La Société Générale numérise de bout en bout l'ouverture de compte

Destiné à séduire les « Milleniums », le projet a été mené en un an en s'appuyant sur la plateforme de Salesforce. Il mélange reconnaissance biométrique et visio-conférence et a nécessité une négociation avec les régulateurs.

Le recrutement de clients est un thème hautement stratégique pour les banques. Sur un marché ultra-concurrentiel, elles ont une nouvelle cible en ligne de mire : les « milleniums ». Pour cette classe d’âge, née dans le numérique, la banque doit être un service simple à utiliser, comme un Waze ou un Spotify.

C'est dans ce contexte que la Société Générale a entamé il y a deux ans un projet pour les séduire. L'idée était simple : ouvrir un compte de manière entièrement dématérialisée, mobile, en temps réel, et surtout facilement. La réalisation, elle, a été un peu plus compliquée.

Banque 3.0

Pour bien comprendre le projet, il faut d'abord bien comprendre le contexte. Les banques traditionnelles possèdent tous les éléments pour faire de l'omni-canal. De fait, un groupe de l'envergure de la « SoGé » possède un réseau d'agences, des points de contact numériques (app mobile et site web) et un support en centre d'appel (avec quatre CRC - des Centres de Relation Clientèle).

Les banques « historiques » proposent par ailleurs une palette d'offres complètes qui va de la gestion d'actifs aux crédits, en passant par l'épargne, ou le leasing.

Mais ces atouts face aux nouveaux entrants (comme Apple Pay ou Amazon Pay) sont aussi des lourdeurs.

Une offre large est complexe à comprendre, et bien peu « millenium ». L'omnicanalité appelle de son côté une mise en cohérence des différentes formes d'interactions pour créer un parcours sans couture, intuitif et fluide.

Autre défi, la cohérence est indispensable pour mieux connaître le client, avec une vision à 360° (foyer, métier, projets, etc.), ce qui permet de lui proposer des offres financières personnalisées, au bon moment, par le bon canal.

Une telle approche, plus ciblée et plus simple, a par exemple permis à BBVA d'augmenter ses interactions par SMS avec sa base, sans la stresser, pour vendre du crédit à la consommation (la banque espagnole a aujourd'hui conçu plus de 150 parcours types).

En France, Orange Banque a utilisé l'Intelligence Artificielle et le scoring d'Einstein (Salesforce) dans son CRM pour convaincre 100.000 clients d'ouvrir un compte. Un tour de force réalisé en quatre mois, qui a été rendu possible en relançant les prospects ayant témoigné d'un signal d'intérêt, même faible.

Un client autonome, mais qui veut de l'aide

Dans cette optique de banque 3.0, la Société Générale a voulu proposer un « parcours d'entrée en relation full digital » explique Daniel Rousseau, Directeur Parcours Clients Omnicanaux, Banque de détail. Concrètement, la « SoGé » propose aujourd'hui, via son app mobile, la création d'un compte sans se déplacer en agence et avec la réception, sous 5 jours, des moyens de paiements associés.

« Nous voulions le faire pour répondre aux attentes du marché, les clients en banque de détail veulent être autonomes », constate Daniel Rousseau. Mais bien qu'aspirant à être autonomes, les prospects bancaires ont une particularité : ils veulent aussi des conseils à certains moments clefs.

La Société Générale a alors eu l'idée de mixer le « tout numérique » et l'humain à certaines étapes clefs. Dans un premier temps, l'assistance et l'accueil se sont faits par la messagerie instantanée. Dans la version en production, l'appel à un conseiller se fait aujourd'hui en visio-conférence. « C'était une manière d'être plus simple tout en restant traditionnel », explique le responsable.

Le choix de Salesforce

L'idée de revisiter le parcours d'entrée en relation grâce au numérique emporte l'adhésion en interne.

Mais très vite, un constat s'impose. La Société Générale n'y arrivera pas seule, en montant une infrastructure de zéro. Le chantier jusqu'au développement de la fonctionnalité aurait été trop grand, ou trop lent. « L'idée c'est bien... mais si le parcours est rempli d'irritants, ce sera un échec. Or l'ouverture de compte est très réglementée. Nous savions que nous n'aurions pas tout bon, dès le début, en y allant seuls », se souvient Daniel Rousseau. Or la Société Générale veut aller vite. Ce qui l'a amenée à faire le projet en s'appuyant sur une infrastructure et une plateforme (PaaS) tierces existantes, plutôt que de tout développer en interne (en l'occurrence le vertical de Salesforce dédié aux services et aux Fintech).

