La Fondation Linux se dote d’une antenne européenne

Lors de l’Open Source Summit se déroulant à Dublin, la Fondation Linux, a annoncé la création de la LF Europe, une fondation dont le rôle sera « d’encourager la collaboration et l’innovation open source » sur le territoire européen. Pour l’instant, sa feuille de route est délibérément floue.

La Linux Foundation est, par nature, un consortium à but non lucratif. Non lucratif, mais américain. Or, il s’avère que les entreprises européennes, elles aussi, contribuent au code et au bon financement des projets open source. En effet, 31 % des membres de la fondation sont européens. Toutefois, la Fondation Linux reconnaît que ces entités doivent répondre à leurs propres enjeux et que la gouvernance de l’Union européenne forme des exigences technologiques et légales fortes.

Pour accompagner la communauté européenne open source dans ses défis, la Fondation Linux a annoncé la création d’une nouvelle structure : la LF Europe.

La LF Europe sera dirigée par Gabriele Columbro, directeur de la FINOS (FINtech Open Source Foundation). Cet Italien a passé plus de dix ans de sa carrière dans l’écosystème open source et vit depuis plusieurs années aux États-Unis, à San Francisco. S’il incarne ce rôle officiellement depuis le 13 septembre, Gabriele Columbro conserve la direction de la FINOS. Il devrait déménager d’ici à la fin de l’année en Europe. Un bureau sera ouvert à Bruxelles au début de l’année 2023.

« Accessoirement, la Commission européenne fait le chemin inverse : elle vient d’ouvrir un bureau dans la Silicon Valley », note-t-il auprès du MagIT.

La tâche de la Linux Foundation Europe, elle, paraît encore peu précise.

« La mission de la Linux Foundation Europe est d’accélérer la croissance d’efforts de collaboration ouverts et florissants axés sur les défis et les opportunités de tous les groupes d’intérêt européens, des particuliers aux secteurs public et privé, tout en offrant une rampe de lancement aux projets et entreprises européens pour qu’ils réussissent et collaborent à l’échelle mondiale », écrivent les responsables de la nouvelle entité sur le site Web.

Pour rappel, il y a deux ans, la Fondation Eclipse a pris une décision bien plus radicale en décidant de relocaliser ses activités à Bruxelles. La Fondation Linux, elle, évoque davantage une antenne qui sera installée dans le centre névralgique du pouvoir européen.

« Je pense que nous avons le luxe de pouvoir créer une nouvelle entité plutôt que de déplacer une structure existante. Nous avons des objectifs communs et j’espère que nous collaborons avec d’autres fondations », déclare Gabriele Columbro.

Dans les statuts de l’organisation, LeMagIT constate que la LF Europe reprend les grandes missions de la Fondation Linux, à savoir « le soutien d’écosystèmes open source viables (logiciels, standards, gouvernance, données et réseaux ouverts) ». En pratique, elle doit accomplir les mêmes actions que la maison mère (organisation d’événements, réception de subventions privées et publiques, promotion et formation, redistribution des ressources au sein des projets).

Les statuts de cette fondation privée ont été déposés il y a deux ans aux États-Unis.

Supporter les besoins de verticaux spécifiques

Il y a pourtant la volonté d’apporter une coloration particulière à cette antenne européenne. Un premier programme prendra place au sein de la LF Europe : l’OpenWallet Foundation. Pour l’instant, il ne s’agit que d’un nom.

L’OWF souhaite accueillir un moteur open source jouant le rôle de portefeuille numérique. Si l’usage le plus évident semble la gestion de monnaies virtuelles, l’OWF évoque différents cas d’usage, dont la protection de mots de passe, de contrats, d’identités, etc. Parmi les entreprises intéressées par le projet, la Fondation Linux liste Okta, Accenture ou encore CVS Health.

« Les membres fondateurs de l’OWF ne sont pas tous européens. Il est important de rappeler que la participation à la Linux Foundation Europe est ouverte à toutes les organisations dans le monde », précise le directeur.

Même si Gabriele Columbro assure que la décision de la Fondation Linux n’a rien à voir avec celle de l’Eclipse Foundation, la LF Europe entend proposer une stratégie de développement similaire.

Au lieu de développer un écosystème autour de technologies génériques, le directeur envisage que l’antenne européenne développera son activité en se concentrant sur des verticaux industriels. Cette stratégie serait en réalité inspirée directement des volontés de la Commission européenne.

« Je vois le potentiel de rassembler une industrie en partant des problèmes qu’elle essaye de résoudre plutôt que de partir des technologies », affirme Gabriele Columbro.

« Je vois le potentiel de rassembler une industrie en partant des problèmes qu'elle essaye de résoudre plutôt que de partir des technologies ».
Gabriele ColumbroDirecteur Linux Foundation Europe

Reste à savoir dans quels domaines industriels ou verticaux la LF Europe compte investir. « Je pense aux communs numériques et à l’idée d’une souveraineté numérique européenne. S’il y a un intérêt pour ces sujets, nous serons ouverts à les soutenir. Mais en fin de compte, ce sera la communauté et les retours issus des secteurs public et privé qui façonneront le choix des domaines », avance prudemment le directeur.

