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SCM et COVID-19 : comment les défis de la livraison de vaccins deviendront des leçons pour demain

La mise au point d’un vaccin n’était que la première étape pour vaincre la pandémie. Maintenant, la chaîne d’approvisionnement doit gérer les défis et les complexités de la livraison ; dont on tirera de bonnes pratiques et des leçons, selon trois experts du domaine.

Le développement de plusieurs vaccins contre la COVID-19 a été une réalisation scientifique sans précédent, mais la mise au point de ces vaccins n’est que le début des actions pour mettre fin à la pandémie. Après leur fabrication, ils doivent être distribués dans le monde entier, avec une multitude de produits auxiliaires, pour commencer à être utilisés.

Avec les premières livraisons, les défis et la complexité liés à l’acheminement de ces livraisons vitales vers leurs destinations finales sont devenus apparents et très concrets.

Pour les experts du domaine du SCM (supply chain management), il ne fait aucun doute que cette chaîne d’approvisionnement autour des vaccins est un test d’une ampleur peu commune pour ces processus et les bonnes pratiques qui y sont rattachées.

Dana GardnerDana Gardner, Interarbor
Solutions
« Cela pourrait être le plus gros cas d’usage et aussi le plus complexe de l’histoire récente de la supply chain. Ce sera une occasion unique d’observer et d'en tirer des leçons. »
Dana GardnerInterarbor Solutions

« Cela pourrait être le plus gros cas d’usage et aussi le plus complexe de l’histoire de la supply chain et de la logistique – en tout cas dans l’histoire récente – et ce sera une occasion unique d’observer tout cela pour en tirer des leçons », estime Dana Gardner, président de la société de conseils Interarbor Solutions. « Toutes les complications majeures que vous pouvez imaginer sont là : c’est urgent et il faut donc aller vite, l’approvisionnement est limité, le processus de fabrication est complexe et la distribution est planétaire ».

Les experts s’accordent pour dire que cette complexité aura des effets sur tous les aspects de la chaîne d’approvisionnement : de la planification de la demande à la priorisation, sans oublier la prise en charge du fameux « dernier kilomètre ».

Une échelle sans précédent

Pour Stephen Meyer, directeur de recherche chez Gartner, l’aspect le plus notable de ce qui se passe avec le vaccin est l’échelle, aussi bien dans le nombre d’acteurs impliqués que dans le nombre de vaccins à distribuer.

Stephen MeyerStephen Meyer, Gartner

Car le vaccin lui-même n’est qu’une partie de la chaîne. D’autres produits essentiels doivent être fabriqués, stockés et distribués en même temps. Les seringues, par exemple, sont essentielles au processus.

« Le marché mondial des seringues est de 20 milliards d’unités. Cela peut sembler beaucoup. Mais si vous devez administrer deux doses à la moitié de la population mondiale, cela représente huit milliards de seringues en plus. Il faut trouver des capacités pour gérer cela », illustre Stephen Meyer. « Les fabricants de seringues, de tubes et de fioles en plastique, de tampons médicaux imprégnés d’alcool ne restent pas les bras croisés à attendre les pics de demande », constate-t-il.

Une supply chain plus complexe que pour un vaccin « normal »

En plus de son échelle hors normes, la chaîne d’approvisionnement du vaccin contre la COVID-19 est également plus complexe que celle pour un vaccin classique, ajoute Stephen Meyer. La supply chain de ces vaccins repose sur des processus bien définis et rationalisés, qui va de l’usine du fabricant aux cabinets de médecins généralistes en passant par les pharmacies.

« Mais là, il n’y a pas que les fabricants et les acteurs des soins médicaux, il y a aussi les gouvernements », avertit-il. Or cette partie « publique » ajoute intrinsèquement de la complexité, car chaque gouvernement aura une approche différente de la distribution des vaccins, continue-t-il.

Anne RobinsonAnne Robinson, Kinaxis

La distribution du vaccin nécessite une planification minutieuse, renchérit Anne Robinson, responsable de la stratégie chez Kinaxis, un éditeur logiciel de planification appliquée à la supply chain.

« La planification, c’est le problème numéro 1 », lance-t-elle. « La demande va dépasser l’offre. Il faut donc déterminer des priorités : qui reçoit quoi, et comment faire pour que les vaccins soient répartis de manière équitable […] Presque tous les gouvernements ont signé des contrats avec les différents fournisseurs de vaccins [pour assurer leurs approvisionnements en nombre], mais ils doivent quand même prendre ce type de décisions ».

Pour Anne Robinson, les techniques d’analyse de scénarios et de planification dynamique peuvent aider à déterminer les facteurs pertinents à prendre en compte dans cette prise de décisions.

