Atos veut s'emparer de Gemalto, en plein plan social

Atos a annoncé aujourd'hui son intention de racheter Gemalto pour 4,3 milliards d'euros. Une offre qui intervient alors que le spécialistes historique de la carte à puce et de la sécurité informatique est en plein plan social, un plan qui affecte notamment les établissements du sud (ex-Gemplus). LeMagIT fait le point depuis Paris et Gémenos.

Atos a annoncé aujourd’hui son intention de racheter Gemalto, le champion historique de la carte à puce et de la sécurité. L’annonce n’est pas vraiment une surprise. L’intérêt de la SSII dirigée par Thierry Breton pour le néerlandais — bien que français, Gemalto est pour des raisons fiscales établies aux Pays-Bas — était un secret de polichinelle pour les salariés de la firme.

Le problème est que cette annonce intervient en plein milieu d’un plan social chez Gemalto. Aujourd’hui, la firme présentait ainsi en CCE le plan social en cours. Ce dernier vise à supprimer 288 postes en France, soit 10 % des effectifs. En l’état, il touche essentiellement les sites de la société dans le sud de la France, à La Ciotat et Gémenos, à l'Est de Marseille.

Ces deux sites, qui emploient un total de 1700 personnes, sont visés par 207 des suppressions de postes prévus par le groupe. La grogne est de mise du côté des salariés, puisque les conditions avancées par le groupe sont jugées méprisantes. Gemalto proposerait ainsi le minimum légal, associé d’un bonus de 1500 € par année d’ancienneté plafonné à 15K pour les volontaires. Ces mêmes salariés sont prompts à pointer du doigt les rémunérations et distributions d’actions généreuses que se sont alloués cette année les dirigeants d’un groupe, qui a pourtant multiplié les « profit warnings ».

Des salariés du site de la Ciotat accrochent une banderole pour protester contre le plan social annoncé par Gemalto

La présentation du plan social passe d’autant plus mal que la société, malgré sa mauvaise passe actuelle, devrait dégager près de 300 millions d’euros de bénéfice pour un chiffre d’affaires d’un peu moins de 3 milliards d’euros. Elle s’est donc traduite par des débrayages massifs des personnels de ces deux sites spécialisés dans le bancaire et les télécoms, des sites pourtant massivement peuplés de cadres, généralement peu enclins à une telle mobilisation.

Roland Giberti, le maire de Gémenos, accueille
les salariés des sites Gemalto de Gémenos et La Ciotat

Après une mobilisation sur le site Gemalto de Gémenos, près de 500 salariés se sont dirigés vers la mairie de Gémenos où ils ont été reçus par Roland Giberti, le Maire de la cité, par ailleurs vice-président de la métropole marseillaise.

C’est dans cette ambiance électrique que les salariés ont pris connaissance ce matin de l’offre d’Atos. Une offre accueillie plutôt fraîchement. D’autant que certains soupçonnent Gemalto d’alléger sa structure pour rendre la mariée plus belle à la firme dirigée par Thierry Breton. Ces mêmes salariés s’inquiètent aussi des conséquences à venir d’un rachat par Atos, d’autant que l’offre de ce dernier n’évoque même pas l’activité télécoms (le cœur du site de la Ciotat) et qu’elle semble afficher un profond désintérêt pour les activités industrielles du groupe (qui possède des usines à Gémenos et Pont-Audemer en France). Le site de personnalisation de cartes bancaires de Gémenos a ainsi brièvement débrayé aujourd'hui en soutien aux grévistes, même s'il n'est pour l'instant pas touché par le plan social.

La crainte ici à La Ciotat et Gémenos est qu'un rachat de Gemalto par Atos pourrait encore amplifier l’impact du plan social actuel dans le sud de la France, surtout si Atos, comme certains lui en prêtent l’intention cherchait finalement un partenaire pour reprendre l’activité télécom qui ne semble guère l’enthousiasmer. Le passé de « cost cutter » de Thierry Breton chez Thomson et Orange n’inspire visiblement guère les salariés locaux.

Des élus locaux en discussion avec les salariés après le CCE sur le plan social, ce mardi 12 décembre à Gémenos

Une offre de rachat qui se veut « amicale »

Dans son communiqué, Atos indique avoir « remis au Conseil d’Administration de Gemalto le 28 novembre 2017 une offre amicale, attractive et qui prend en compte les intérêts de l’ensemble des parties prenantes ». L’offre valorise Gemalto aux environs de 4,3 Md €, soit 46 € par action Gemalto — avec une prime de 42 % sur le dernier cours de bourse de clôture au 8 décembre 2017. Elle n’a pour l’instant pas reçu de réponse de la part de Gemalto.

