Comment Veolia a déployé des IA en mode « Edge » dans ses stations d’épuration

C’est vers une technologie très innovante que Veolia Eau s’est tournée afin de faire basculer les installations de ses stations d’épuration vers la maintenance prédictive. Le boîtier connecté Bob exécute les modèles de Machine Learning directement au niveau des machines et les résultats sont étonnants.

Si beaucoup d’industriels, qu’ils s’agissent des secteurs automobile, aéronautique, de l’énergie s’intéressent de près à la maintenance prédictive, pour beaucoup, l’investissement initial est trop élevé. Constituer un Data Lake et se doter de Data Scientist n’est pas un sport de masse. Pour sa centrale d’épuration d’Angers, Veolia a adopté avec une startup, Cartesiam et un constructeur d’objets connectés, Éolane, une approche radicalement différente.

Le dĂ©fi : faire tourner un modèle prĂ©dictif directement sur un microcontrĂ´leur

Son partenaire, Cartesiam, est un petit Ă©diteur basĂ© Ă  Toulon qui a crĂ©Ă© une technologie unique d’ Â« IA NanoEdge Â» Ă©tonnante. Joel Rubino, fondateur de Cartesiam dĂ©taille son innovation : « Nous proposons une solution d’IA de type NanoEdge. Nous plaçons l’IA lĂ  directement oĂą le signal lui-mĂŞme devient data, en sortie de capteur. Notre moteur de Machine Learning fonctionne Ă  ce niveau et il est capable de faire Ă  la fois l’apprentissage et l’infĂ©rence d’un modèle. Â»

La startup a développé un moteur de Machine Learning qui s’installe sur un simple microcontrôleur, le composant qui collecte lui-même la donnée du capteur. Cela permet de faire tourner le modèle prédictif directement dans un petit boîtier connecté, LoRa, qui vient se fixer sur la machine dont on veut suivre le fonctionnement.
« Les librairies classiques, type Tensorflow, ne fonctionnent pas sur un microcontrĂ´leur donc nous avons redĂ©veloppĂ© un moteur d’IA capable de fonctionner dans l’environnement extrĂŞmement frugal d’un microcontrĂ´leur. Nous livrons Ă  nos clients une librairie avec un moteur de Machine Learning qui va offrir 3 fonctions de base : intitialize, learn, detect. Â»

Ce fonctionnement simplifié à l’extrême constitue le deuxième tour de force de Cartesiam et Éolane, l’industriel avec qui l’éditeur a travaillé pour embarquer son moteur dans un petit objet connecté. Il suffit d’envoyer un ping LoRa vers l’objet connecté qui embarque la puce pour placer l’IA en mode apprentissage puis, quelques jours plus tard un autre ping pour que le boîtier soit en mode inférence et donc exécute le modèle qui a appris à reconnaitre le fonctionnement type de l’équipement sur lequel il est fixé.

« Cette approche permet d’intĂ©grer des fonctions d’IA dans tous les objets très rapidement, sans avoir Ă  faire appel Ă  des Data Scientists pour aller chercher les donnĂ©es, les nettoyer puis faire de l’apprentissage. Â»
Joel RubinoFondateur de Cartesiam

En cas de vibrations ou tempĂ©ratures anormales, le boĂ®tier, baptisĂ© Bob envoie une alerte. « Cette approche permet d’intĂ©grer des fonctions d’IA dans tous les objets très rapidement sans avoir Ă  faire appel Ă  des Data Scientists pour aller chercher les donnĂ©es, les nettoyer puis faire de l’apprentissage Â» ajoute Joel Rubino.

Bob Assistant, le Shazam des vibrations pour Veolia

Pas de Data Lake, pas de Data Scientist, c’est ce fonctionnement ultra simplifiĂ© qui a sĂ©duit Fabien Boudaud, directeur territoire eau de Veolia : « Nous avions rencontrĂ© Cartesiam sur la CitĂ© des objets connectĂ©s et nous avons commencĂ© ce partenariat avec eux et Éolane pour le volet industriel. Nous avons alors dĂ©cidĂ© de tester ce type de capteur sur tous les Ă©quipements que nous exploitons pour le compte des collectivitĂ©s et industriels dans les mĂ©tiers de l’eau. Â»

Trois Proof-of-Concept sont rapidement lancés afin de tester cette approche dans 3 usines Veolia différentes et permettre à la startup de peaufiner son moteur d’IA ainsi que l’objet connecté. Si beaucoup d’industriels s’intéressent à cette approche, dont Airbus, RATP, SNCF, Air Liquide, Saint Gobain, Veolia est aujourd’hui le premier à déployer des capteurs intelligents de manière industrielle sur ses installations.

