OpenXML est normalisé… le processus de vote de la France, lui, l'est moins

Des votants qui ne se souviennent plus d’avoir voté, des éléments nouveaux qui n’en sont pas vraiment, une séance d’autojustification, des rumeurs d’intervention politique. Décidément, la normalisation ISO d’OpenXML ne ressemble en rien à l’image volontiers poussiéreuse que renvoie ce type d’activités.

Des votants qui ne se souviennent plus d’avoir voté, des éléments nouveaux qui n’en sont pas vraiment, une séance d’autojustification, des rumeurs d’intervention politique. Décidément, la normalisation ISO d’OpenXML ne ressemble en rien à l’image volontiers poussiéreuse que renvoie ce type d’activités. Si cette normalisation internationale est désormais acquise – et assez facilement -, la position de la France continue à susciter des interrogations. A l’issue des examens au sein de la commission technique chargée du dossier (dernière réunion le mardi 25 mars), l’ensemble des observateurs s’attendaient à un vote négatif. Soit le maintien de l’opinion exprimée par l’Afnor en septembre dernier. Sauf que, in fine, la France s’est abstenue, dans une position exprimée samedi dernier. Ce qui d’ailleurs, soit dit en passant, n’a eu aucune incidence sur le résultat final à l’ISO.

Reste le sentiment étrange laissé par ce changement de position. Que s'est-il donc passé entre la réunion de la commission le mardi et le vote de l'Afnor à l'ISO le samedi ? Dans une conférence de presse téléphonique, un peu précipitée et virant à la séance d’autojustification, l’organisme national, par les voix d’Olivier Peyrat, son directeur général, et de Frédéric Bon, le Pdg de Clever Age qui présidait la commission technique, a tenté d’expliquer les raisons d'un mystérieux revirement. « Ce que la normalisation n’est pas, c’est une guerre de religion. Nous essayons de prendre en compte les points de vue de tous les acteurs économiques, y compris les plus faibles », attaque d’emblée Olivier Peyrat. En résumé, selon l’organisme, le passage de « non » à « abstention » s’explique par deux éléments clefs.

Premier point : un format désormais coupé en deux

L'Afnor fait valoir que l’Ecma, l’organisme sollicité par Microsoft pour porter son format devant l'ISO, a suivi une des recommandations majeures de la France émises en septembre. A savoir la séparation d'OpenXML en deux, une partie coeur et une autre intégrant essentiellement des éléments de compatibilité avec les formats existants de Microsoft. « Cette proposition n'a pas été accueillie favorablement en septembre, explique Frédéric Bon. Mais cette vision a finalement été retenue. » Bref, il faudrait y voir une victoire française.

C'est oublier un peu vite l'autre demande centrale qui avait fondé le « non avec commentaires » de l'Afnor en septembre dernier : la volonté de voir ODF (le format d'OpenOffice, déjà approuvé par l'ISO) converger avec OpenXML. « En créant OpenXML Strict (le coeur, ndlr), on isole une partie de la norme pour la mettre en face d’ODF. Ce qui va faciliter les travaux d’interopérabilité et pourquoi pas, à terme, de convergence », explique Frédéric Bon. Dans une lettre au directeur général de l'Afnor, que ce dernier dit avoir fait suivre aux membres de la commission technique le vendredi 28, Eric Boustouller, le Pdg de Microsoft France, s'engage au nom de l'éditeur à participer à un groupe de travail, sous l'égide de l'ISO et des organismes nationaux de normalisation, visant à « une meilleure interopérabilité des deux standards ouverts et distincts OpenXML et ODF ». « On ne parle pas de convergence mais plutôt d’harmonisation », explique Bernard Ourghanlian, le directeur technique de Microsoft France interrogé sur la question. Des formats « distincts » : une nuance de taille par rapport à la « convergence » entrevue par Frédéric Bon.

