IA générative : les premiers tests prudents de Carrefour et Fnac Darty

Lors de Google Cloud Summit France, Carrefour et Fnac Darty ont partagé leurs premiers cas d’usage impliquant l’IA générative. Malgré leurs tentatives précoces, ces entreprises font preuve de beaucoup de prudence.

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Devant ses clients français réunis à la Mutualité, Google Cloud a mis en avant ses capacités d’IA générative. Selon les dires des porte-parole du géant du cloud, cette technologie est censée transformer en profondeur l’activité des entreprises. Pour l’heure, même s’il a décliné son grand modèle de langage PaLM 2 dans les domaines de la cybersécurité (Sec-PaLM 2) et de la médecine (Med-PaLM 2), le fournisseur a surtout mis en avant l’intégration de collections de modèles d’IA générative dans ses outils collaboratifs.

En septembre, Google Cloud lancera une première version de Duet AI for Google Workspace. Elle permettra de générer du texte en anglais dans Google Docs et Gmail (une fonction nommée Help Me Write), d’agencer tout ou partie d’une présentation (images comprises) dans Google Slides, de réaliser des transcriptions et des résumés des réunions dans Google Meet ou encore de créer des tables et des données dans Google Sheet.

Google Cloud se dit prêt à accueillir les modèles de langage de ses clients

Google Vertex AI
Thomas Kurian défend un portfolio complet de produits consacrés au développement d'applications propulsées par l'IA générative.

Si GCP infuse ses grands modèles de langage (LLM) dans ses services cloud, il ne veut pas se fermer aux technologies tierces.

Lors de l’événement, Thomas Kurian en personne (le président de Google Cloud) a rappelé que la plateforme de data science Vertex AI pouvait servir non seulement à affiner des modèles propriétaires Google, mais également à utiliser des modèles tiers, dont ceux de Cohere ou d’Anthropic.

En outre, les clients sont invités à entraîner et déployer des LLM open source. Sur le papier, tous les modèles peuvent être intégrés avec d’autres modules, comme Enterprise Search et des applications métiers.

Le fournisseur ne ferme pas les portes. Il rappelle que les algorithmes entraînés depuis son cloud peuvent être déployés sur ses instances, dans d’autres clouds et sur site. Autre élément important de sa stratégie, le pionnier du NLP rappelle qu’il a développé ses propres équipements spécialisés, à savoir des serveurs équipés de TPU.

Bref, malgré ses déboires au lancement de Bard et son bras de fer entamé avec Microsoft et OpenAI, GCP se dit prêt à l’avènement de cette technologie qu’il peut, selon ses dires, aider à déployer de manière sécurisée et gouvernée.

Une technologie à l’attrait indéniable pour Airbus et Veolia

Ce n’est pas forcément la priorité des clients du fournisseur. Pour autant, comme beaucoup de particuliers, les entreprises ont déjà testé les modèles d’IA générative, note Didier Girard, co-CEO de la « néo ESN » SFEIR. « C’est une technologie qui est apparue au grand jour il y a six mois et elle a déjà été utilisée par un très grand nombre de personnes. Je n’ai jamais vu une adoption aussi rapide », s’étonne-t-il.

Cela crée des émules chez les grands groupes. Lenneke Alves Bakker, Head of Change & Adoption Digital Workspace chez Airbus, s’est montré enthousiaste à l’arrivée de Duet AI for Google Workspace. « Nous avons beaucoup de tâches qui peuvent être automatisées. Aussi, l’obtention de résumés de mails et de rendez-vous sur Meet peut améliorer grandement notre efficacité », affirme-t-elle.

D’autres clients – attentifs – commencent à « qualifier » les potentiels cas d’usage de cette technologie. C’est le cas de Veolia. Selon Julien Largilliere, CTO groupe chez Veolia, ses équipes ont identifié une centaine de cas d’usage potentiels de l’intelligence artificielle. Une dizaine d’entre eux pourraient impliquer l’IA générative et la transition écologique. « C’est un virage qu’il faut cadrer. C’est ce que nous sommes en train de faire. La technologie se développe rapidement et il y a des sujets à comprendre. L’on parle beaucoup de sujets légaux et de garanties de confidentialité des données », exprime le CTO. « Nous abordons ce sujet de l’IA générative très sereinement : ce n’est pas quelque chose de nouveau. C’est une évolution qu’il faut appréhender ».