HervĂ© Benhammou, IngĂ©nieur d’études en charge des projets techniques chez Veolia retrace le dĂ©but de ce projet : « Nous avons testĂ© cet objet connectĂ© sur la station d’épuration d’Angers, ce qui nous a aussi permis de changer notre façon d’apprĂ©hender la maintenance des Ă©quipements, passer d’une maintenance prĂ©visionnelle systĂ©matique Ă  une maintenance prĂ©dictive avec l’aide de Bob. Â»

Bob, l’objet connecté mis au point par Cartesian et Éolane intègre un moteur d’intelligence artificielle s’exécutant sur un simple microcontrôleur.
Bob, l’objet connecté mis au point par Cartesian et Éolane intègre un moteur d’intelligence artificielle s’exécutant sur un simple microcontrôleur. - ©Veolia

Veolia Eau gère des milliers d’équipements sur ces stations d’épuration ou de production d’eau et si certains Ă©quipements sont doublĂ©s ou triplĂ©s, certains gros Ă©quipements critiques ne peuvent ĂŞtre redondĂ©s du fait de leur coĂ»t. Ce sont ces Ă©quipements critiques que l’équipe projet a dĂ©cidĂ© de surveiller via l’IA de Bob. « Le premier avantage de Bob, c’est de pouvoir faire une surveillance en temps rĂ©el et ne plus Ă  devoir attendre des rapports Ă©ditĂ©s dans la nuit. Surtout, le système gĂ©nère la bonne information. Il gĂ©nère des alarmes auprès des Ă©quipes de maintenances, des exploitants. Le public concernĂ© dispose de la bonne information au bon moment. Â»

Bob va générer une alarme sur l’équipement sur lequel il est placé, si celui-ci dévie de son comportement vibratoire habituel, signe d’une panne potentielle. Bob va générer une alarme sur l’équipement sur lequel il est placé, si celui-ci dévie de son comportement
vibratoire habituel, signe d’une panne potentielle. ©Veolia

L’information glanée via Bob est aujourd’hui en train de transformer les méthodes de maintenance de Veolia. L’analyse délivrée par le petit boîtier permet de décaler certaines maintenances, en supprimer certaines ou même, dans certains cas, rapprocher des opérations de maintenance.

Car Bob est capable d’indiquer en temps rĂ©el toute dĂ©rive de fonctionnement d’un Ă©quipement de la station. « Nous avons plus d’une dizaine de capteurs installĂ©s sur les Ă©quipements critiques de la station d’épuration Â» rĂ©sume Fabien Boudaud, directeur territoire eau de Veolia. « Les gros compresseurs d’air, très Ă©nergivores, les agitateurs qui permettent de produire du biogaz, des ventilateurs de dĂ©sodorisation, enfin de grosses centrifugeuses pour le traitement des boues, très critiques dans l’exploitation de l’usine, sont Ă©quipĂ©es d’un ou plusieurs capteurs. Â»

Une version ATEX de Bob a été conçue pour les environnements explosifs

Autre exemple d’équipement critique dans le fonctionnement de cette station, le digesteur qui produit le biogaz qui est ensuite purifiĂ© et rĂ©injectĂ© dans le rĂ©seau gaz de la communautĂ© d’agglomĂ©rations d’Angers. Cet Ă©quipement a dĂ©jĂ  connu un arrĂŞt la production pendant 3 mois. Veolia a travaillĂ© avec Cartesiam et Éolane afin de crĂ©er une version ATEX (fonctionnement en atmosphère explosive) du boĂ®tier Bob et le placer au niveau des Ă©quipements du digesteur.

HervĂ© Benhammou souligne : « Le boĂ®tier a dĂ©jĂ  pu dĂ©montrer son efficacitĂ© car il a pu signaler de graves difficultĂ©s de fonctionnement. Ce qui  a permis Ă  l’équipe maintenance de modifier les rĂ©glages de l’équipement et Ă©viter une nouvelle panne du digesteur. Bob Ă©met une alerte lorsque le spectre vibratoire change par rapport Ă  celui de la phase d’apprentissage, ce qui permet Ă  l’équipe de maintenance d’aller sur place pour dĂ©panner avec les bonnes informations en main sur l’état de l’équipement en question. Â»

La disponibilité de l’installation est cruciale pour Veolia, son exploitant, car la génération de biogaz représente 1,5 million d’euros de recettes pour la collectivité Angers Loire Métropole, soit 5 000 € de perte par jour en cas d’interruption de fonctionnement.

« Le ROI c’est à la fois cette continuité de service et le maintien des recettes pour la collectivité. »
Fabien BoudaudDirecteur territoire eau, Veolia

« En 2018, deux anomalies ont pu ĂŞtre dĂ©tectĂ©es grâce aux capteurs Bob, ce qui nous a permis d’intervenir très tĂ´t dans la maintenance de l’agitateur et de faire en sorte que la continuitĂ© de service puisse ĂŞtre assurĂ©e. Le ROI c’est Ă  la fois cette continuitĂ© de service et le maintien des recettes pour la collectivitĂ© Â» rĂ©vèle Fabien Boudaud.

