « Altera est certes présent sur les marchés verticaux tels que l’automobile et le marché IoT, mais ce n’était pas significatif pour ceux. Ce sera peut-être vrai dans le futur, mais pas à l’heure actuelle. »
Et aussi
Et effectivement, à la lecture du dernier rapport d’activité d’Altera, on comprend que si l’industrie, l’automobile et le militaire représentent 22% de son chiffre d’affaires, l’essentiel de celui-ci provient du secteur télécom/sans fil à 41% et à 19% de l’informatique et notamment des équipements réseaux. Des secteurs où Intel n’est pas parvenu à imposer ses puces.
« Intel a plusieurs problématiques à traiter aujourd’hui » ajoute l’analyste. « Le mouvement de l’IT vers le cloud or les infrastructure Cloud se composent globalement de 2 volets : la puissance calcul d’un côté, le réseau de l’autre. » Si Intel maitrise presque totalement le marché des serveurs pour datacenter, c’est loin d’être le cas dans les équipements réseaux.
La plateforme x86 progresse aussi dans ce secteur, mais Intel est loin de dominer le marché. « Sur la partie réseau, Intel reste un petit acteur. En 2014, ils ont réalisé un chiffre d’affaires de l’ordre du milliard de dollars sur ce marché, ce qui fait d’eux un acteur mineur. Or pratiquement la moitié du chiffre d’affaires d’Altera est réalisé sur le marché des équipements réseaux. Ils vendent énormément de composants FPGA aux OEM de ce secteur. Il y a très peu d’overlap entre Intel et Altera, tant sur les produits que sur les marchés. Ce qu’Altera apporte à Intel, c’est un portefeuille produit élargi sur des marchés qu’il ne domine pas déjà. »
Vers l’apparition de puces hydrides
En réalisant l’acquisition d’Altera, Intel s’achète donc des parts de marché sur ces segments où il n’est encore qu’outsider, mais il prépare aussi l’avenir.
En effet, pour beaucoup d’analystes, les composants FPGA vont permettre de passer un nouveau palier en termes de puissance et d’efficacité énergétique. Alors que la fréquence d’horloge des processeurs plafonne, qu’il devient de plus en plus couteux d’améliorer la finesse de gravure, Brian Krzanich évoque une autre voie : celle de coupler le CPU avec un composant FPGA.
Mark Hung développe cette idée : « Ils ont annoncé leur volonté de commercialiser un CPU et une puce FPGA au sein d’un même package afin d’augmenter les performances. La technologie FPGA que maitrise Altera apporte à Intel un différenciateur sur le marché des CPU pour serveurs. Ils vont avoir la possibilité d’intégrer le FPGA et le CPU sur le même « die », c’est-à-dire sur la même puce, ce qui va leur permettre d’offrir une performance encore accrue pour une consommation électrique moindre et une économie de couts. »
Avec ses APU (Accelerated Processing Init) AMD avait misé sur un couplage entre CPU et GPU qui l’avait alors poussé à acheter ATI en 2006. La chute du marché du PC et la montée en puissance du Cloud pousse Intel à préférer le couplage CPU/FPGA, une solution qui étaient notamment très attendue dans le monde du calcul intensif.
Intel verrouille la production d’Altera sur ses « Fabs »
Outre ces motivations purement stratégiques pour Intel, cette acquisition va régler le problème du contrat de fabrication qu’avaient signé Altera et Intel en février 2013.
Altera, qui confiait jusqu’alors la production de ses puces au taïwanais TSMC, annonçait choisir Intel pour produire ses puces. Intel était alors en train de travailler sur l’industrialisation de la production de puces en 14nm. Ce contrat évalué à 500 millions de dollars par an.
Or la mise en place du 14 nm dans les « Fabs » du californien s’est avérée bien plus compliquée que prévu.Ce qui a poussé Intel à retarder le lancement de la production de ses puces d’architecture « Haswell » mais aussi excéder le PDG d’Altera.
Le passage au 40 nm en 2008 avait permis à Altera de reprendre des parts de marché à son rival de toujours Xilinx qui avait dû attendre un an de plus pour accéder à son tour à cette technologie. Altera, qui espérait refaire le même coup en 2015 grâce au 14nm Tri-gate d’Intel voyait son avantage partir en fumée à cause des retard d’industrialisation d’Intel.
Altera a alors menacé ouvertement Intel de casser ce contrat, de retourner chez TSMC et de se contenter du 20nm de ce dernier. L’acquisition par Intel clôt définitivement la question.
L’ogre Avago avale Broadcom grâce à un prêt record
Si cette acquisition à 16,7 milliards de dollars peut sembler titanesque, que penser des 37 milliards de dollars pour celle de Broadcom par Avago ?
