France Travail met l’IA au boulot (avec frugalité et souveraineté)

Chat FT, Match FT, Neo. France Travail développe et déploie progressivement plusieurs services d’intelligence artificielle. Ces projets sont encadrés par une charte éthique et un comité externe.

Les avancées de l’intelligence artificielle percutent le monde du travail, dont les activités de France Travail, l’agence pour l’emploi. Pour son directeur général adjoint chargé de la technologie, Samir Amellal, l’IA rime néanmoins avec « opportunité » qui peut faciliter le travail des conseillers.

Le cadre IT réfute toute déshumanisation. « Au contraire, je pense que l’IA participe à humaniser la relation en permettant de mettre l’ordinateur de côté », afin de « se concentrer sur les demandeurs d’emploi », justifie-t-il. Samir Amellal promet donc une accélération du développement en IA, mais tout en l’encadrant sur certains aspects.

Des débuts sur l’IA en 2018 et un nouveau programme en 2024

Outre ses agents, France Travail destine l’IA aux chômeurs et à « ses publics », c’est-à-dire les entreprises et le réseau pour l’emploi (acteurs locaux et nationaux).

Pour le directeur adjoint, l’opérateur public doit répondre à des enjeux de sécurité et de souveraineté. Il opère ainsi une transition de ses projets vers Mistral AI et des infrastructures OVH, en remplacement des solutions de fournisseurs non souverains.

L’organisation a en effet démarré ses développements en intelligence artificielle en 2018, rappelle Sylvain Poirier, directeur des projets IA à France Travail. Cette étape a été « l’occasion de définir la manière dont nous voulions faire de l’IA », explique-t-il.

Pour les encadrer, l’opérateur a formalisé une charte éthique – accessible sur son site. En complément, France Travail s’est doté d’un comité éthique externe.

Afin de déployer à l’échelle, l’organisation dispose également d’une plateforme Data & IA « sécurisée au sein de France Travail » et des compétences en interne pour des développements « maîtrisés par les équipes ».

Chat FT, un GPT interne sécurisé utilisé par 40 000 agents

Sur ces fondations, France Travail a initié en 2024 un nouveau programme pour tenir compte des évolutions permises par la GenAI.

Pour identifier des cas d’usage pertinents, Sylvain Poirier est parti « du terrain ». De ce recueil des besoins et d’irritants, l’IT a détecté trois priorités : libérer du temps, faciliter l’accès aux données et aux applications via le langage naturel, et tirer profit de l’IA générative pour « repenser les services » aux conseillers et aux usagers.

Après un peu plus d’un an, France Travail partage cette année un état des lieux de son programme, avec quelques « solutions ».

Parmi celles-ci Chat FT, le désormais traditionnel « ChatGPT sécurisé interne ». L’outil conversationnel compte 40 000 agents, c’est-à-dire « plus de la moitié » des utilisateurs. Chat FT est considéré comme le moyen de fournir une « première expérience » de l’IA générative.

La dimension « terrain » du projet se traduit par l’ajout progressif de fonctions comme des connexions aux bases documentaires et au système d’information. « Progressivement, l’outil s’intègre dans les processus métier pour permettre aux agents de gagner du temps », déclare Sylvain Poirier.

Des indicateurs suggèrent des « résultats encourageants », selon le directeur IA.

Des KPI pour mesurer l’adoption et l’utilité de l’IA

Les agents peuvent recourir au chatbot pour organiser des événements, en ligne ou sur des salons. L’utilisation de Chat FT permettrait de diviser par trois ce temps de préparation, mais aussi d’améliorer l’attractivité (+25 % d’inscriptions parmi les demandeurs d’emploi).

Début juin, un baromètre interne mesurait que 56 % des agents utilisaient l’IA dans leurs activités professionnelles, et 73 % jugeaient son impact positif. « C’est un point de départ important », apprécie Sylvain Poirier. « Mais ce n’est surtout pas la finalité. Nous sommes dans une trajectoire d’acculturation », poursuit-il.

Pour acculturer et former, des « dispositifs » sont en place. Ils doivent « accompagner cette transformation » auprès des conseillers (auxquels les outils IA sont « proposés » et non imposés) et des chômeurs.

Pour cette dernière population, France Travail déclare avoir conçu un « calendrier de l’IA » avec Kokoroe et Microsoft. Le calendrier propose formation et acculturation à l’IA en e-learning. Avec Google, l’opérateur public réalise en outre des ateliers numériques.

