Les FPGA d’Intel passent sous le giron d’une entité autonome

La nouvelle société Altera a désormais les mains libres pour développer et vendre des FPGA. Pour Intel, il s’agit de libérer ses différentes activités d’une certaine inertie afin de maximiser les opportunités de revenus.

C’est la nouvelle stratégie d’Intel : transformer ses divisions en entreprises (plus ou moins) autonomes. Le 21 février, le fondeur annonçait qu’il passerait cette année ses usines sous la tutelle d’une nouvelle entité juridique baptisée Intel Foundry. Ce week-end, il a confirmé que la fabrication de ses FPGA était désormais l’activité de la compagnie Altera – du même ancien nom commercial de cette gamme de puces.

Comme cela avait été annoncé en octobre, la PDG de cette nouvelle compagnie est Sandra Rivera, l’ex-patronne des Xeon chez Intel. Dans les deux cas, la maison mère Intel restera l’actionnaire majoritaire.

Altera était le nom original du développeur de FPGA qu’Intel a racheté en 2015. Depuis lors, cette activité était poursuivie chez Intel dans la division PSG (Programmable Solutions Group). Parmi les concurrents d’Altera, on trouve Xilinx, l’entité dédiée au développement de FPGA qu’AMD a rachetée en 2020.

Dans la foulée de cette réorganisation, le catalogue des modèles de FPGA produits par Altera est clarifié. En entrée de gamme, les Agilex 3 succèdent aux Cyclone pour concevoir des cartes contrôleurs capables d’accélérer les transmissions de données sur le réseau local. Selon Intel, il s’agit du segment de marché le plus prometteur, avec des dizaines de milliers de startups ou de constructeurs susceptibles de bâtir un produit à base d’Agilex 3.

En milieu de gamme, l’Agilex 5 succède aux Arria pour concevoir des cartes accélératrices dans les traitements de données. Manifestement, Intel veut croire qu’un marché pour des cartes accélératrices d’IA va se bâtir sur la base de l’Agilex 5. À cette fin, il propose déjà un kit qui permet d’implémenter dans les circuits des Agilex les algorithmes les plus courants de Machine learning, dont TensorFlow.

En haut de gamme, les Agilex 7 et 9 sont plutôt destinés à la conversion massive de données dans les grands datacenters des hyperscalers où ils sont économes en énergie pour les premiers, et dans les équipements militaires et de l’aérospatiale pour les seconds.

On notera une certaine cohérence marketing avec les processeurs Core x86 d’Intel, également numérotés 3, 5, 7 et 9 selon leur niveau de gamme.

Une segmentation technique du groupe Intel

Techniquement, la séparation d’Intel en différentes entités autonomes suit une certaine logique. La maison mère Intel continue de plancher sur le développement des designs x86, en les composant de différents circuits fonctionnels (GPU, mémoire intégrée HBM, etc.). À l’heure actuelle, certains de ces circuits sont fabriqués dans les usines taiwanaises de TSMC.

Intel Foundry porte de son côté l’ambition de relancer la filière industrielle de semiconducteurs en Occident, avec des usines situées aux USA et en Europe. Cette entité a vocation à talonner TSMC en remplissant les carnets de commandes avec la fabrication de tous types de puces. Elle se veut notamment le foyer industriel des processeurs RISC-V, qui sont susceptibles de concurrencer les processeurs ARM avec des cœurs encore moins énergivores et, surtout, libres de toute licence.

Enfin, Altera va développer des FPGA, des puces que l’on reprogramme pour produire des cartes accélératrices en petit volume (prototypes des ASIC qui, eux, sont fabriqués à grande échelle). Et ces FPGA-là ont systématiquement des cœurs ARM pour exécuter du code générique. C’est d’ailleurs pour cela que certains modèles sont fabriqués dans les usines de TSMC ou de Samsung.

Si les trois entités étaient restées ensemble, on aurait pu reprocher à Intel de ne plus être très clair quant à la technologie processeur qu’il compte favoriser. En répartissant les trois technologies x86, RISC-V et ARM dans trois entreprises « juridiquement autonomes », la question se pose moins. Et chaque entité a les mains libres pour générer du revenu, quitte à marcher sur les plates-bandes stratégiques des deux autres.

Et une segmentation financière

Car c’est manifestement l’autre ambition de cette segmentation du groupe en entités « juridiquement autonomes » : séparer les comptabilités. Intel laisse entendre qu’Altera pourrait ainsi bientôt entrer en bourse pour gonfler son capital, sans que cela n’influence le développement des processeurs x86 ni celui de ses usines.

