Territoire intelligent : la métropole d’Angers se dote d’un jumeau numérique

Pour concrétiser son projet de territoire intelligent, Angers Loire métropole a choisi de s’entourer d’un consortium formé du groupement Engie, de Suez, La Poste et VyV. Le premier livrable de ce projet décennal est un jumeau numérique concocté par SIRADEL, un spécialiste de la simulation 3D.

Si les jumeaux numériques commencent à agiter le milieu industriel, les acteurs en charge des projets de villes intelligentes y voient un moyen d’aider les collectivités.

Parmi les projets d’envergure en France, l’on peut citer celui d’Angers Loire métropole. Après un marché public lancé à la fin de l’année 2018, la collectivité a choisi en décembre 2019 un consortium dirigé le groupement ENGIE avec Suez, La Poste (principalement sa filiale Docaposte) et le groupe mutualiste VYV. Le contrat s’élève à 178 millions d’euros HT sur douze ans et comprend une tranche ferme de 121 millions d’euros.

« Ce marché public a vocation à doter la collectivité d’un socle numérique intégrant un jumeau numérique. La pose et la maintenance de capteurs ou d’infrastructures communicantes pour les thématiques (éclairage public, bâtiments, espaces verts, déchets, eau et assainissement, signalisation, stationnement et mobilité, sécurité) sont également intégrées dans ce marché d’envergure », rappelle Guy Paganelli, Directeur de projet pour le groupement ENGIE piloté par ENGIE Solutions à Angers.

Ces acteurs proposent non seulement de moderniser la métropole d’Angers, mais aussi de rendre le territoire « intelligent ». À la base de ce projet, l’on retrouve « Livin' », une plateforme ouverte capable de s’interconnecter avec les actifs et les infrastructures urbaines via des API Rest (basée sur ENGIE DigiPlaceAPI, une gateway multi API) afin de collecter, d’analyser et d’exploiter les données en provenance de l’éclairage public, des équipements de sécurité ou encore de mesures environnementales. Le consortium promet de réduire de 66 % la facture d’éclairage public, de 20 % celle de l’énergie des bâtiments et de 30 % celle de l’arrosage public, dès 2025.

C’est justement l’aspect modulaire de Livin’ qui permet à ENGIE et ses partenaires de proposer à la métropole d’Angers les premiers livrables de ce projet de longue haleine. Ici, il s’agit de mettre en place un jumeau numérique de la collectivité rassemblant 29 communes, afin de visualiser la préparation et l’installation de nouvelles infrastructures comme un nouveau musée, des lignes de tramway dans Angers, mais aussi prévoir les aménagements et les évolutions du territoire intelligent Angers Loire métropole, dans les années à venir.

Un jumeau numérique en trois dimensions

Pour concevoir ce jumeau numérique, le groupement ENGIE fait appel à sa filiale SIRADEL, spécialisée dans la modélisation, la simulation et la visualisation en trois dimensions de villes intelligentes. Elle a déjà « numérisé » plus de 2 000 villes en 3D en France.

« Ce jumeau ou double numérique 3D sert à chaque phase de la démarche intégrée de transformation du territoire, à commencer par les transformations [des infrastructures] envisagées, l’évaluation des économies réalisables des différentes ressources (financières, énergétiques, écologiques, foncières…), les prises de décision, la communication par immersion en 3D dans le territoire, par exemple. Ce n’est pas un gadget, c’est un outil de tous les instants et c’est un programme qui va durer une dizaine d’années », assure Laurent Bouillot, PDG de Siradel.

Mais avant de pouvoir reproduire en trois dimensions et y combiner les données de l’ensemble des actifs du territoire, il faut réunir les données au sein d’un « socle commun ».

« Ce jumeau ou double numérique 3D [...]n’est pas un gadget, c’est un outil de tous les instants et c’est un programme qui va durer une dizaine d’années. »
Laurent BouillotPDG, SIRADEL

« Le jumeau numérique 3D s’appuie sur un socle qui rassemble la totalité des informations disponibles dans les services de la métropole. Dans certains cas, nous avons des informations qui ne sont pas homogènes ou même pas du tout numérisées. Ce travail de préparation du traitement de la donnée nous incombe également », explique le PDG de Siradel.

Ce support n’est autre qu’un ensemble de services de gestion de données fourni par DocaPoste – la filiale IT de La Poste – (ce qui, au passage, évite les problèmes de soumission au CLOUD Act) qui sera amené à accueillir l’ensemble des informations des services de la métropole et permettra de les croiser.

« L’objectif c’est de prétraiter les données et qu’elles soient le plus adressable par tous les services. Par exemple, l’on peut croiser des données sur l’éclairage public avec des informations sur le comportement des personnes, leur déplacement afin de réaliser des économies d’énergie et réduire la pollution lumineuse. À Angers nous avons effectué des simulations d’inondations qui peuvent couper des routes et mesurer la capacité du réseau routier à absorber du trafic de véhicules », indique le responsable.

Les outils de Docaposte sont directement connectés à des briques logicielles qui permettent non seulement de les gérer, mais également de contrôler les infrastructures dont elles proviennent.

Dans un second temps, une plateforme de services permettra de partager les données croisées avec des startups, des entreprises et des citoyens.

