L’IA peut-elle aider l’industrie à se décarboner ?
L’IA fait exploser la consommation énergétique des datacenters, mais pour les industriels elle est aussi une partie de la solution de la décarbonation de leurs activités. Illustration avec Eramet, Schneider Electric et Engie, qui ont recours à l’IA pour optimiser la production d’énergies renouvelables, réduire la consommation des fours ou mieux anticiper la demande.
L’intelligence artificielle générative a sans conteste participé à relancer le débat autour de la consommation énergétique de l’intelligence artificielle (IA). « Une requête sur Google, c’est 0,3 à 0,4 Wh. Une requête avec une IA générative, c’est entre huit et dix fois plus » mesurait récemment une experte d’EDF.
Résultat, Google et Microsoft ont vu leurs émissions bondir. Leurs rapports environnementaux en attestent. La hausse des émissions de CO2 de Google atteignait 13 % en 2023 et 48 % depuis 2019. Pour Microsoft, la progression est de +29,2 % d’émissions sur un an.
Des industriels très consommateurs d’énergie
La tendance n’est pas à la modération. Pour alimenter leurs datacenters, plusieurs géants mondiaux, dont Oracle, prévoient de connecter leurs infrastructures de calcul à de nouveaux sites de production d’énergie nucléaire – en clair, non pas de réduire leur consommation, mais de s’approvisionner en énergie plus décarbonée.
Mais pour des consommateurs de l’IA comme les industriels – qui sont parmi les principaux émetteurs au niveau mondial –, ces technologies sont également synonymes d’amélioration de leur bilan carbone. « C’est un peu paradoxal. On utilise l’IA pour réduire l’impact, mais nous savons que l’IA consomme beaucoup d’énergie et de matières premières », reconnaît Jean-Loup Loyer, chief data & AI officer du groupe minier Eramet.
D’un côté, Eramet fait aussi partie de la solution, ajoute-t-il, en référence à la transition vers l’électrique comme alternative aux énergies fossiles. L’industriel extrait « des matériaux critiques » pour la fabrication de batteries, dont le nickel, le manganèse, le cobalt et le lithium.
De l’autre, « nous faisons également partie du problème », concède Jean-Loup Loyer. « Nous avons besoin de beaucoup de CO2 dans nos processus, en particulier dans nos usines, qui consomment énormément d’électricité ».
L’IA pour choisir à tout moment la meilleure source d’électricité
« C’est un peu paradoxal. On utilise l’IA pour réduire l’impact, mais l’IA consomme beaucoup d’énergie et de matières premières. »
Jean-Loup Loyer Chief Data & AI Officer chez Eramet
Pour réduire sa dépense énergétique, Eramet développe des systèmes d’IA, dont l’un est conçu pour choisir « à tout moment la meilleure source d’électricité. » Différentes variables sont prises en compte pour sélectionner l’énergie optimale.
« Compte tenu de la quantité de soleil, du nombre de barrages, de ce que nous prévoyons en termes de pluie et de la chaleur de nos chaudières, nous optimisons constamment entre différentes sources afin d’obtenir un coût financier optimal, mais aussi un optimum en termes de carbone », détaille le CDO.
Eramet planche aussi sur la réduction de la consommation de ses équipements miniers. « L’IA peut nous aider à concevoir de meilleurs procédés pour nos fours, afin de réduire la quantité de carbone émise au cours du processus », mentionne encore Jean-Loup Loyer.
Le programme Breakthrough AI chez Engie
Chez Engie aussi, les usages de l’IA sont multiples. Un programme Breakthrough AI a été initié « Afin d’accélérer l’impact de l’IA sur les opérations du groupe », dixit Mihir Sarkar, head of AI pour Engie Research & Innovation.
Pour développer des cas d’usage de l’IA (machine learning traditionnel et IA générative), des équipes produit ont été mises en place dans « de nombreux laboratoires à travers le monde. » Elles intègrent data scientists, chercheurs en IA et développeurs.
