L’Open Source est un « bien public » (Commission européenne)
Selon un rapport pour la Commission, l’open source a un rôle majeur à jouer dans la croissance et l’autonomie stratégique de l’Europe. Mais les mesures de soutien seraient insuffisantes ou peu efficaces. Une trentaine de pistes sont évoquées pour y remédier.
La Commission européenne vient de publier un rapport sur l’open source et ses retombées pour l’économie et l’indépendance technologique européennes.
Le document de presque 400 pages – baptisé « The impact of Open Source Software and Hardware on technological independence, competitiveness and innovation in the EU economy » – s’inscrit dans la stratégie de la Commission lancée en octobre 2020 qui vise à mieux exploiter le potentiel de l’open source d’ici 2023.
Le document a été commandé en 2019 à l’institut allemand spécialisé dans la recherche en sciences appliquées Fraunhofer-Gesellschaft et au think tank OpenForum Europe, qui fédère de nombreux acteurs de l’open source (dont en France le CNLL).
Il balaie de nombreux domaines (maturité, licences, hardware, cas d’usage, etc.). Mais ses deux principales conclusions sont, sans doute, que l’open source doit désormais être considéré comme un « bien public » (sic), et qu’il est un élément central de la souveraineté IT et de l’autonomie stratégique européenne portées par une figure comme Thierry Breton.
Pourquoi l’open source est-il un « bien public » ?
Le rapport commence par un constat qui veut objectiver les bénéfices de l’open source. En 2018, les gouvernements et les entreprises de l’Union européenne auraient investi 1 milliard d’euros dans le logiciel libre. Ce chiffre correspond à l’équivalent temps plein des investissements personnels des 260 000 individus qui ont réalisé les 30 millions de commits issus du Vieux Continent sur cette année.
Rapport pour la Commission européenne
En retour, l’effet positif sur l’économie européenne se chiffrerait entre 65 et 95 milliards d’euros. Autre chiffre clef : une augmentation de 10 % des contributions créerait chaque année entre 0,4 % à 0,6 % de PIB et 600 start-ups de plus dans l’Union.
Enfin – et surtout ? –, l’open source a de multiples vertus, en particulier pour le secteur public qui « pourrait réduire [son] TCO, éviter un effet de dépendance à l’égard des fournisseurs et accroître ainsi son autonomie numérique ».
« Dans l’ensemble, les avantages de l’Open Source l’emportent largement sur les coûts qui y sont associés », résument les huit auteurs du document, et cela même si « ces avantages concernent principalement l’ouverture (en termes de normes et d’indépendance) et les économies de coûts de main – d’œuvre plutôt que la génération de revenus ».
L’open source, une affaire de petits européens et de gros américains
Une autre conclusion de l’étude est que le profil type du contributeur open source diffère grandement entre l’Europe et les États-Unis.
Dans l’UE, ce seraient les employés des petites – voire très petites entreprises – qui contribueraient le plus à l’open source. À l’inverse, aux États-Unis, les commits sont principalement le fruit de grandes entreprises IT, comme les GAFAM, « qui fondent avec succès leurs modèles économiques sur le vaste corpus de codes libres disponibles gratuitement et en constante amélioration ».
En Europe, plus l’entreprise est petite, plus l’investissement relatif dans l’open source serait même important : les entreprises de moins de 50 employés ont ainsi produit près de la moitié des commits. Conclusion : ce sont ces acteurs (les PME) qu’il convient de soutenir.
En ce qui concerne la ventilation par secteur, 50 % des contributeurs européens travailleraient dans l’IT. Les scientifiques et, dans une moindre mesure, les entreprises du commerce de gros, de détail et les sociétés financières seraient aussi de gros contributeurs.
L’échec des initiatives publiques par manque de directives
Rapport pour la Commission européenne
Dans les critiques, le rapport rappelle que les institutions publiques et les gouvernements ont soutenu l’open source à deux reprises : au début des années 2000 et au milieu des années 2010. Mais le jugement est sévère. « Dans l’ensemble […] les politiques de logiciels libres du secteur public ont souvent été infructueuses, même dans le cas des marchés publics ».
