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Web Conference 2018 : les promesses et les risques du futur Internet divisent les grands acteurs

The Web Conference (anciennement WWW) est la plus importante conférence scientifique mondiale consacrée au Web. L’édition 2018 a fait le point sur la sécurité, le respect de la vie privée et les futures évolutions du web avec des interlocuteurs de tout premier plan comme Tim Berners-Lee ou Vinton Cerf. Entre la vision marchande des grands du numérique et celle des défenseurs d’un Internet éthique, les divergences sont profondes.

L’impact d’Internet, de l’Internet des Objets (IoT) et de l’Intelligence artificielle (IA) sur la société, l’économie et la culture ont été les fils rouges de la Web Conférence à Lyon du 23 au 27 avril.

Rassemblant les chercheurs et les acteurs majeurs (Facebook, Ebay, Google, etc.) de 62 pays, les conférences ont tracé les lignes de force de l’avenir d’Internet avec d’une part la vision résolument optimiste des représentants des grandes plateformes, et d’autre part les points de vues opposés du fondateur du web Tim-Berners Lee ou d'Eric Leandri, fondateur du moteur de recherche européen Qwant.

Ruhi Sarikaya, Directeur des sciences appliquées d’Amazon - il dirige le programme de Machine Learning Alexa Brain - argumente contre les régulations imposées par les gouvernements. Elles peuvent, selon lui, saper l’innovation.

Pour lui, l'AI va inévitablement infuser les domaines de la santé, de la finance, de la mobilité ou de l’agriculture.

Kira Radinsky, Directrice Data Science d‘Ebay, pose un regard prospectif singulier « ce qui est vraiment nouveau, c’est l’ère des machines qui vont apprendre aux machines. En collectant des millions de données, nous pourrons créer des produits résolument nouveaux ». Elle jette un pavé dans la mare en affirmant même « vendre ses données personnelles pourrait être la prochaine monnaie universelle. »

Un monde numérique clivé semble se dessiner avec d’un côté l’Europe et de l'autre le reste du monde

Son opinion va à l'encontre des positions sur la protection de la vie privée des internautes de Tim Berners-Lee. « Nous avons conçu un web libre et gratuit. Nous pensions que les gens en feraient bon usage mais les biais sont nombreux. Aujourd’hui l’IA peut évoluer dans le mauvais sens. Les données personnelles ne sont pas le nouvel or noir. Si je vous donne du pétrole, de l’eau, etc.  Je ne les ai plus alors que si je vous donne mes données, j’en dispose encore ».

Tim Berners-Lee appelle de ses voeux une intelligence artificielle sous contrôle. « Quand je demande à Alexa d’Amazon "Alexa, pour qui travailles-tu ?" je sais qu’elle ne travaille pas pour moi ! ».

Vinton Cerf, qui a formalisé le protocole TCP/IP, Chef évangéliste d’Internet chez Google est, sans surprises, beaucoup plus réservé. « Nous devons détecter les contenus nocifs sur nos réseaux sociaux avec des initiatives à l’image de Public Core of the Internet qui veulent édicter des normes internationales de protection. La notion de norme est une étape importante pour gérer les éventuels risques et effets de bord des technologies quand on s’adresses à des dizaines de pays dans le monde ».

Antoine Bordes, directeur du FAIR, labo de recherche en France de Facebook, affiche un avis prudent sur l’Intelligence artificielle «  Ce n’est que du code, on peut le contrôler, mais en revanche il faut faire attention lors de l’application concrète».

La protection des données personnelles au cœur des débats

Les récents déboires de Facebook concernant les données personnelles de 87 millions d’abonnés, siphonées par Cambridge Analytica au profit de la campagne de Donald Trump, ont focalisé les débats de la Web Conference sur les enjeux de vie privée.

Un signal d’alarme en résonnance avec la l’application le 25 mai 2018, du RGPD, le règlement européen qui impose aux entreprises et institutions d’assurer la protection optimale des données personnelles à chaque instant.

L’intervention de Lorrie Faith Cranor, professeur à l’Université Carnegie-Mellon, experte des politiques de protection des données, éclaire sur les difficultés à légiférer sur la vie privée. « A part les avocats, les régulateurs et le journalistes, personne ne lit les notices et chartes de protection des données personnelle. Il faudrait 244h par an pour lire celles des principaux sites web ! ».

Le département universitaire qu’elle dirige a travaillé sur la simplification des notices sur la base des labels de couleurs figurant sur les emballages de produits alimentaires. Le principal biais de ces polices et informations de confidentialité est qu’elles sont en Opt-out, autrement dit que les règles de confidentialité à l’avantage des plateformes numériques sont installées par défaut. Le paramétrage de ces règles est long et rebutant pour les utilisateurs. Comme l’indique Lorrie-Faith-Cranor, les propositions de régulations et de standardisation ne sont pas reprises par les organismes régulateurs comme la FTC (Federal Trade Commission). « Nous avons initié une class action contre les entreprises qui ne protégeaient pas les données personnelles, mais elle a été déboutée par la justice ».

Un monde numérique clivé semble se dessiner avec d’un côté l’Europe - dont la RGPD illustre un engagement fort vers la protection des données personnelles (ainsi que l’a souligné Mounir Majhoubi, Secrétaire d’Etat au numérique) - et de l'autre le reste du monde qui parle de responsabilisation des acteurs, depuis l’utilisateur jusqu’aux plateformes numériques.

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