Encore peu connu, le singapourien Avago Technologies est né de la fusion des activités d’Agilent Technologies (ex-HP) et de LSI Logic, racheté en 2013 pour 6 milliards de dollars. En gobant Broadcom, Avago vient se placer en troisième position du marché mondial de des semi-conducteurs, derrière Intel et Qualcomm (marché des mémoires mis à part).
S’il s’agit d’un échange d’action pour 20 milliards de dollars et d’un paiement en cash pour les 17 milliards restant, cette acquisition reste la plus grosse transaction jamais réalisée dans l’industrie électronique.
Avago poursuit donc une stratégie de consolidation du marché forcenée car, outre l’acquisition de LSI, le singapourien s’était offert PLX Technologies en 2014 et surtout Emulex au début de l’année.
En prenant le contrôle de Broadcom, Hock E. Tan, PDG d’Avago, réussit un joli coup de poker car Avago a réalisé un chiffre d’affaires de 4,27 milliards de dollars en 2014, contre 8,43 milliards pour Broadcom, près de deux fois plus gros que lui.
Si Hock E. Tan prend la direction du nouvel ensemble, notamment grâce à un emprunt de 9 milliards de dollars, la marque Avago va disparaitre au profit de Broadcom, bien plus connu sur le marché grâce à ses puces Wi-Fi, ses puces de communications et de stockage.
Le coût astronomique des unités de fabrication pousse à la concentration des acteurs
Le nouvel ensemble valorisé à 77 milliards de dollars va représenter un chiffre d’affaire annuel de 15 milliards de dollars. Pas de quoi effrayer Qualcomm, le roi des composants pour mobiles qui occupe la seconde marche du podium avec un chiffre d’affaires confortable de près de 26,5 milliards de dollars, un chiffre en progression rapide.
Pourtant, les actionnaires de Qualcomm rendent sa position moins confortable qu’il n’y parait.
Estimant le titre sous-coté par rapport à ses concurrents, ceux-ci ont demandé à l’équipe dirigeante de l’entreprise de séparer l’activité fabrication de composants de celle de l’exploitation du portefeuille de brevets, bien plus rentable. Car si le chiffre d’affaires est au plus haut, les profits de Qualcomm sont en baisse et l’action a perdu plus de 11% en 1 an. Jana Partners, le fond activiste de Barry Rosenstein qui détient 2 milliards de dollars d’action Qualcomm pousse vers une scission de ces activités.
Pour Qualcomm tout comme pour Intel, le coût des unités de production, les « Fabs » dans le jargon du secteur, est en train d’exploser.
On se souvient qu’Intel a même renoncé à mettre en production la Fab 42, la nouvelle usine qu’il a construite en Arizona et qui devait être la vitrine du groupe sur la technologie 14 nm. L’usine est restée vide, Intel ayant finalement préféré investir sur ses sites existants plutôt que de dépenser 5 milliards de dollars de plus pour installer ses machines en Arizona.
Autre exemple, celui de Samsung. Le coréen a voulu s’affranchir de TSMC pour produire les mémoires et les puces de ses smartphones. Il a lancé la construction de la plus grande usine de semi-conducteurs au monde, à Pyeongtaek en Corée du Sud. L’usine doit être deux fois plus grande que son usine actuelle « S1 ». Le coût initial de cette « Fab » est pharaonique : 14,4 milliards de dollars. C’est l’usine la plus chère jamais bâtie dans le monde, tous secteurs industriels confondus.
Un investissement que le coréen compte bien amortir en l’ouvrant aux autres industriels pour lesquels il est prêt à produire leurs composants sur l’une des 5 chaines de production de sa futur usine.
Que ce soit pour construire ces usines gigantesques ou même seulement pouvoir bénéficier de conditions correctes en termes de délais et de prix pour placer leurs productions dans les usines existantes, les industriels de semi-conducteurs doivent être les plus gros possibles.
Outre ces 2 méga-acquisitions, on peut aussi évoquer l’acquisition du néerlandais NXP par Freescale pour 11,8 milliards de dollars en mars 2015, celle des capteurs photo d’Omnivision Technologies par le chinois Hua Capital pour 1,9 milliard de dollars, les puces vidéo HD de Silicon Image par Lattice Semiconductor pour 600 millions de dollars, ou encore les mémoires ISSI par Summitview Capital pour 640 millions de dollars. Un simple aperçu des acquisitions majeures qui ont eue lieu dans le secteur ces derniers mois.
Une multiplication des acquisitions qui ne va pas s’arrêter de sitôt car outre les grands mouvements telluriques du marché avec ce glissement des PC vers les mobiles ou encore de l’essor des datacenters géants et du Cloud, se profile la prochaine révolution, celle des objets connectés.
Que ce soit l’automobile connecté ou tous les objets de notre quotidien, tous vont avoir besoins de puces de tous types. De nouveaux acteurs vont émerger, de nouvelles proies à venir pour les géants des semi-conducteurs.