Le deuxième enjeu est environnemental. Quand le digesteur est Ă  l’arrĂŞt, le biogaz est toujours produit, mais il doit ĂŞtre torchĂ©, le mĂ©thane doit ĂŞtre brulĂ©, ce qui dĂ©gage du CO2 et des impuretĂ©s dans l’atmosphère. L’enjeu est le mĂŞme pour les compresseurs d’air utilisĂ©s pour aĂ©rer les bassins. En cas de panne, l’effluent n’est plus dĂ©polluĂ© au niveau optimal et il en rĂ©sulte une pollution possible de la Maine, avec des pĂ©nalitĂ©s Ă©ventuelles de la part de la collectivitĂ© au nom de la police de l’eau. En outre, l’optimisation de ses pompes, qui consomment 4 millions de kW consommĂ©s annuellement, peut laisser prĂ©sager une Ă©conomie de 5 % Ă  10 % de la facture Ă©lectrique de ses pompes.

Une interface ultra simplifiée pour les techniciens

Si les courbes des frĂ©quences de vibrations mesurĂ©es par les boĂ®tiers Bob intĂ©ressent au premier chef les ingĂ©nieurs, une information plus synthĂ©tique est nĂ©cessaire aux techniciens qui doivent mener les interventions sur les Ă©quipements. Le système envoie donc des SMS et emails d’alerte en cas de franchissement de seuil et d’autre part, une nouvelle page a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e sur le système SCADA de contrĂ´le de l’installation, avec un feu tricolore par boĂ®tier Bob. Tout cela afin d’indiquer aux techniciens que tout va bien pour l’équipement « porteur Â», qu’il faut s’inquiĂ©ter ou enfin qu’il y a un problème avĂ©rĂ© si le feu rouge est allumĂ©.

« Après un an d’essai puis de production sur la station d’épuration, nous n’avons eu Ă  dĂ©plorer aucune casse d’équipement critique Â» explique HervĂ© Benhammou. « Par contre, nous avons dĂ» conduire une politique d’accompagnement du changement, car l’équipe de maintenance locale craignait pour ses postes. Il a fallu expliquer, donner des exemples et dĂ©montrer par A+B que ces petits assistants Bob n’allient pas leur prendre leur boulot, mais valorisait leur travail. Nous avons maintenant 14 Bob sur la station, 14 “spĂ©cialistes” qui surveillent 24h/24 les Ă©quipements. L’équipe dispose maintenant d’avis pertinents de ces IA sur les Data et peut intervenir de la manière la plus efficace sur site. Â»

Après ce déploiement à Angers, d’autres capteurs ont été déployés dans des installations plus petites, celles qui ne disposent pas de techniciens ou même de personnel sur place. 5 Bob ont été installés dans la station d’épuration de Sainte Melaine sur Aubance, 6 depuis le début de l’année dans l’usine d’eau potable de la Chesnaie, ce qui a permis de générer une alerte sur une pompe, un dysfonctionnement que le système SCADA n’avait pas détecté.

Usine d’eau potable de la Chesnaie - Alerte sur une pompe.Les graphes d’anomalies générés par Bob permettent aux ingénieurs d’analyser le fonctionnement de l’équipement et délivrer un premier diagnostic aux techniciens de maintenance.
Usine d’eau potable de la Chesnaie - Alerte sur une pompe. Les graphes d’anomalies générés par Bob permettent aux ingénieurs d’analyser le fonctionnement de l’équipement et délivrer un premier diagnostic aux techniciens de maintenance. ©Veolia

L’usine d’eau de potable de Montjean sur Loire a bénéficié de l’installation d’une nouvelle pompe de reprise, une pompe d’emblée dotée de son Bob et enfin, 4 Bob ont été installés dans la station de surpression de Rou-Marson.

« Veolia France est maintenant en train de dĂ©ployer massivement ces capteurs Bob Â» conclut Fabien Boudaud. « C’est une solution qui vient dĂ©mocratiser l’IA et permet que cette technologie soit totalement intĂ©grĂ©e Ă  nos mĂ©tiers, que le concept ne fasse plus peur au personnel et que le vocabulaire reste très comprĂ©hensible par tous. Â»

Cette première expĂ©rience rĂ©ussie avec Cartesian et Éolane pour ce type de capteur permet dĂ©sormais aux ingĂ©nieurs de Veolia d’imaginer bien d’autres usages dĂ©tournĂ©s de ce « Shazam Â» des vibrations. Bob le technicien pourrait bien avoir de nouveaux collègues dans un avenir proche.

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