Carrefour teste beaucoup, mais veut éviter les surcoûts

Carrefour, lui, n’a pas attendu. Il a déjà lancé des tests grandeur nature. Depuis quelques semaines, il développe un outil d’automatisation des campagnes marketing s’appuyant sur un modèle LLM entraîné avec le soutien de GCP depuis la plateforme Vertex AI. Après avoir précisé la durée, la nature de la campagne et la cible, il est possible de générer des annonces adaptées aux différents médias et réseaux sociaux sélectionnés pour promouvoir des fruits et des légumes. Déjà utilisé par les équipes marketing de Carrefour, l’outil permettra à terme d’envoyer une centaine de campagnes par jour.

Pour autant, Elodie Perthuisot, directrice e-commerce, transformation digitale et data de Carrefour, se montre tout aussi prudente quant à l’apport de l’IA générative dans l’activité du géant de la grande distribution.

« Je ne sais pas du tout si l’IA générative va transformer l’activité de Carrefour. Pour l’instant, nous grattons la surface », déclare-t-elle. « En réalité, l’IA ne nous intéresse pas. Notre activité consiste à vendre des pommes de terre », ajoute-t-elle, un brin provocatrice.

En la matière, la directrice rappelle que l’analytique prédictive est intéressante. « Il y a deux ans, nous avons commencé à développer des cas d’usage d’IA prédictive pour prédire le comportement d’achats de nos clients au moment de se procurer des fruits et des légumes », indique-t-elle. « Nos clients cherchent, eux, à savoir ce qu’ils pourront acheter la semaine prochaine en fonction de leur budget limité ».

Là aussi, l’IA générative peut entrer en jeu. En combinant un LLM avec le moteur de recherche accessible sur son site Web, Carrefour veut permettre à ses clients de lui poser directement ces questions et d’obtenir des réponses plus efficacement. C’est tout l’objet du chatbot Hopla, développé à l’aide du modèle GPT-4 d’OpenAI. L’outil n’est pas parfait : son périmètre d’action demeure pour l’instant limité. De même, le distributeur s’est appuyé sur la technologie du concurrent de Google pour générer plus de 2 000 fiches produits.

Néanmoins, Elodie Perthuisot rappelle que l’usage de l’intelligence artificielle n’est pas gratuit. « Dans notre métier, vous devez vendre dix kilogrammes de pommes de terre pour réaliser un peu moins d’un euro de marge. Je ne serai pas impolie. Je ne vous dirai pas combien de kilogrammes de pommes de terre nous devons vendre pour payer Google Cloud », lance-t-elle.

« Dans notre activité, si nous n’optimisons pas [les coûts] à l’échelle, c’est un désastre ».
Elodie PerthuisotElodie Perthuisot, directrice e-commerce, transformation digitale et data, Carrefour

« Dans notre activité, si nous n’optimisons pas [les coûts] à l’échelle, c’est un désastre ». D’où la sélection de cas d’usage triés sur le volet qui, s’ils sont déployés à large échelle, peuvent un jour générer des gains financiers ou de productivité importants.

Cela veut aussi dire que Carrefour a besoin de l’expertise de partenaires, considère Elodie Perthuisot.

« Nous devons nous appuyer sur des partenaires comme Google qui connaissent la technologie, ainsi que faire confiance à notre savoir-faire, car qui mieux que nous peut comprendre nos problèmes métier », insiste la directrice.

La supervision humaine et la conduite du changement, deux nécessités, selon Fnac Darty

Fnac Darty affiche peu ou prou la même vision. « Avec l’IA générative, nous avons la possibilité d’obtenir des gains sur trois axes : améliorer la productivité de l’ensemble de nos collaborateurs, le marketing, et les interactions avec nos clients », résume Jean Laborde, directeur digital chez Fnac Darty.

