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Télétravail et pandémie : vers un nouveau « Contrat Social » ?

Au bout de plus d’un an de pandémie, le télétravail devient une norme acceptée, voire demandée par les salariés eux-mêmes. Ce qui redéfinit quelques notions de droit et peut, à terme, modifier en profondeur la relation de travail.

Au commencement et notamment en France était le CDI, basé sur deux notions intangibles : un temps de travail fixé par la loi (35 h) et souvent mentionné dans le contrat, et un lieu de travail expressément mentionné dans le contrat – à savoir le siège social de l’employeur ou ses différents locaux, le fameux « bureau ».

Or, pandémie oblige, le bureau est devenu virtuel : chez soi, pour une bonne partie des salariés. La plupart des salariés sont demandeurs et la norme évolue vers deux à trois jours de télétravail par semaine, tandis que les sites d’installation en province fleurissent. Si certaines initiatives peuvent faire sourire, jamais les sites immobiliers et les agences n’ont enregistré autant de demandes pour des maisons individuelles à la campagne ou en bord de mer, et des pied-à-terre, voire des colocations, près des sièges sociaux.

Le télétravail fait voler en éclat unité de temps et de lieu

Sur le plan juridique, le télétravail pose deux questions centrales que nous avons déjà mentionnées : le temps, et le lieu de travail. Or, selon Nicolas Pottier, avocat associé du cabinet Versant et spécialiste chevronné du droit du travail, les textes de loi, mais surtout la jurisprudence et les accords collectifs, ont permis de bien baliser un terrain qui peut vite s’avérer miné, lorsque les parties en présence ne sont plus d’accord.

« Les textes de loi sont très succincts, l’essentiel du régime étant renvoyé aux partenaires sociaux, dans le cadre d’accords collectifs, ou à l’employeur, dans le cadre d’une charte », précise en préambule Nicolas Pottier. Pour le premier point, le temps de travail, un premier problème peut se poser, déjà traité sur le plan législatif : le « droit à la déconnexion ».

Une reconnaissance légale du droit à la déconnexion

« C’est reconnu dans les textes de loi et doit être prévu par un accord ou une charte, soit informatique, soit définissant les plages de connexion, et le droit à la déconnexion », précise Nicolas Pottier. Pas plus en télétravail qu’autrement, il n’est admis d’exiger une réponse à mails envoyés en dehors des heures travaillées.

Les managers insomniaques sont priés de respecter le sommeil de leurs collaborateurs et leur vie de famille. C’est du plus élémentaire bon sens, mais quelques managers trop zélés ou stressés ont été tentés de réprimander leurs collaborateurs pour ne pas avoir répondu à un mail forcément urgent, en pleine nuit ou dès potron-minet. La plupart du temps, une discussion en interne a permis d’éviter le passage devant les Prudhommes…

Lieu et moyens

Mais il y a des sujets plus sensibles, à commencer par les moyens du salarié pour exécuter son contrat en période de télétravail : le logement, avec ses servitudes – chauffage, électricité, etc. –, mais aussi la connexion et surtout la place consacrée dans le logement au bureau du salarié rentrent en ligne de compte ; et ça devient vite complexe.

« Le principe contenu dans les textes est que l’entreprise rembourse les frais que le salarié consacre à son activité professionnelle, y compris en période de télétravail. »
Nicolas PottierAvocat associé du cabinet Versant, spécialiste du droit du travail

« En fait », précise Nicolas Pottier, « le principe contenu dans les textes est que l’entreprise rembourse les frais que le salarié consacre à son activité professionnelle, y compris en période de télétravail », c’est-à-dire l’eau, le chauffage, les moyens de communication (ordinateur, coût de la connexion).

Cette prise en charge est exonérée de charges et cotisations de sécurité sociale, soit sur la base de leur montant réel – une approche très complexe en pratique –, soit sur une base forfaitaire fixée par des barèmes arrêtés par l’URSSAF. À titre d’exemple, les frais liés au télétravail sont exonérés à hauteur de 10 € par mois pour un jour de télétravail par semaine, 20 € par mois pour deux jours de télétravail par semaine, et ainsi de suite.

Quid de l’assurance ?

Deux sujets demeurent à part : la place consacrée dans le logement à l’activité salariée, et la prise en charge du risque. « Concernant la prise en charge du risque, la plupart des contrats d’assurance habitation incluent maintenant une garantie de protection des moyens informatiques liés au télétravail », précise Nicolas Pottier. Cette garantie couvre la perte en matériel, mais pas la perte de données en cas d’incident ou d’attaque. De leur côté, les contrats d’assurance des entreprises le prévoient, mais sont en train d’évoluer sur la prise en charge des pertes de données quand le salarié travaille de chez lui.

Concernant la place du logement consacré à l’exécution du contrat de travail, le sujet est plus complexe : « si un espace significatif – garage pour un commercial qui stocke des catalogues ou du matériel – y est consacré, la règle est pour l’employeur de verser à ce titre une indemnité spécifique au salarié ; dans les autres cas, aucune indemnité n’est due ».

Et l’accident du travail… en télétravail ?

Dernier point important, et non des moindres, le droit du travail reconnaît l’existence d’accident du travail même en télétravail. Autrement dit, une chute en allant se faire un café ou en se prenant les pieds dans les multiples branchements, « c’est légalement considéré comme un accident du travail », précise Nicolas Pottier.

Plus loin, relève Nicolas Pottier, « le télétravail devient, clairement, un argument de recrutement des entreprises », qui peut vite faire la différence sur un marché tendu, comme celui de la cybersécurité. « Nous avons des cas d’entreprises qui ont résilié tout ou partiellement leur bail professionnel, et font le choix d’avoir des locaux a minima ».

Vers un nouveau « Contrat Social » ?

Au-delà des ajustements techniques, cette période transitoire marque peut-être aussi le début d’une évolution profonde de la relation entre employeur et salarié. « En fait, il s’agit de décider ce qu’est aujourd’hui une entreprise », remarque Nicolas Pottier. Le moyen de gagner sa vie « à la sueur de son front », ce qui a légitimé l’emploi du mot travail – qui vient du latin tripalium, ou torture –, ou une mission à accomplir ensemble ? Un accord sur des valeurs communes ? Un lien social ?  

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