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Thales multiplie les projets quantiques

À l’occasion du salon du Bourget, Thales a fait le point sur ses avancées dans le développement de technologies quantiques et a dévoilé de premières applications dans le secteur de l’aéronautique et de la défense. Sa feuille de route quantique est à horizon 2030.

Il y a 25 ans, le sujet n’était pas « à la mode ». Mais les chercheurs de Thales se penchaient déjà sur les technologies quantiques. À l’époque, pas de calculateurs ni de processeurs à l’horizon : l’industriel concentrait ses efforts sur les capteurs et les télécommunications. « Deux tiers de notre activité sont liés aux capteurs [N.D.R. : radars, sonars, dispositifs de communications] », resitue aujourd’hui Bernhard Quendt, Directeur technique de Thales, lors du salon du Bourget. « C’est la raison pour laquelle Thales et le quantique vont aussi bien ensemble », ajoute-t-il.

« Plutôt que de lancer des études sur plusieurs années, nous avons préféré organiser un hackathon, et fait travailler les équipes sur des cas d’usage intéressants pour Thales ».
Bernhard QuendtDirecteur Technique, Thales

Thales n’a pas l’ambition de concevoir lui-même un calculateur quantique. Mais le groupe travaille avec les startups du domaine en France : Quandela, Pasqal, Alice & Bob, Siquance ou encore C12. Le but est de tester les différentes approches en devenir des futurs ordinateurs quantiques.

L’industriel a par ailleurs obtenu du ministère de la Défense la mission de piloter le projet BACQ (avec Eviden, le CEA, le CNRS, Teratec et le LNE). Ensemble, ils établiront des parangonnages (benchmarks) de référence pour évaluer la puissance des calculateurs quantiques.

Autre corde quantique à l’arc de Thales : les algorithmes. Thalès s’intéresse en effet aux algorithmes quantiques d’optimisation, de simulation, à la résolution de problèmes mathématiques complexes, à la prise en charge de modèles de Machine Learning. Et bien sûr, domaine connexe, au chiffrement post-quantique.

Un hackathon pour développer des algorithmes quantiques

Thales hackathon quantique
Le palmarès du hackathon quantique de Thales a été dévoilé lors du salon du Bourget 2023. Les équipes singapouriennes et allemandes ont été distinguées pour leurs algorithmes.

Preuve supplémentaire de son intérêt, Thales a coorganisé un événement « Big Quantum Hackathon » avec une association d’anciens élèves de l’École Polytechnique « QuantX ». Cet hackathon était plus particulièrement consacré aux algorithmes quantiques qui pourraient servir les desseins du géant de la défense. « Le meilleur moyen d’avancer est de privilégier des choses concrètes et pragmatiques », estime Bernhard Quendt. « Plutôt que de lancer des études sur plusieurs années, nous avons préféré organiser un hackathon, et fait travailler les équipes sur des cas d’usage intéressants pour Thales ».

Pour le directeur technique, il s’agit de « démontrer que des algorithmes quantiques sont d’ores et déjà prêts à résoudre certains problèmes ». Thales fait déjà des tests sur les technologies de ses différents partenaires.

Bernhard QuendtBernhard Quendt, Directeur technique,
Thales

Cinq pays ont été engagés dans la compétition et 10 équipes ayant chacune 2 thématiques à traiter ont soumis des dossiers. Cinq d’entre elles ont été sélectionnées pour participer à la phase finale et ont présenté 10 cas d’usage à un jury pluridisciplinaire. Celui-ci a retenu deux gagnants : l’équipe singapourienne et allemande. La première œuvrait à l’optimisation de plans de vol de drones. La seconde s’est vue récompensée pour ses deux dossiers : l’optimisation du design de FPGA et des formes d’onde pour les radars à synthèse d’ouverture.