La plateforme de Salesforce pour le secteur financier

Le responsable explique aussi le choix de Salesforce par le fait qu'il ne fallait pas « tordre notre organisation ». Il était hors de question de modifier la manière dont fonctionnent les 4 CRC - chose que garantissait Salesforce.

Autre facteur, l'offre du géant du CRM est nativement omnicanale, elle permet la création rapide d'application mobile (avec Heroku et Lightning), elle s'interface avec le Core Banking et elle peut intégrer la visio-conférence.

Bref, Salesforce s'est imposée comme « la colonne vertébrale » du projet pour une sortie rapide.

Au-dessus de Salesforce, la Société Générale a développé plusieurs briques en propre (comme la signature automatique ou la reconnaissance faciale). L'équipe interne s'est également attelée à l'intégration - complexe - avec les outils et les bases de la banque. « En tout ce sont 30 applicatifs qui sont connectés et 80 interfaces », décompte le responsable.

Identification biométrique et reconnaissance faciale

La première version est lancée en 2016. « Le parcours permettait de tout faire à distance, mais il n'avait pas encore la visio. Les premiers retours collectés nous ont poussés à aller un cran plus loin pour faire un parcours encore plus simple avec une interaction encore plus digitale », raconte Daniel Rousseau.

Problème, la dématérialisation totale (sans passer par La Poste) pose un double problème. Technique et réglementaire.

Pour ouvrir un compte à distance, une banque doit appliquer des règles de vigilance renforcée. Concrètement, un compte créé dans ces conditions ne peut être validé qu'après un virement depuis un autre compte - au même nom. Il faut donc un compte pour ouvrir un compte. Problème, en 2016, la moitié des prospects Millenium de la Société Générale n'ont pas de comptes. Et la méthode est tout sauf intuitive.

« Nous avons alors eu l'idée d'utiliser la biométrie faciale pour authentifier le titulaire et s'affranchir du virement. De cette manière le parcours devenait vraiment numérique de bout en bout », se réjouit le responsable.

Dans le détail, le néo-client scanne ses justificatifs (ou en prend une photo) - parmi lesquels un passeport ou une carte d'identité - il les uploade, puis les valide en se positionnant devant la caméra frontale de son smartphone. Le backend, grâce à la reconnaissance d'image, recoupe que les papiers d'identité et le visage du client appartiennent bien à la même personne.

La solution est ingénieuse, mais elle ne répond pas, à l'époque, aux exigences des régulateurs.

Négocier avec les régulateurs

Il a donc fallu passer par la case négociation.

La Société Générale discute alors avec l'ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution) et la CNIL et réussit à les convaincre, grâce à une démarche que la banque qualifie de « co-construction » dans l'« innovation règlementaire ».

« Il y a beaucoup de nouvelles technologies [qui intéressent les banques] : la blockchain, le Machine Learning, l'IA. Le régulateur se pose beaucoup de questions. Cela va très vite alors il se dote d'équipes de veille sur ces sujets », témoigne Daniel Rousseau. La Société Générale n'a donc pas eu affaire à des novices dans l'IT. « Mais quand vous arrivez avec un parcours client qui respecte le code monétaire et financier, les autorités de régulation sont bienveillantes ».

Objectif 30 %

Au final, la mise en production aura duré treize mois avec une sortie mi-mars 2018. « La Core Team est composée de sept personnes. Elle est un mélange d'experts techniques et métiers. Cette petite équipe a travaillé pendant un an à temps plein sur le projet. Elle a beaucoup collaboré avec d'autres équipes comme les juristes ou la conformité. C'était très intégré et compact », révèle le responsable.

Mais la sortie officielle ne marque pas la fin du projet pour autant. « Nous sommes dans une optique d'amélioration continue, itérative, avec une démarche pragmatique. On teste avec les clients ».

Dans un premier temps, la banque utilisera cette démarche - que l'on peut qualifier d'agile - pour peaufiner l'UX. Mais elle pourrait aller plus loin. « Forcément, on réfléchit à d'autres usages de ce parcours », lance Daniel Rousseau. D'ici 2020, la Société Générale espère réaliser 30 % de ses entrées en relation via le numérique.

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