« Par exemple, si vous ciblez une certaine population et que vous voulez que ce soit elle qui l’ait en premier, il vous faudra aussi prioriser les zones où le virus a le plus d’impact [au sein de cette population] », continue-t-elle. « L’un des plus grands défis sera de fixer ces priorités rapidement et à la volée, car nous n’avons pas assez de vaccins, en tout cas pas au début ».

« La planification, c’est le problème numéro 1. »
Anne RobinsonKinaxis

Du côté de l’industrie pharmaceutique, il faudra aussi raccourcir les cycles habituels de planification de la demande, ajoute Stephen Meyer.

« Dans une situation normale, comme pour la grippe saisonnière, le processus de planification est généralement mené sur un rythme mensuel », compare-t-il. « Mais lorsque la demande évolue beaucoup, comme c’est le cas actuellement avec le vaccin contre la COVID-19, vous devez raccourcir vos cycles de planification pour réagir plus rapidement en cas de pic ou de baisse de la demande. Comme cela, vous pouvez en tenir compte plus tôt dans vos calendriers de production et d’expédition ».

De surcroît, comme dans tout processus de fabrication complexe, toutes les pièces de la chaîne d’approvisionnement doivent s’assembler en même temps.

« Si vous n’avez pas les patients, les flacons, les seringues, l’antiseptique, les tampons et la personne capable de faire le vaccin dans la même pièce en même temps, cela ne fonctionne pas », souligne Dana Gardner. « C’est un ensemble très complexe de variables et il faut gérer cela à une très grande l’échelle : il faut le refaire des centaines de millions de fois ».

Une supply chain qui doit aussi gérer les différences entre les vaccins

Pour ajouter de la complexité à la complexité, les différents vaccins n’ont pas les mêmes conditions de stockage. Le vaccin de Pfizer doit être conservé à une température de -70 °C, alors que ceux de Moderna et AstraZeneca peuvent être conservés à des températures plus classiques de quelques degrés (mais à -20 °C tout de même, pour une conservation longue).

« Cela peut devenir un problème d’optimisation informatique ridiculement compliqué de s’assurer que vous vaccinez bien deux fois la même personne avec le même vaccin. »
Anne RobinsonKinaxis

Selon Anne Robinson, les contraintes liées au vaccin de Pfizer sont autant de défis supplémentaires pour la chaîne d’approvisionnement, tant pour le transport que pour la distribution du dernier kilomètre.

« [Le vaccin Pfizer] nécessite un investissement spécial pour le stockage dans un froid extrême. Et comme la taille des lots est d’environ 1 000 doses par boîte, pour que ce soit rationalisé, il faut pouvoir écouler 1 000 vaccins en peu de temps », résume-t-elle. « Ce n’est probablement pas un problème dans les zones urbaines, mais cela peut le devenir dans les zones rurales ».

Les trois vaccins ont en revanche un point commun : ils nécessitent deux doses pour une efficacité maximale, mais les intervalles entre les deux doses varient. Ce qui peut devenir un casse-tête logistique.

« Vous aurez aussi besoin de systèmes informatiques qui pourront tracer quel vaccin vous avez, qui a reçu quoi en première injection, et quand, et ensuite suivre la deuxième injection », approfondit Anne Robinson. « Cela peut sembler trivial, mais il peut s’agir d’un problème d’optimisation informatique ridiculement compliqué pour s’assurer que vous vaccinez bien deux fois la même personne avec le même vaccin ».

Une indispensable mentalité de « communauté »

L’ensemble de la chaîne d’approvisionnement en vaccins doit fonctionner dans une perspective de « communauté » et non d’acteurs individuels, ajoute Anne Robinson.

« Là, il n’y a pas que les fabricants et les acteurs des soins médicaux, il y a aussi les gouvernements. »
Stephen MeyerGartner

« Il ne s’agit pas du vaccin, il s’agit de la vaccination. L’approche doit être celle d’une communauté, parce que nous sommes tous dans le même bateau », résume-t-elle.

En fin de compte, la preuve que certaines chaînes d’approvisionnements auront mieux géré que d’autres ce processus extrêmement difficile se verra de manière évidente : certaines populations atteindront l’immunité – certaines plus rapidement que d’autres – et d’autres non, estime Dana Gardner.

« On devrait voir de manière assez claire pourquoi tels systèmes, tels protocoles et telles procédures ont bien fonctionné », conclut-il. « Et nous pourrions découvrir que le mélange public privé ne fonctionne pas toujours de manière optimale, et que peut-être tout cela devrait être une activité publique. Nous allons apprendre assez rapidement quels sont les bons modèles et quels sont les mauvais ».

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