« En complément du jumeau numérique, des plateformes de visualisation 3D et d’hypervision du fonctionnement des infrastructures (Livin »), une troisième partie des solutions smart city est constituée de moteurs de simulation. Cela peut être des moteurs métiers pour effectuer des calculs techniques, scientifiques, par exemple sur la pollution de l’air, des prédictions de couverture réseau après l’installation de nouvelles antennes, de mesures de nuisance lumineuse à partir de données d’éclairage public, etc., etc. Toutes ces capacités d’analyse sont disponibles via des modules métiers additionnels à la plateforme smart city », précise Laurent Bouillot.

À noter que SIRADEL s’est spécialisée dans la planification de déploiement de réseau de télécommunication, une compétence mise en avant par le groupe pour faciliter les installations des infrastructures 5 G.

Le tout sera accessible depuis l’hyperviseur Livin ». C’est depuis celui-ci que les autorités pourront détecter une crue, par exemple, simuler sa propagation depuis la plateforme dédiée au jumeau numérique et effectuer diverses prédictions, dont celles évoquées ci-dessus. Il existe de nombreuses possibilités, selon Laurent Bouillon.

D’autres outils pourraient être développés de manière spécifique selon les cas d’usage et le consortium n’exclut pas non plus de faire appel à d’autres partenaires capables de compléter l’expérience.

Modéliser tout un territoire en s’inspirant de poupées russes

Pour effectuer ces simulations en temps réel, le jumeau numérique doit se nourrir des données géographiques sur le territoire à observer.

« Avec la métropole d’Angers, nous réalisons des vues aériennes stéréoscopiques pour prendre des photos à très haute définition (à cinq centimètres de définition de pixel) de l’ensemble du territoire. Cette phase de prise de vue va permettre d’agréger de nouvelles données pour alimenter les simulations, anticiper les projets urbains pour pouvoir appréhender leur construction », assure Laurent Bouillot.

Ces prises de vues prévues dans les semaines à venir vont permettre de modéliser « 666 km2 répartis sur 29 communes », rappelle un communiqué de presse dédiée à cette opération.

Ces nouvelles données sont intégrées dans les modèles objets conçus par les spécialistes de la filiale d’ENGIE. Les fichiers numériques correspondants sont nommés Building Information Model. Ces fichiers comprennent les caractéristiques d’un ou des bâtiments, mais peuvent également contenir des données sur les travaux publics, les infrastructures de réseaux, le génie civil, etc. Ces fichiers BIM peuvent être intégrés dans des modèles CIM (City Information Model), qui contiennent ce type d’informations à l’échelle d’une ville. Un City Information model peut également s’intégrer dans une couche encore plus large : le TIM ou Territory Information Model.

« Sur l’organisation de la donnée du territoire, nous avons des sortes de poupées russes de données qui permettent d’aller au plus fin, y compris en sous-sol pour obtenir une cartographie, une représentation 3D de tout type de données du territoire pour ensuite les exploiter, les transformer, mesurer les impacts et faciliter cet effort collectif. Ce sont plusieurs milliers de modèles objets et des dizaines de milliers de jeux de données qui sont ainsi combinées », indique Laurent Bouillot.

Justement, « ces poupées russes » posent la question de l’interopérabilité des données et des modèles objet. Pour que l’initiative du consortium réussisse, elle se doit d’être la plus ouverte possible.

L’interopérabilité des données, une étape nécessaire

« Le formalisme de la donnée est un gros sujet chez nous. […] Ces formats doivent être les plus génériques possible. Certains acteurs veulent imposer leur standard. Ce sont pour moi des modèles économiques qui sont totalement dépassés et les plus grands éditeurs logiciels ressentent que c’est une impasse d’imposer un écosystème fermé. Toutefois, il faut conserver une forme de robustesse et de réduction des coûts, puisque nous avons ici des engagements forts auprès de la collectivité », pèse Laurent Bouillot.

« Il [le jumeau numérique] a déjà un noyau. Des premiers logiciels ont été mis à disposition pour la métropole d’Angers. Nous avons très tôt donné accès aux projets que nous avions développés dans le cadre du dialogue compétitif. »
Laurent BouillotPDG, Siradel

Si ce jumeau numérique est présenté comme une brique essentielle au projet de numérisation des infrastructures de la métropole d’Angers, il pourrait être perçu comme un coup de communication, sinon un outil qui ne serait utile que lors de la phase de démarrage. Il n’en est rien, selon le PDG de SIRADEL.

« Il [le jumeau numérique] vit et c’est sans fin. Il a déjà un noyau. Des premiers logiciels ont été mis à disposition pour la métropole d’Angers. Nous avons très tôt donné accès aux projets que nous avions développés dans le cadre du dialogue compétitif », défend-il.

Ces premiers MVP sont amenés à s’enrichir. En effet, le travail de collecte de données ne fait que commencer pour le consortium.

Je dirais que les deux premières années vont être les plus intenses afin d’agréger des données, de mise en correspondance. Par expérience, si les gens se prennent au jeu, cette phase d’émulsion peut durer plus longtemps. Nos livrables vont s’enrichir au fil du temps », conclut Laurent Bouillot.

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