Carl Eschenbach : l’homme qui veut faire grandir Workday

Expert de la croissance et père de famille impliqué, le nouveau co-CEO de Workday – au parcours hors-norme qui a forgé ses valeurs – Carl Eschenbach explique sa méthode pour faire passer une nouvelle étape à Workday.

Masterclass - À son arrivée en France, Workday pesait à peine 1 milliard de $. Déjà pas si petit que cela. Mais aujourd’hui, la barre est beaucoup plus haute. L’éditeur de HCM et de Core Finance vise les 10 milliards de revenus annuels, il diversifie ses offres et il renforce ses positions à l’international. Workday réalise environ 25 % de son CA en dehors des États-Unis ; une part qu’il souhaite développer encore plus. La France fait d’ailleurs partie des pays prioritaires dans cette évolution.

Pour mener cette croissance et cette internationalisation, il y a un an, Workday a nommé un nouvel homme fort. Carl Eschenbach.

Objectif croissance

La poignée de main est ferme. Le regard franc. Quand Carl Eschenbach vous serre la main, il ne la serre pas à moitié. Quand il vous regarde, il vous regarde vraiment.

Jovial, souriant, le nouveau « patron » s’est déplacé à Barcelone lors de l’édition EMEA de Rising pour expliquer sa stratégie. Et pour séduire de nouveaux clients. Car c’est bien pour son profil d’expert de la croissance qu’il a été choisi.

« C’est une entreprise incroyablement bien gérée qui a connu beaucoup de succès en 18 ans », entame-t-il. « Ma responsabilité, c’est de protéger et de préserver ses valeurs et sa culture. Dans le même temps, ma responsabilité c’est aussi de stimuler sa croissance, de challenger l’entreprise – et moi-même – pour amener Workday au palier suivant », confirme Carl Eschenbach au MagIT.

« Ma responsabilité c’est aussi de stimuler sa croissance, de challenger l’entreprise – et moi-même – pour amener Workday au palier suivant. »
Carl EschenbachCo-CEO de Workday

« Je suis un leader très axé “croissance”. J’adore la croissance », répète-t-il. « Je suis quelqu’un qui fait croître ».

Depuis sa prise de fonction, le co-CEO aux indémodables vestes à carreaux – mélange de modernité et de tradition – n’a, de fait, pas chômé. De nombreuses évolutions sont en cours sur la manière de recruter, d’attaquer l’international, de s’appuyer sur le channel, d’envisager les rachats, de penser l’écosystème, de vendre, de fixer les prix et de packager les services, liste-t-il pêle-mêle.

« Je pousse, je pousse, je pousse ! », sourit-il. « Je me connais. J’en suis conscient. Mais je suis aussi conscient de ce qu’une entreprise peut effectivement traverser, transformer et changer en un court laps de temps », nuance-t-il aussitôt. « Nous devons nous assurer que le rythme est bon, face à toutes les opportunités que nous voyons. Il ne faut pas non plus en faire trop ».

Talent Management chez Workday

Tous ces chantiers – Carl Eschenbach insiste – commencent par l’humain. « Je dis souvent que nous sommes, moi y compris, sur les épaules des géants [qui nous ont précédés]. Si je suis ici, c’est parce que des gens ont construit cette entreprise extraordinaire. Je leur fais entièrement confiance et je les respecte », commence-t-il.

« Je veux que leur expérience et leurs connaissances nous aident à continuer de grandir et à aller de l’avant. Parallèlement, j’ai fait appel à de nouveaux talents ».

« J’essaie de préserver le passé [de Workday], tout en construisant une relation symbiotique avec l’avenir et les nouveaux responsables. »
Carl EschenbachCo-CEO de Workday

Une des priorités de Carl Eschenbach a donc été d’apporter de nouvelles forces vives, mais pas n’importe lesquelles. « J’espère que ces [nouveaux] talents permettront à Workday de se développer – et qu’ils ne seront pas seulement des talents qui utiliseront Workday pour se développer eux[1]. Lorsque vous arrivez à faire cela ; lorsque vous valorisez vos talents internes et que vous en amenez de nouveaux ; lorsqu’ils sont culturellement alignés et qu’ils sont en accord avec les valeurs de l’entreprise : c’est là que la magie opère », s’enthousiasme Carl Eschenbach.