En matière de décarbonation, une bataille se joue au niveau de la production d’énergie pour accroître la part du renouvelable. « Nous continuons à utiliser des centrales thermiques pour compenser l’absence de vent ou de soleil », rappelle le représentant d’Engie. Les deux cohabitent donc, non sans complexité. « Nous allumons et nous éteignons les équipements et les centrales thermiques beaucoup plus fréquemment que ne le prévoit leur conception », confie Mihir Sarkar. Engie a par conséquent déployé des algorithmes de maintenance prédictive.
Pour ses nouveaux projets industriels, l’énergéticien a en outre outillé ses métiers. « L’outil analyse les parties prenantes dans les territoires pour comprendre comment elles accueillent les arguments, pour ou contre le projet, quelle est leur position, et comment nous pouvons nous engager avec elles afin de réduire le temps de mise sur le marché de ces projets », détaille-t-il.
Enfin, en matière de R&D, l’entreprise anticipe l’avenir de l’IA du côté des jumeaux numériques. « Nous examinons le cycle de vie de l’énergie, depuis la conception de nouvelles centrales électriques jusqu’à l’optimisation des opérations et de la production ».
Engie utilise également des modèles de diffusion. Le but ici est d’analyser des territoires à partir d’images satellites afin de comprendre ce que chaque pixel signifie : une ressource naturelle, une maison ou un territoire où il est possible d’installer des systèmes de stockage de batteries, illustre Mihir Sarkar.
Différents modèles sont par ailleurs testés pour la conception de nouvelles centrales électriques. L’IA permet par exemple d’optimiser le choix d’un emplacement pour une centrale solaire.
L’expert cite enfin l’usage de modèles hybrides pour accélérer des simulations, et de cette façon optimiser plus rapidement la production des centrales électriques et de biogaz.
Le rôle clé de l’IA dans l’anticipation de la demande
Pour Philippe Rambach, chief AI officer de Schneider Electric, il importe également de s’intéresser au volet de la demande d’énergie. Car « l’intelligence artificielle a un rôle clé à jouer dans l’optimisation de cette demande », considère-t-il.
Pour décarboner, différents leviers doivent être activés. « Et l’IA peut contribuer à plusieurs d’entre eux », insiste Philippe Rambach… À commencer par la baisse de la consommation. « Si nous utilisons moins d’énergie pour le même résultat, nous aurons moins d’impact sur les planètes. Cela semble stupide, mais nous l’oublions parfois. »
Cette règle simple peut s’appliquer au chauffage ou à la climatisation d’une pièce. « La plupart du temps, il n’est pas possible de construire un modèle physique. C’est trop cher. C’est pourquoi l’IA permet de construire un modèle d’apprentissage automatique », qui équipera par exemple un thermostat « intelligent. »
L’IA, en anticipant mieux production et consommation, permet d’éviter de s’approvisionner lors des pics de demande – à des prix élevés et avec une forte contribution des énergies carbonées.
Passer à l’échelle pour accroître l’impact
Mais pour Philippe Rambach, un obstacle freine encore les déploiements : la difficulté à passer à l’échelle. Là encore, « l’IA aidera », prédit-il. « Je pense que l’IA peut jouer un rôle important, non seulement dans les solutions que nous décrivons tous, mais aussi dans leur mise à l’échelle à moindre coût. »
Lechief AI officer l’illustre en citant l’outil mis au point pour aider les habitants à s’équiper eux-mêmes de panneaux solaires en Californie. Malgré la volonté politique, l’adoption se heurte à un frein : le manque d’électriciens. Un outil d’IA « très basique » – conçu par Schneider Electric – doit aider les particuliers à réaliser leur installation malgré tout.
Pour Jean-Loup Loyer, de Eramet, le « scale » est bien une préoccupation. « Reproduire facilement un projet qui a été couronné de succès et en réaliser un autre à un coût dix fois inférieur, c’est vraiment très important », confirme-t-il.
Au-delà de la technologie, le chief data officer insiste lui aussi sur l’importance de former et d’acculturer les métiers (métallurgistes, géologues, experts de la chaîne d’approvisionnement, etc.). « Tous doivent être formés pour que l’IA devienne un des outils de leur boîte à outils », conclut-il dans une formule.
Propos recueillis lors de AI for Industry, au Palais Brognart.
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