Des projets de recherche avancés dans les capteurs quantiques

Si ce travail sur les algorithmes est un moyen de préparer l’arrivée plus ou moins imminente de calculateurs quantiques opérationnels, le cœur de métier de Thales demeure la conception et la fabrication de capteurs. Ses équipes de chercheurs ont notamment planché sur deux types de capteurs quantiques : des capteurs de champs électromagnétiques et des capteurs d’espace-temps destinés à mesurer les accélérations, les rotations, les champs de gravité (et créer des horloges).

Mathias Van Den Bossche, Directeur de la politique Recherche, Technologie et Produit, Thales Alenia Space détaille un premier composant quantique développé à Palaiseau, le SQIF (Superconducting Quantum Interference Filter).

Ce dispositif s’appuie sur une puce qui contient un réseau de SQUID (Superconducting Quantum Interference Devices) formant des milliers de paires de jonctions Josephson constituées d’oxydes mixtes de baryum, de cuivre et d’yttrium (YBaCuO), un supraconducteur à haute température (60-70 K, environ -213 à -203 degrés Celsius). Ces SQUID sont fabriqués à l’aide d’une technique de lithographie à faisceau d’électrons.

Le SQIF a deux fonctions : il s’agit d’un petit récepteur d’hyperfréquences et d’un magnétomètre particulièrement sensible.

Si les applications d’un tel procédé sont nombreuses (biomagnétisme, exploration du sol, observation spatiale, etc.), Thales se concentre sur le développement d’une antenne « tout-en-un » de quelques centimètres pouvant équiper des avions, des sous-marins ou de petits drones.

SQIF THALES
Le SQIF (Superconducting Quantum Interference Filter) est le premier composant quantique développé par Thales à Palaiseau. Cette minuscule antenne présente les performances d’une antenne classique de 10m2. Pour fonctionner, elle nécessite un refroidissement comparable à celui d’une caméra infrarouge.

Pour ce qui est des capteurs d’espace-temps, ils sont utilisés sur des objets en mouvement, afin de mesurer les accélérations et les rotations. Cela permet d’en déduire une position après quelques déplacements. En l’occurrence, Thales prépare des capteurs inertiels à atomes froids intégrés à des puces. « Nous travaillons sur des atomes froids refroidis à quelques milli Kelvins. À cette température, les atomes se comportent comme des ondes. En jouant avec les atomes et des lasers, on peut créer des accéléromètres, des gyromètres et des horloges atomiques », explique Mathias Van Den Bossche.

À la fin de cette décennie, « on pourra livrer un équipement de la taille de ceux qui équipent les avions et les sous-marins actuellement », promet-il. Ce capteur d’un litre de volume bénéficiera d’une « précision supérieure de plusieurs ordres de magnitude (sic) » à l’état de l’art des centrales inertielles et des instruments des véhicules cités ci-dessus. « Une précision de l’ordre du GPS, mais sans réseau GPS », résume le chercheur.

En outre, les chercheurs de Thales tentent d’exploiter les impuretés de couleurs que l’on trouve dans les diamants, les « diamond colours centers » [centres colorés de diamants], aussi appelées « centres azote-lacune ».

« Ces impuretés se créent de façon spontanée dans les diamants artificiels (avec des atomes d’azote présents dans l’atmosphère) », indique le Directeur de la politique de recherche. « Nous repérons ces impuretés, puis nous les éclairons avec un laser dans le vert, et lorsqu’une lumière rouge est réémise, nous regardons précisément la longueur d’onde d’éclairage pour en déduire la valeur du champ magnétique dans lequel le diamant est plongé ».

Le bénéfice majeur de cette approche ? Les impuretés sont très sensibles aux champs électromagnétiques à température ambiante. Cette technologie permet de développer des appareils capables de détecter des champs magnétiques « à l’échelle nanométrique », par exemple des IRM ou des radars, tout en réduisant drastiquement leur taille.

Cellules à atomes froids thales
La cellule à atomes froids développée par Thales. Ses dérivées pourraient être au cœur des centrales inertielles des avions et navires de demain, pour une navigation ultra-précise sans réseau GPS.