« C’est ce que j’essaie de faire : protéger et préserver le passé [de Workday], tout en construisant une relation symbiotique avec l’avenir et les nouveaux responsables ».

La Carl’s Touch

L’importance de l’humain et des talents est presque une évidence pour le patron d’un éditeur de SIRH et de Talent Management. Mais s’il devait définir sa méthode – une « Carl’s touch » en quelque sorte, quelle serait-elle ?

« Hum… Je ne sais pas… », commence par répondre Carl Eschenbach. « J’espère que les gens me voient comme un dirigeant authentique, humble, qui est là pour servir les autres. Pas pour me servir moi. Je ne me soucie vraiment pas de moi », souffle-t-il doucement.

« Je m’efforce de donner plus que ce que je reçois. Quand je fais cela, ce que j’ai en retour est extraordinaire », continue-t-il. « Je ne pense pas à mon succès [parce que] le succès est défini par celui des autres ».

Conséquence logique de cette philosophie altruiste, presque religieuse, ce qui importe le plus à Carl Eschenbach est « l’impact sur les autres. ». Et pour ce maître du Growth Hacking, deux choses sont particulièrement contagieuses de la part d’un leader : l’énergie et l’enthousiasme.

« Être un leader, c’est comme avoir un mégaphone à la bouche en permanence », disait-il lorsqu’il était dans son poste précédent chez Sequoia (lire ci-après). « Vos équipes sont suspendues à chacun de vos mots. Vous devez donc vous assurer que vous les dites avec passion, enthousiasme et énergie. Si vous n’amenez pas cela, qui d’autre le fera ? ».

« Je vois des opportunités partout. Le verre est toujours plein. Il n’est même jamais à moitié plein ! »
Carl EschenbachCo-CEO de Workday

Chez Workday, ce principe – qu’il a vu en action chez sa patronne à VMware, Diane Greene – n’a pas changé. « Probablement que, parfois, j’en fais même un peu trop parce que je suis très enthousiaste ! », plaisante-t-il. « Je vois des opportunités partout. Le verre est toujours plein. Il n’est même jamais à moitié plein ! […] J’espère que c’est ce que je fais : inspirer les gens [chez Workday] pour qu’ils voient ce qui est possible, et les soutenir avec l’opérationnel quand ils iront saisir ces opportunités ».

Cet optimisme ne doit cependant pas être synonyme de naïveté. Les contextes géopolitiques et économiques s’annoncent sombres. Les menaces de récessions planent, tout comme celles de réduction de budgets IT et donc de contrats pour Workday. « Je suis très au fait de ce qui se passe dans le monde et du climat des affaires. Cela fait partie de mon travail. Mais je sais aussi que la seule chose sur laquelle nous pouvons agir, ce sont nos employés et nos clients », rétorque le co-CEO.

Sa méthode pour « naviguer par gros temps » (sic) est de fixer un cap, de s’y tenir autant que possible et de rester pragmatique. « J’aborde ces questions en me focalisant sur nos employés et sur notre organisation, mais pas sur les aspects extérieurs. Vous ne pouvez pas vous focaliser sur des choses que vous ne contrôlez pas ».

Optimisme. Enthousiasme. Abnégation. Énergie. Altruisme même. Et pragmatisme. Voire flegmatisme. D’où vient cette méthode ? Quelles figures ont inspiré cette « touche » qu’il applique aujourd’hui à Workday ?

