Cet article fait partie de notre guide: SIRH : un système qui se modernise

Transformation digitale : les DRH tentent un putsch pour renverser les DSI

La transformation numérique bouscule les Business Models des entreprises, leurs systèmes d'information, mais aussi leurs organisations internes. Faut-il confier cette transformation au marketing, au DSI ou au DRH ? La réponse est de plus discutée.

Qui doit prendre la responsabilité de la transformation digitale dans les entreprises ? On connaissait déjà les rivalités entre le DSI, le CDO et le directeur marketing. Un nouveau prétendant au trône vient d'apparaitre pour cette nouvelle saison : le DRH. La lutte qui s'annonce semble dessiner un scénario encore plus sanglant que Game of Thrones !

Il y a quelques jours Docapost organisait à Paris un "Afterwork" consacré aux DRH face à la transformation digitale. Une table ronde consacrée à l'impact du digital dans la fonction RH somme tout assez convenue mais qui a vu les DRH présents rapidement tomber le masque et afficher leurs ambitions vis-à-vis des projets de transformation de leurs entreprises.

« Mesdames et messieurs les DRH, ne laissez pas le digital au DSI ou à d'autres fonctions » a ainsi déclamé Pierre-Marie Argouarc'h, directeur des relations humaines et de la Transformation Groupe de la Française des Jeux. « Prenez le sujet à bras le corps parce que le Digital, ce n'est pas un problème d'outil, c'est un problème d'humain, c'est de l'usage, des comportements. L'expert des usages et des comportements dans l'entreprise, c'est le DRH ! »

Le DRH de la FDJ veut dépoussiérer la gestion des ressources humaines. Un dépoussiérage qui, selon lui, passe par le poste de DRH lui-même. « Je suis directeur des relations humaines et je suis un DRH heureux d'avoir changé de titre de fonction. Ressources humaines ne correspond absolument pas au métier que j'exerce. Je ne compte pas des personnes, je ne gère pas que des masses salariale mais je gère des talents, des potentiels, des collaborateurs qui sont tout d'abord les premiers clients de l'entreprise. Ma vraie vocation, c'est l'expertise de la relation humaine. J'apporte un savoir-faire sur le sujet à l'entreprise. Mon rôle, c'est la transformation et la transformation digitale est un moyen pour un DRH d'être reconnu et d'accéder au comité exécutif. »

Le DRH est-il légitime sur la thématique numérique ?

La transformation digitale sera-telle l'occasion pour le DRH de mener ce coup d'état sur le numérique ?

La position des autres DRH présents lors de la table ronde était certes plus mesurée que celle de leur bouillant collègue de la Française des Jeux, mais tous ont souligné le rôle prépondérant de l'humain dans le succès de la transformation digitale de leur entreprise.

Pour Benoît Serre, directeur général adjoint Ressources Humaines Groupe de la MACIF et vice-président de l’ANDRH (Association Nationale des DRH), la légitimité d'un DRH - souvent bien peu affuté aux technologies du numériques - à la tête de la transformation digitale de son entreprise ne se pose pas. Il a enfoncé le clou en évoquant un axe direction RH / direction marketing.

« Dès lors que les DRH s'intéressent au core-business de leur entreprise, ils deviennent légitimes pour participer aux prises de décision. Il faut accepter l'idée que tous les temps ne sont pas les mêmes dans l'entreprise. L'un des interlocuteurs majeurs du DRH, c'est le directeur marketing car ils sont dans le même espace temps. Le point commun entre les deux, c'est qu'un directeur marketing projette les besoins du client à 4/5 ans alors que le DRH projette les besoins en compétence de l'entreprise à 4/5 ans aussi. Il faut s'assurer que l'évolution des politiques RH soit cohérence avec l'évolution de la stratégie marketing. »

« La règle d'or, c'est que le client va toujours plus vite que nous, son exigence progresse toujours plus vite que votre capacité à la satisfaire. C'est pour cela que le DRH doit travailler avec le marketeur pour adapter le plan au regard de l'évolution de la demande des clients et des collaborateurs. »

L'assistance, composée de professionnels des RH, semblait abonder en faveur de cette nécessité de faire passer la transformation sous la coupe du DRH. Charles-Henri Besseyre des Horts, Professeur Emérite à HEC a alors pris la parole.

« Ce qui me fascine quand on parle de digital, c'est que l'on reprend des idées qui datent des années 50, de l'école de management d’il y a 70 ans, l'école Socio-Technique. Il y a 60 ans ils disaient déjà que lorsqu'on parle de technologies, il faut d'abord s'occuper du système social, sur les synergies entre systèmes techniques et système social. On redécouvre aujourd'hui cela. »

« Or, pour moi, il est évident qu'à partir du moment où l'on est en situation de transformation profonde il y a toujours eu une dimension sociale. Je ne comprends pas que l'on ait passé autant de temps sans mettre les DH aux commandes. »

Un vrai enjeu RH dans la transformation digitale

Faut-il laisser au DSI le soin de gérer les affaires courantes pendant que les DRH et directions marketing tracent l'avenir ? Les informaticiens apprécieront.