Bascule sur des modèles Mistral AI

Chat FT a été conçu sur la base des modèles d’OpenAI, GPT 3.5, au démarrage, migré par la suite vers d’autres LLM de l’Américain. La stratégie de France Travail prévoit cependant, grâce à un partenariat avec Mistral AI, de basculer sur les modèles de la startup.

Ces travaux remontent à un an déjà. Les utilisateurs ont pu, dans Chat FT, tester l’alternative française. Les résultats étant jugés satisfaisants, le chatbot bascule entièrement sur le modèle Mistral AI.

Cette politique de souveraineté numérique doit s’étendre aux autres produits IA de France Travail, dont Match FT – l’application de matching entre offres et demandeurs en test sur deux régions (Centre-Val de Loire et Pays de la Loire).

À destination des conseillers, l’outil doit simplifier la présélection des candidats à travers « une conversation guidée gérée par SMS par une intelligence artificielle générative. » En 5 heures, un conseiller peut interroger 90 % des demandeurs et recueillir une information précise.

France Travail espère généraliser le déploiement de Match FT fin 2025. Sylvain Poirier signale qu’un demandeur d’emploi conserve la possibilité de revenir à un processus classique. Samir Amellal ajoute par ailleurs que les projets, dont Match FT, sont soumis à la fois au comité éthique externe et aux organisations du personnel dans le cadre de la procédure habituelle du dialogue social. « Ce sont des passages systématiques lorsqu’il s’agit d’IA. » De plus, l’utilisation de ces outils n’est pas obligatoire.

La mesure du KPI peut s’en trouver complexifiée, reconnaît le directeur adjoint de la Tech. Les premiers résultats de Match FT s’avéreraient malgré tout encourageants, en particulier avec la diminution du délai de pourvoi de deux jours. « C’est significatif, alors même que le produit n’est pas généralisé et que des optimisations restent à faire », se félicite le directeur IA.

Avec Match FT et Chat FT, France Travail estime être en bonne voie sur l’IA. De quoi motiver d’autres initiatives, présentées durant VivaTech en juin dernier.

Neo pour interagir avec le SI et poser des bases de l’agentique

Exemple avec Neo, un produit qui permet de dialoguer en langage naturel avec le SI. Plutôt que de se connecter aux différents applicatifs métiers pour collecter des informations, le conseiller peut obtenir la donnée via une requête.

Neo fonctionne grâce à des connexions API. En fonction des besoins, de nouvelles connexions sont ajoutées, indique France Travail au MagIT. Samir Amellal y voit une forme de réponse à la dette technique – des applications et interfaces « parfois vieillissantes » et donc complexes d’usage.

Autre exemple, « Chat FT Écoute » est un démonstrateur qui doit être testé en agence. Il permet donc de collecter les informations demandées par l’applicatif lors des entretiens. Cette fois, France Travail y voit une solution qui renforce la posture d’écoute et facilite ensuite la saisie des données dans le SI.

Les équipes IA de l’opérateur poursuivent également le développement de Qualif FT. Le démonstrateur avait été présenté lors de VivaTech 2024. Il a quitté cette phase pour être intégré au site « Mes événements Emploi ».

Qualif FT remplace le classique moteur de recherche et ses filtres avec « une conversation d’idées » pour identifier des événements personnalisés. « On s’engage vers une simplification des services proposés et réduire la fracture numérique », considère Sylvain Poirier. Cela vaut aussi pour la prise en charge de la voix dans l’application mobile pour les jeunes – en test depuis fin juin.

Une stratégie hybride sur les LLM

En ce qui concerne les LLM, France Travail revendique une politique hybride, avec des modèles déployés sur un cloud dédié et d’autres consommés à l’extérieur. Les grands modèles ne peuvent pas être hébergés en interne.

L’opérateur est client Azure, mais prévoit « de progresser » dans sa « stratégie de souveraineté » en déployant les LLM chez OVH.

Dans une volonté de frugalité, France Travail souhaite aussi « pouvoir mobiliser le plus petit modèle pour le juste besoin ». Les grands modèles dans le cloud OVH doivent ainsi être consommés « seulement lorsque c’est nécessaire. » Pour Neo, par exemple, c’est Mistral Small qui est appelé via une instance exécutée dans le datacenter interne.

Neo est aussi considéré comme une étape sur le chemin de l’IA agentique. L’outil fait appel à de la détection d’intention « pour ensuite mobiliser l’appel au bon service, ou au bon agent, pour enfin générer une synthèse, et peut-être demain proposer une saisie des différents éléments dans le système d’information. Nous sommes en construction sur le volet d’IA agentique », argumente-t-il...

Pour approfondir sur IA appliquée, GenAI, IA infusée