Mon père, ce héros

Soudain, le sourire se fige. Dans le regard passe un mélange d’émotion et de souvenirs. Carl Eschenbach marque un temps. Il respire. « Ma plus grande inspiration… celui à qui je dois tout… C’est mon père ». La phrase résonne dans un moment étrange, mélancolique, suspendu.

« Il nous a quittés bien trop jeune ». Sa glotte se serre, imperceptiblement. « C’est mon héros ».

« Je sais où je suis, mais je n'oublie pas d’où je viens. »
Carl EschenbachCo-CEO de Workday

Ce père n’était pas du sérail. Son fils – aujourd’hui à la tête d’un des plus gros éditeurs d’applications métiers, ancien COO et ex-président de VMware, ex-partner d’un fonds parmi les plus puissants dans l’IT (Sequoia), et membre du board de dizaines de sociétés (dont Zoom, ThousandEyes, ou UI Path) – ne vient pas d’un milieu où les portes du succès se sont ouvertes comme par enchantement. « Je sais où je suis, mais je sais d’où je viens », glisse Carl Eschenbach. « Je serai toujours la même personne tout au long de mon voyage dans la vie. »

Ce papa admiré était entrepreneur. « Mais pas comme on l’entend aujourd’hui dans le numérique », sourit Carl Eschenbach. Employé à « Hercules », une usine de dynamite dans le New Jersey, Mr. Eschenbach Sr voit des accidents graves emporter certains de ses collègues. Jeune père de deux enfants (un garçon de 4 ans, Carl, et une fille de 5 ans, sa grande sœur Jennie), il quitte sa place, et déménage en Pennsylvanie, bien décidé à les voir grandir.

Tronçonneuses et cornets de glace

Mais quoi faire ? Une idée, un peu loufoque au premier abord, lui vient.

Photo de Carl Eschenbach
Carl Eschenbach à sa keynote d'ouverture à Barcelone, lors de Rising EMEA 2023

Pour nourrir sa famille, « ce jeune chien fou » (sic)[2] qui vient des explosifs vendra… des ice-creams en Pennsylvanie. « Il a acheté un point de vente Dairy Queen. Et nous voilà dans le business de la glace. C’était dingue !... Le problème quand on vend des glaces en Pennsylvanie, c’est qu’on n’en vend pas beaucoup en hiver », rigole Carl Eschenbach. Qu’à cela ne tienne. Son père vendra autre chose pendant la saison froide. Toujours dans la restauration ? Des hot dogs ? Du chocolat chaud ?

Pas du tout. Des arbres de Noël.

La famille Eschenbach rachète des terres. Et la voilà également à la tête d’une exploitation forestière. « Chaque année, on plantait les sapins. De début novembre à Noël, on en coupait des dizaines de milliers qu’on expédiait partout vers New York, le New Jersey et dans toute la côte Est ».

Le jeune Carl Eschenbach accompagne son père. Il travaille, à tour de rôle, dans ces deux endroits. « Je sais faire un cornet de glace mieux que quiconque, et je sais utiliser une tronçonneuse mieux que personne », sourit-il dans une demi-blague. « Cela m’a en tout cas aidé à poser les fondations de qui je suis ».

Tout comme les enseignements que lui ont inculqués ce père, ce « héros », avant que le jeune Carl ne parte étudier l’économie et le commerce (à la Wilkes University) avant de bifurquer vers la technologie (à la DeVry University).

« Oui, j’attribue une très grande part de ma réussite à ce qu’il m’a appris », confirme l’homme fort de Workday, devenu cinquantenaire. « Il m’a appris l’importance de travailler dur. Il m’a aussi donné une leçon pour la vie. Il m’a dit : “La volonté est plus forte que les compétences[3]” ».