Le groupe a déjà couplé son PIM d’un éditeur tiers avec BigQuery et des modèles développés à partir de Vertex AI pour nettoyer, catégoriser, filtrer les données contenues dans ses fiches produits. « Avec l’IA générative, nous pouvons enrichir nos fiches en mettant en valeur les caractéristiques clés des produits et créer des contenus à publier sur notre site Web », indique Jean Laborde.

Dans ce principe, il s’agit d’utiliser les fiches techniques issues du PIM, puis de se servir de cette matière pour générer des textes vendeurs, à l’aide d’un modèle d’IA affiné. Les premières pages Web enrichies de cette manière seront publiées au cours de l’été dans le cadre d’un A/B test.

« Nous effectuons déjà ce travail manuellement pour les références les plus populaires, mais nous avons 20 millions de produits en catalogue », affirme Jean Laborde. « Avec l’IA générative, nous pouvons effectuer cette tâche à l’échelle et obtenir un impact significatif sur le référencement naturel de nos pages Web ».

Le directeur du digital prévient cependant que cela ne peut pas se faire sans une supervision humaine. « Nous avons une responsabilité d’éditeur de contenus et nous avons des engagements vis-à-vis des marques. Il faut que l’information fournie soit fiable, c’est la crédibilité des enseignes qui est en jeu », prévient-il.

« Nous avons une responsabilité d’éditeur de contenus et nous avons des engagements vis-à-vis des marques. Il faut que l’information fournie soit fiable, c’est la crédibilité des enseignes qui est en jeu ».
Jean LabordeDirecteur digital, CDO, FNAC Darty

C’est avec la même prudence que Jean Laborde imagine l’adoption d’un assistant augmentée à l’IA générative sur les sites Web du groupe.

« Nous avons en projet d’intégrer un LLM à notre assistant, mais nous considérons que cela comporte un certain nombre de risques. Nous l’avons vu dans les tests grand public, il n’est pas rare que ces outils de génération de textes hallucinent », note-t-il.

Avant cela, Fnac Darty envisage d’intégrer un modèle LLM du marché avec sa base de connaissances SAV.

« Notre base de connaissances SAV est colossale. Pour autant, nous avons du mal à la rendre disponible aux employés dans les magasins. In fine, il s’agit de mieux diagnostiquer les pannes, puis, d’accélérer le processus de réparation ou de retour produit », précise Jean Laborde.

À la clé, le directeur du digital entrevoit un moyen d’améliorer le NPS (Net Promoter Score) et donc la relation client. Malgré tout, impossible de se passer d’une stratégie de conduite du changement.

« Les technologies sont déjà bien packagées par les fournisseurs, mais il faudra transformer les processus dans une entreprise comme la nôtre qui comporte beaucoup de métiers répartis sur de nombreux sites différents », nuance-t-il.

Attention à la gouvernance de données, prévient SFEIR

Didier Girard partage cet avis en faisant la distinction entre l’IA générative grand public et celle destinée aux entreprises.

« Il faut interdire les solutions d’IA générative grand public en entreprise », recommande-t-il. « Pourquoi ? C’est une énorme source de fuites de données ».

« Il faut interdire les solutions d’IA générative grand public en entreprise. Pourquoi ? C’est une énorme source de fuites de données ».
Didier GirardCo-CEO et CTO, SFEIR

De manière générale, le dirigeant du cabinet de conseils estime que les LLM posent un problème de gouvernance de données que les entreprises doivent envisager dès maintenant pour ne pas perdre le contrôle sur leurs données et les usages.

 « Toutefois, il faut proposer une alternative crédible et protectrice, car les salariés seront tentés d’utiliser ces technologies », nuance-t-il. « Pour lancer ce type de projet, il faut accompagner les salariés, acculturer l’entreprise ».

En clair, quand les entreprises ont déterminé les cas d’usage, elles se rendent compte qu’une intégration API ne suffira pas pour bénéficier des apports supposés de l’IA générative. Qualité des données en entrée, gouvernance, indexation des documents, filtrage des requêtes… les défis sont en réalité bien connus. Pas de magie ici.

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