Il est permis de supposer qu’un sort similaire sera réservé à Intel Foundry. L’enjeu est de trouver des financements en exposant des activités plus ciblées, qui servent plus précisément les intérêts de différents groupes susceptibles d’investir.

« L’objectif de l’équipe responsable des usines est de remplir les usines. Et de livrer des composants au plus grand nombre de clients possible dans le monde. Nous voulons que ce soient les usines au service du marché entier », avait déclaré Pat Gelsinger, le PDG d’Intel, lors de l’annonce du remplacement prochain de la division IFS par l’entreprise autonome Intel Foundry.

En l’occurrence, les revenus de cette activité ont doublé entre 2022 et 2023, grâce à la location des chaînes de fabrication à d’autres acteurs des semiconducteurs : l’Israélien Tower Semiconductor et le Taiwanais UMC. Et tant pis si ceux-ci ne viennent que pour augmenter leur production des puces basées sur d’anciennes technologies en 65 et en 12 nm, du moment que l’argent rentre.

« Cela a conduit à un chiffre d’affaires annuel en 2023 de 952 millions de dollars pour les usines d’Intel. C’est une progression notable. Mais cela reste encore très loin des 69 milliards de dollars annuels de TSMC ou même des 51 milliards de dollars des usines de semiconducteurs de Samsung », commente l’analyste financier Dan Nystedt, qui est basé à Taipei. « À date, on ne sait pas encore bien où Intel va trouver les dizaines de milliards de dollars qu’il doit encore investir pour que ses usines rattrapent leur retard. »

La question financière est extrêmement tendue. Intel a déjà été contraint de reporter de 2025 à 2026 l’ouverture de sa nouvelle usine de fabrication de puces à 20 milliards de dollars dans l’Ohio. En partie à cause d’un délai plus long que prévu pour recevoir des milliards de dollars de subventions au titre de la loi Chips and Science Act de 2022. Cette loi concrétise l’octroi par le gouvernement des USA de près de 53 milliards de dollars d’aides publiques pour accroître la production locale de semiconducteurs. Hélas, une partie de cette somme ira à TSMC pour qu’il s’installe aux USA.

Intel est aussi parti chercher des fonds en Europe, où l’UE met en place son propre Chips Act. Intel a, d’une part, intégré l’entreprise de financement commune Chips JU et, d’autre part, obtenu des financements individuels auprès de différents États européens pour s’installer sur leurs territoires. Il promet notamment à l’Allemagne de relancer son activité industrielle et à la France d’y développer des centres de design.

Sortir de la spirale infernale des pertes de parts de marché

La quête tous azimuts d’arguments pour convaincre frôle parfois, chez Intel, les limites du raisonnable. Récemment, l’organisme SPEC lui reprochait d’avoir truqué les chiffres de performances de sa précédente génération de processeurs Xeon.

Dans un autre genre, Intel baptise désormais ses avancées successives avec des numéros à rebours : des gravures Intel 7, Intel 4 et Intel 3 vont ainsi se succéder cette année, avant de basculer sur une autre numérotation (20A, 18A et 14A).

Intel laisse entendre qu’il s’agit de nanomètres et d’Angströms (unité de mesure dix fois plus petite que le nanomètre), en écho aux communiqués de TSMC, qui a été le premier à savoir fabriquer des puces avec une précision de gravure de 7, 5 et désormais 3 nanomètres. Mais, dans les faits, les processeurs qui bénéficient actuellement de l’Intel 7 sont gravés avec une précision de 10 nm.

Il faut dire qu’Intel joue son va-tout pour sortir d’une spirale infernale de pertes de parts de marché. Elle a commencé au début des années 2010, lorsque Intel n’a pas voulu croire aux processeurs ARM et a, de fait, laissé les usines asiatiques s’emparer de la fabrication des puces pour mobiles.

Cette activité a incroyablement enrichi des acteurs comme TSMC, désormais numéro 1 mondial de la fabrication de semiconducteurs. Au point que TSMC a su moderniser ses usines bien plus rapidement que celles d’Intel et ainsi pu proposer à ses concurrents de fabriquer des processeurs plus avancés que les Intel Core et Xeon qui dominaient pourtant le maché des PC et des serveurs.

Les deux exemples les plus parlants sont pour Intel la perte du marché des machines Apple – qui développe désormais ses propres processeurs – et, pour AMD, l’obtention en 2023 de 23,1 % de parts de marché sur les serveurs, ainsi que de 20,1 % des parts de marché sur les PC. Alors qu’AMD avait pratiquement disparu du marché des puces x86 à la fin des années 2010.

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