La liste des premiers contributeurs donne une idée des verticaux qui pourraient prendre place au sein de la LF Europe. Le seul membre platinum n’est autre que le spécialiste des technologies de télécommunication Ericsson. Le sujet du portefeuille numérique a attiré Esatus AG, Bank of England, BTP (une startup spécialisée dans la blockchain) et Avast.

Le principe même de collaboration européenne est au cœur des activités d’OpenForum Europe. SAP et SUSE rejoignent a priori la fondation pour les mêmes raisons : les deux entités participent de longue date à plusieurs projets de la Fondation Linux.

Le RISE (Research Institutes of Sweden), lui, est sensible à la relation du numérique avec la nécessaire transition écologique, tout comme OpenUK.

Alliander, un distributeur d’énergie électrique, et RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France veulent favoriser l’interopérabilité de systèmes et logiciels utilisés dans la gestion de l’électricité. Pour rappel, ces deux organisations sont les principaux membres de la LF Energy, une fondation mise en avant par Jim Zemlin, lors de sa conférence d’ouverture de l’Open Source Summit Europe.

 « Il y a deux autres projets qui sont encore confidentiels, mais qui vont vraiment dans le sens de la mise en œuvre de réglementations européennes spécifiques par le biais de l’open source dans les domaines de l’énergie, de l’application des mesures ESG ou du côté des télécoms », suggère Gabriele Columbro.

En outre, la présence de l’équipementier Bosch et du spécialiste de la navigation GPS TomTom laisse peu de doute quant à une collaboration autour des sujets de mobilité. Le fabricant de semiconducteurs hollandais NXP espère lui aussi « participer à davantage de projets concernant l’automobile, l’IoT Industriel, le traitement des données en périphérie, la connectivité ou encore la sécurité », avance Rob Oshana, vice-président de l’ingénierie logicielle R&D chez NXP.

À noter que NXP est un des participants au projet de processeur établi sur une architecture ouverte, RISC-V.

L’open source, « la clé pour désintermédier » l’accès aux technologies

Les sujets relatifs aux architectures matérielles et aux infrastructures en général sont sensibles en Europe. Ils touchent aux relations internationales et à l’extraterritorialité des lois américaines, entre autres.

Lors d’une séance de la commission de la défense nationale et des forces armées françaises qui s’est déroulée le 13 juillet 2022, Stéphane Bouillon, Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, affirmait que : « La présence d’un composant américain, ne serait-ce qu’une puce, dans le produit d’un État étranger, ouvre le droit aux Américains de demander des explications sur la manière dont il est produit, même si cela relève du secret professionnel, voire de poursuivre l’entreprise et ses dirigeants ».

« Il est désormais largement admis que les efforts de collaboration ouverte ne tombent pas sous les règles habituelles de contrôle des exportations aux Etats-Unis et en Europe ».
Gabriele ColumbroDirecteur Linux Foundation Europe

« C’est pourquoi l’open source est la réponse », réagit Gabriele Columbro. « Il est désormais largement admis que les efforts de collaboration ouverte ne tombent pas sous les règles habituelles de contrôle des exportations aux États-Unis et en Europe ».

 Cela s’appliquerait également à l’adoption de certains logiciels propriétaires. « Je pense que l’open source est vraiment la clé pour désintermédier certaines de ces conversations », ajoute le directeur de la LF Europe.

« Je ne suis pas naïf. Cela ne va pas être un travail aisé, mais je tente de convaincre des banques de participer à des projets open source ; si j’arrive à faire cela, nous avons une chance de nous battre sur ce sujet », espère Gabriele Columbro.

Pour accompagner le lancement de la LF Europe, la Fondation Linux a réalisé une étude concernant l’état de l’open source en Europe. « L’un des constats que nous avons faits en Europe, c’est qu’il y a un déséquilibre entre la consommation et la contribution à des projets open source, mais aussi une inquiétude concernant la viabilité des projets, pour des raisons de cybersécurité, par exemple », remarque le dirigeant.

Ainsi, la LF Europe devra jouer le rôle d’un organe de vulgarisation et de popularisation de l’open source auprès des dirigeants d’entreprise et des membres de l’Union européenne.

« Indubitablement, le secteur public est très en avance en matière d’open source en Europe, mais d’un autre côté il semble que les principaux avantages sont la transparence et la réutilisation. Ce sont des objectifs tout à fait louables, mais ces acteurs ne profitent pas de la pleine valeur de l’open source et de la collaboration ouverte, en quelque sorte au-delà du code », nuance le directeur de la LF Europe. « Ce que j’ai appris avec FINOS, c’est qu’en amenant les entités réglementées, les régulateurs et tous les constituants de la chaîne de valeur, plus les contributeurs individuels et finalement les citoyens, autour de la table, cela résulte en une accélération massive de la collaboration ouverte ».

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