Selon Atos, la transaction proposée renforcerait les activités de Gemalto et conduirait à l’émergence d’un leader mondial des technologies de la cybersécurité et des services numériques,

Pour Thierry Breton, « Atos a suivi au cours des dernières années et avec un intérêt certain la transformation de Gemalto en un acteur de référence de la sécurité numérique, de l’internet des objets, et du paiement. Sa présence mondiale et son portefeuille unique de technologies et de clients constituent des atouts majeurs sur le marché. Nous sommes convaincus que le rapprochement de nos deux groupes permettrait d’asseoir une position de leader mondial en cybersécurité, technologies digitales et services numériques, et de renforcer nos positions d’acteur européen de référence des services transactionnels de paiement électronique. »

Atos convoite les activités sécurité et paiement de Gemalto

Selon Atos, un rachat de Gemalto permettrait à la SSII de disposer d’une offre élargie dans les technologies et services de cyber sécurité et de sécurité nationale. Elle donnerait naissance à un nouveau leader mondial sur le secteur avec un chiffre d’affaires de l’ordre d’1,5 milliard d’euros.

La SSII convoite notamment l’offre de Gemalto en matière de gestion et de protection des identités et de gestion et chiffrement des données (largement issue du rachat de Safenet). Elle lorgne aussi sur le business gouvernemental de Gemalto — documents d’identité, biométrie, etc. —, récemment conforté par le rachat de l’activité Identity Management de 3M (ex-Cogent), dont les technologies équipent notamment la TSA américaine et plusieurs entité du Homeland Security, dont le CBP (Customs and Border Protection)

Atos met aussi en avant une offre renforcée dans l’internet des objets et les solutions « machine-to-machine » qui pourra s’appuyer, d’une part sur la solution Codex d’Atos en analyse des données et intelligence artificielle, et d’autre part sur son « expertise sectorielle combinée à ses relations clients développées sur le long-terme, avec un chiffre d’affaires combiné d’environ 1 milliard d’euros ».

Enfin, un rachat de Gemalto permettrait à Atos de renforcer sa position sur le marché des services de paiement. Selon la firme, « Les synergies entre les activités de Worldline, Gemalto et Atos s’appuieront sur des capacités de bout en bout sur la chaîne de valeur et sur de fortes complémentarités aux niveaux géographique, technologique et des services ».

Afin de rassurer les salariés de Gemalto, Atos met en avant sa capacité à intégrer ses acquisitions, en particulier avec l’intégration réussie des 33 000 salariés de Siemens IT, des 9 300 salariés de Bull ou encore des 9 600 salariés de Xerox ITO.

La firme souligne sa volonté de « mobiliser les salariés des deux groupes en les intégrant au sein du projet d’entreprise et en assurant une poursuite des opérations et le développement d’une vision stratégique commune ». Elle promet un « accueil des salariés de Gemalto dès le premier jour en promouvant une culture commune fondée sur l’excellence technologique et scientifique, l’esprit d’équipe et d’appartenance à un groupe mondial idéalement positionné pour faire face aux défis futurs ». Elle met enfin en avant la création d’opportunités pour les salariés de Gemalto en leur permettant d’accéder à de nombreux programmes de développement des compétences déjà en place au sein du groupe Atos.

Un jeu de mécano financier à plusieurs bandes ?

Plus froidement, une acquisition réussie de Gemalto pourrait ouvrir la voie à la cotation d’une entité séparée centrée sur la sécurité numérique, une opération qui selon l’expression consacrée « libérerait de la valeur » pour les actionnaires d’Atos.

Elle pourrait aussi se traduire par la vente à un tiers des activités télécoms de Gemalto, malmenées par la chute du marché des cartes SIM traditionnelles et par la douloureuse transition vers les e-SIM qui devrait commencer en 2018 et s’accélérer en 2019.

Atos a ainsi indiqué qu’il envisage des partenariats pour l’activité cartes SIM de Gemalto et qu’il aurait déjà été contacté par des partenaires potentiels, sans toutefois les nommer.

Il serait assez ironique que cette division finisse chez Idemia, l’entité née de la fusion entre l'ex-Oberthur Technologies (contrôlé par le fonds américain Advent) et Safran Identity (ex-Morpho). Oberthur Card Systems était en effet avec Axalto et Gemplus l’un des trois champions de la carte SIM avant le jeu de mécano qui a abouti à la situation actuelle sur le marché des cartes SIM…

Pour mémoire, rappelons que BPI France qui détient un bloc de 9 % du capital de Gemalto — et qui a donné son aval à l’OPA d’Atos sur Gemalto — contrôle aussi les 5 % du capital d’Idemia non détenus par Advent.

Didier Lamouche, le PDG d’Idemia était aussi l’ex-PDG de Bull entre 2005 et 2010, une période au cours de laquelle Thierry Breton était ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie (2005-2007). On peut enfin rappeler qu’en 2000, Bull avait cédé sa division carte à puce à Axalto, devenu depuis Gemalto. Le monde français des technologies est décidément très petit.

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