Second point : les éléments nouveaux

Cette lettre d'Eric Boustouller, c'est le second élément clef de l'argumentaire de l'Afnor pour expliquer son revirement : il y aurait eu des éléments nouveaux entre la dernière réunion de la commission le 25 et le vote, le 29. Trois en fait : la position de Patrick Durusau, un des responsables de l'évolution de la norme ODF au sein de l'Oasis, celle de HP et donc la lettre d'Eric Boustouller. Et l'Afnor de comparer ces éléments à des faits nouveaux conduisant, dans une procédure judiciaire, à la réouverture de l'instruction (sic). Sauf que le premier fait (la position de Patrick Durusau) date en réalité du 5 mars. Que le second n'est qu'une position générale prise internationalement. Reste la lettre de Microsoft France. Dont le poids est reconnu par Frédéric Bon. Selon lui, au cours de la réunion de la commission, mardi 25, trois camps campaient sur leurs positions respectives : « une partie des intervenants défendaient l'obtention de la norme pour que le marché gagne en visibilité, une autre était embarrassée de valider un texte non définitif (certaines modifications demandées par les organismes nationaux n'ayant pas été intégrées par l'Ecma faute de temps, ndlr) et une petite partie de l'assemblée mettant en avant des failles techniques pour refuser la normalisation. Certains doutes ont été levés entre mardi et vendredi. » Dans la lettre précisèment. Ce qui aurait notamment conduit au changement de position de la DGME, la Direction générale de la modernisation de l’état, un service considéré par plusieurs interlocuteurs comme étant en sursis au sein de l'administration française, et de la DGE, la Direction générale des entreprises dépendant de l'Industrie. Un revirement des deux acteurs clefs de l'administration française sur ce dossier évoqué par les Echos et confirmé par Bernard Ourghanlian

Les membres de la commission ont-ils la mémoire qui flanche ?

Selon l'Afnor, la lettre d'Eric Boustouller aurait été envoyée aux membres de la commission le vendredi 28. « Et ces derniers nous ont répondu samedi matin dernier carat, pour que nous finalisions notre position dans l'après midi », explique l'Afnor. Sauf que ce n'est pas le souvenir qu'en gardent certains membres de ladite commission. Un de ceux-ci explique que la fameuse lettre avait en fait déjà été lue en séance et ne constituait donc pas un fait nouveau. « C'est pour ça que tout le monde s'étonne, explique-t-il. En réalité, la dernière position de la DGME n'a pas été prise par les experts du service qui participaient à la commission technique de l'Afnor, mais dans les cabinets ministériels. » Au sein de l'administration, court la rumeur que le revirement français aurait été dicté de l'Elysée, par le conseiller spécialisé dans les nouvelles technologies, Franck Supplisson. « Les experts de l'administration ont gardé leur position négative jusqu'au dernier moment, mardi 25. Après c'est le trou noir... », reprend notre interlocuteur.

Une vision des faits que dessine également l'April dans un communiqué. L'association de promotion des logiciels libres remarque que « le vote de l'Afnor ne reflète absolument pas un consensus de la Commission, bien au contraire. Lors de la réunion du 25 mars 2008 destinée à finaliser la position de la commission, les membres ont estimé que l'abstention n'était pas un choix acceptable. Le changement de position de l'Afnor est sans doute du à des tractations de dernières minutes ce week end, à un niveau élévé. »

Interrogé sur la raison pour laquelle Microsoft France aurait attendu la dernière minute pour envoyer sa fameuse lettre, riche en « éléments nouveaux », Bernard Ourghanlian n'a d'abord pas su répondre. Avant d'évoquer les délais nécessaires à la validation d'un courrier important par le siège de l'éditeur, à Redmond. « Le lien entre ce courrier et la décision de l'Afnor est de toute façon peu clair, plaide le directeur technique. On n’avait aucune certitude en l'envoyant. »

Et maintenant ?

Reste l'avenir. Avec un standard OpenXML en passe de devenir la norme ISO 29500, rejoignant ainsi ODF (ISO 26300) et PDF (ISO 32000). « Le contrôle de cette norme passe désormais dans les mains de l'ISO, explique Bernard Ourghanlian. De notre côté, il va falloir que nos produits la supportent. » Microsoft n'a encore annoncé aucun calendrier en la matière, ni le mode de déploiement de cette implémentation. Rappelons que le format actuellement présent dans Office n'est que la version présentée initialement par l'Ecma à l'ISO, version largement amendée depuis pour aboutir à la norme, qui reste encore à finaliser.

Reste également à tirer les leçons d'une normalisation pour le moins rocambolesque, notamment dans son étape française. Dans des cas polémiques comme celui d'OpenXML, le processus de normalisation a clairement montré ses limites. Et sa porosité aux lobbies, une remarque qui ne concerne pas le seul Microsoft. « Ce serait à refaire, il faudrait se donner plus de temps. Au-delà de plusieurs centaines de pages de specifications, il est très difficile de travailler avec les règles du jeu actuelles », reconnaît le directeur général de l'Afnor. Plus de temps et aussi peut être plus de transparence dans la construction du vote de la France ?

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