Tout n’est cependant pas noir. Il existe des cas où ces politiques ont réussi, avec à la clef quelques enseignements. « [Ce sont] les cas où l’open source est devenu un élément central d’un virage numérique et qu’il s’est par conséquent ancré dans la culture numérique de l’administration concernée ».
Conclusion, le recours à des lois – et seulement à la loi – qui imposent le développement et la réutilisation des logiciels libres dans le secteur public a échoué, « souvent en raison de l’absence de directives de mise en œuvre concrètes ».
Une Europe pas assez volontariste ?
Dans le monde, les politiques publiques n’auraient pas non plus eu les mêmes cibles.
Rapport pour la Commission européenne
Les politiques gouvernementales en Europe se concentrent sur le secteur public, tandis que les gouvernements asiatiques auraient tendance à se concentrer sur le secteur privé, avec par conséquent des leviers d’actions plus variés (incitations, soutien, conseil, partenariat public privé, etc.). « Le succès observé [des politiques publiques] dans le secteur privé est lié aux incitations économiques associées à l’open source, lesquelles jouent un rôle moins important dans le secteur public », souligne le rapport.
« Dans les pays qui ont augmenté leurs capacités logicielles dans le privé (comme la Corée du Sud et la Chine), l’Open Source a joué un rôle important dans la politique industrielle. Les gouvernements européens ont adopté une approche plus libérale, et l’UE est aujourd’hui en retrait en ce qui concerne les capacités dans ce domaine », regrettent les auteurs de l’étude.
Les recommandations du rapport
Pour pallier le manque de « capacités institutionnelles de l’Europe liées aux logiciels open source » qui sont « disproportionnellement inférieures à l’échelle de la valeur créée par ces logiciels », les auteurs formulent une liste d’une trentaine de recommandations.
Parmi celles-ci, la première est de « promouvoir l’autonomie numérique et la souveraineté technologique via l’Open Source », par exemple en intégrant totalement « l’open source et ses communautés dans les politiques européennes de recherche et d’innovation [et] dans les cadres politiques généraux, comme le pacte vert et la stratégie industrielle européenne ».
Rapport pour la Commission européenne
Une autre piste passerait par des budgets pour « créer un réseau financé par la Commission d’un maximum de 20 Open Source Project Offices dans le but de soutenir et d’accélérer la consommation, la création et l’application de technologies ouvertes ». Les auteurs invitent aussi à augmenter les financements en R&D, soit au travers de programmes existants, comme Horizon Europe, soit avec de nouvelles initiatives ; soit encore avec des bourses et des prix. Ils proposent également à la création de fonds de capital-risque, qui manqueraient cruellement dans ce secteur, pour lancer les initiatives européennes les plus innovantes dans le domaine.
La promotion de l’open source pourrait aussi passer par de plus « fortes incitations au téléchargement de code [dans] le cadre des projets de R&D financés par des fonds publics, dans des référentiels basés dans l’UE et accessibles au public ». Ce qui implique au passage de soutenir ces référentiels et les fondations open source. « L’élargissement des attributions de l’actuel Open Source Observatory pourrait constituer un point de départ ».
Côté fiscalité, le rapport envisage de traiter les contributions à l’open source comme des dons de bienfaisance.
Enfin, l’étude recommande « d’améliorer l’inclusion des logiciels libres dans les marchés publics » notamment en prenant en compte les particularités des PME, acteurs centraux de l’écosystème open source en Europe.
Un très bon accueil du CNLL
La liste complète des recommandations est disponible dans le rapport téléchargeable sur le site de la Commission européenne.
Elles « pourraient être utilisées […] dans l’élaboration des futures politiques », explique un communiqué de la Commission. Pourraient. Le conditionnel invite donc à patienter pour voir ce que les prochaines décisions officielles garderont de ce rapport.
En attendant, le document a d’ores et déjà été très bien accueilli en France par le CNLL (le Conseil National du Logiciel Libre) qui y voit une confirmation « des principales observations et recommandations qu’il a présentées récemment […] dans le cadre des missions parlementaires sur l’open data et le logiciel libre dans l’administration (rapport Bothorel) et sur la souveraineté numérique (rapport Latombe) ».
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