Toujours est-il que les DRH ont aussi à mener leur propre transformation digitale, car celle-ci impacte très directement leur direction à plusieurs niveaux.

On constate aujourd'hui que les jeunes préfèrent souvent travailler pour des Google, Apple ou même des startups plutôt que céder aux avances de sociétés centenaires qui ne les font plus rêver. « Recruter les nouveaux talents, c'est compliqué et on assiste à une vraie guerre » souligne Olivier Vallet, président directeur général de Docapost. « Si une entreprise n'est pas digitale – si elle ne 'respire' pas le digital aux yeux des candidats - elle aura du mal à attirer des jeunes. Pour prendre un exemple personnel, j'ai un fils qui vient d'être embauché. Il avait le choix entre deux propositions et il a fait le choix de l'entreprise qui est apparue pour lui la plus digitale - digitale dans la manière dont elle l'a approchée avec des entretiens FaceTime, de lui proposer un contrat dématérialisé, etc. Il a perçu l'autre entreprise comme vieillissante ».

Mais, outre mettre en place des RSE, des outils numériques modernes et des conditions de travail façon Facebook ou Google, attirer les talents implique pour les entreprises traditionnelles de revoir profondément leurs organigrammes et les responsabilités confiées à chacun.

La réduction des couches de management s'impose tant pour des raisons de compétitivité que pour attirer ces nouvelles générations, les fameux Millenials, que l'on dit peu enclines à exécuter aveuglement les ordres d'une hiérarchie pléthorique.

« Nous avons réduit les couches supérieures de management, car avec des organisations plus horizontales, cela induit moins de hiérarchie », explique Gérard Matencio, directeur de la Transformation d’Enedis (ex-ERDF). « Au premier janvier 2016, nous avons supprimé le niveau interrégional de notre management, et nous construisons un système dans lequel les fonctions nationales auxquelles j'appartiens, vont se réduire à leur activité à valeur ajoutée. Nous allons élaguer, réduire ces effectifs en abandonnant l'audit, le contrôle des taches dont la valeur ajoutée est minime. Cela veut dire que les unités, les équipes seront plus responsabilisées ».

« L'envers du décor, c'est que les opérateurs, les gens sur le terrain qui sont au contact de nos clients vont changer de paradigme. Le membre d'un Codir en région a intérêt à prendre toute la dimension que cela implique pour eux. »

Pour une entreprise aussi hiérarchisée que l'ex-ERDF, une organisation allégée et une responsabilisation des équipes constitue une véritable révolution culturelle. Celle-ci commence même à faire émerger des projets sur un mode Bottom-Up.

« Dans l'expérience que nous sommes en train de mener dans les 10 unités pionnières d'Enedis, sont testés des modes de management tout à fait disruptifs pour nous » explique Gérard Matencio. « L'idée, c'est qu'il n'y a pas de plan. Les gens sont suffisamment intelligents pour dégager les ressources qui vont leur permettre de financer leurs expériences. Par exemple, nous avons un projet qui rassemble un délégué CGT, un jeune cadre et un technicien. Ceux-ci sont venir présenter au codir de notre unité de Toulouse un projet de drones pour faire ce que nous appelons chez Enedis une visite de mat, une tâche normalement effectuée par un salarié. Ils ont présenté le projet au directeur avec le ROI qu'ils avaient calculé, celui-ci leur a dit d'y aller. La règle, c'est qu'il n'y a pas de plan ! »

Faire bouger les lignes, une véritable science

Si les choses bougent dans les organigrammes, les comex doivent eux-aussi se mettre au diapason de la transformation digitale.

Le retard pris par les entreprises françaises en la matière est sans doute en train de se combler, mais il traduit aussi la difficulté de nombreux haut-dirigeants français à comprendre les enjeux de l'économie numérique.

Certains, comme Accorhotels, ont créé un Shadow Comex afin de bousculer le Comex et le challenger avec des idées nouvelles.

Venu du monde de la grande distribution, Benoît Serre a lui-aussi souhaité dynamiser le comex de la MACIF de manière plus diplomatique, afin de ne pas donner l'impression de vouloirs déstabiliser la direction de la mutuelle niortaise. « Nous avons créé un comité consultatif jeune, ce qui est un peu différent d'un Shadow comex. Nous avons voulu confronter nos dirigeants non pas à un shadow comex qu'ils vont prendre comme des rivaux, mais à un comité consultatif d'une trentaine de jeunes de moins de 30 ans. Une fois tous les deux mois, ils vont passer une journée avec le DG afin de leur présenter de dossiers. Ils sont très disruptifs mais nous avons aussi besoin de cela afin de rajeunir nos offres ».

Avec la transformation digitale, les DRH ont de nombreux chantiers à mener, peut-être pas en transformant leurs entreprises en startups, mais en modernisant les organigrammes. Faut-il pour autant leur laisser les clés de la transformation numérique. ? Chacun jugera.

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