Des réseaux quantiques (en théorie) incassables

Autre cheval de bataille de Thales, les télécommunications. Mathias Van Den Bossche souligne l’intérêt de transmettre les Qubits sur un réseau dédié, aussi appelé Quantum Information Network (QIN). « Lorsqu’on met en réseau des calculateurs quantiques, on n’additionne pas leurs puissances, on la multiplie », assure-t-il « C’est la même approche avec les capteurs : si vous les faites communiquer entre eux via un lien quantique, vous allez obtenir une mesure bien plus précise ».

Autre usage, un Quantum Information Network pourrait renforcer la cybersécurité des infrastructures de télécommunication.

En exploitant l’intrication quantique, une séquence aléatoire peut être partagée par deux utilisateurs distants d’une communication. Cette séquence devient alors une clé de chiffrement. Cette approche, appelée QKD (Quantum Key Distribution), est une des applications de la communication quantique (lire par ailleurs notre dossier : « Comprendre la communication quantique »).

« Il est important de se doter de solutions de type post-quantique, car on sait déjà que des algorithmes de chiffrement seront cassés par les calculateurs quantiques. Le QKD est l’une des solutions possibles pour s’en protéger ».

Il est possible d’établir des communications quantiques sur fibre optique, mais il n’est possible aujourd’hui de transmettre des Qubits et des photons intriqués qu’à quelques dizaines de kilomètres. Pour aller au-delà, il faut choisir un canal moins sensible aux pertes de signal, comme des satellites.

« Dans le futur, l’Internet quantique sera constitué des réseaux métropolitains sur fibre optique qui seront interconnectés par satellite sur les longues distances », entrevoit Mathias Van Den Bossche. « Ce qui explique que la division espace de Thales travaille sur le sujet ».

Les militaires sont bien évidemment intéressés par ces liaisons en théorie impossibles à pirater. Elles pourraient également servir aux chercheurs et aux entreprises.

Cet Internet quantique leur permettra de se connecter à distance aux calculateurs quantiques, mais aussi d’intégrer des infrastructures industrielles critiques avec des horloges atomiques et des capteurs quantiques distribués et des systèmes de contrôle-commande à distance via des communications sécurisées.

Un démonstrateur de satellite quantique européen en 2027

Une démonstration de liaison quantique via satellite doit être menée par l’Europe en 2027. C’est l’objet du projet « QINSAT ». L’étape suivante sera de mettre en réseau plusieurs liens quantiques. Les chercheurs de Thales estiment que les spécialistes des infrastructures télécoms sauront opérer ce type de réseau à la fin de la décennie. L’industriel pourra alors commercialiser ses produits.

Thales participe à d’autres projets européens chapeautés par l’EuroQCI (European Quantum Communication Infrastructure). Dans ce cadre, il développe des équipements de communication et se positionne sur Iris2, la future constellation satellite européenne. Cette constellation proposera un service de diffusion de clés quantiques. L’Europe devrait disposer d’un service de communication quantique au milieu des années 2030.

En ce qui concerne les capteurs, Mathias Van Den Bossche estime que d’ici 2030, Thales proposera des antennes supraconductrices de la taille d’un ongle, ainsi que des systèmes de navigation inertielle quantique pour l’embarqué.

Enfin, il confirme que Thales ne va pas construire de calculateurs quantiques, mais qu’il va en utiliser. « Nous savons déjà comment nous allons utiliser des algorithmes quantiques. Nous en avons déjà développé certains en interne, notamment comme outils d’ingénierie, mais aussi en tant qu’éléments de nos systèmes. Nous utiliserons des équipements quantiques notamment pour gérer les constellations de satellites. »

En clair, pour Thales, les technologies quantiques devraient sortir peu à peu des laboratoires d’ici à la fin de la décennie. Elles seront d’abord utilisées dans des applications très critiques, avant de descendre, dans un second temps, dans les entreprises.

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