Carl Eschenbach parle lentement, comme pour peser l’immense poids de chacun de ses mots. « Il m’a appris l’importance de l’attitude. Il avait l’habitude de me dire : “ton attitude dans la vie déterminera la hauteur que tu atteindras dans cette vie”[4]… Et puis il m’a appris l’importance de la famille. »

Humain, lui aussi, Carl Eschenbach contrôle son émotion, sans la cacher. « C’est mon plus grand mentor. Celui qui m’a inspiré. Il est au paradis », sourit-il avec profondeur. « Je le retrouverai un jour… le plus tard possible certes, mais pour le reste de ma vie, il sera avec moi ».

Sagrada Familia

On ne peut visiblement pas comprendre Carl Eschenbach et son management sans comprendre le rôle prépondérant de sa famille. Celle-ci a conditionné des choix majeurs dans son parcours. Un point qui tranche avec plusieurs de ces pairs qui ont, souvent, fait primer la vie professionnelle sur le reste.

Avant de prendre la direction de Workday, Carl Eschenbach a passé sept ans comme associé chez Sequoia. Auparavant, encore, il avait participé pendant quatorze ans à faire passer VMware de PME à géant de l’IT. « Lorsque Diane Green m’a embauché, il y avait 200 personnes chez VMware, quand je suis parti, nous étions 20 000. Nous avons fait passer l’entreprise de 30 millions $ à 7 milliards $ », raconte-t-il à son arrivée à Sequoia. « Il n’y a pas de manuel pour ce genre de croissance. Il m’est arrivé souvent de me lever le matin sans savoir ce qu’il fallait faire – mais nous nous sommes débrouillés ».

Ce passage de VMware à la Finance en a interrogé plus d’un. Et ce retour « sur le terrain », comme co-CEO surprise de Workday, aussi.

La réponse est là. Dans la famille. « Il y a sept ans, mes enfants sont entrés au lycée (j’ai des jumelles et un fils). Ma femme et moi avons décidé que je devais être plus à la maison et moins parcourir le monde – accompagner la croissance demande énormément de travail et de déplacements. Donc pour être plus présent auprès de ma famille – qui est la chose la plus importante pour moi – j’ai quitté le monde opérationnel et j’ai rejoint Sequoia où j’ai intégré leur “équipe croissance” ». On ne se refait pas.

« J’ai regardé un certain nombre d’entreprises qui pouvaient changer le paysage du monde dans lequel nous travaillons. Le nom de Workday revenait sans cesse. »
Carl EschenbachCo-CEO de Workday

Sept ans plus tard – et au passage six introductions en bourse (dont celles de Zoom et de Snowflakes) –, les enfants partent à l’Université. « Le nid était vide. J’ai senti comme un appel pour y retourner et faire partie à nouveau d’une équipe. Je crois que mon style – au plus profond de mon âme – c’est d’être dans le management, au service des autres ».

Il parle à sa femme et à ses enfants qui lui donnent « leur bénédiction pour une dernière aventure ». La dernière, vraiment ? « Et bien, si je suis honnête… c’est ce que je dis. Mais ma femme ne le croit pas ». Il sourit. « Elle sait que je suis un travailleur acharné. J’aime travailler. J’aime être entouré de gens et les accompagner ».

Le contact avec Workday s’est fait naturellement. « J’ai regardé un certain nombre d’entreprises qui ont la possibilité de changer le paysage du monde dans lequel nous travaillons. Et le nom de Workday revenait sans cesse ». Cela tombe d’autant mieux que Carl Eschenbach siège au board de l’éditeur.

« En tout cas, j’ai une famille et une épouse formidables. Je suis un homme très chanceux », reprend-il, ému. « Je me dois de faire ce travail chez Workday en ayant cela en tête », conclut-il.

Ironie de la destinée, l’échange avec Carl Eschenbach se déroule à Barcelone, à un jet de pierre de la « Sagrada Familia » (la Sainte Famille).

Cet esprit de famille se retrouve aussi, dans un sens, dans son management avec une priorité mise sur les équipes, le groupe, la culture commune. En interne, chez Workday, l’homme est en tout cas décrit comme (très) exigeant, mais juste, accessible et surtout, bienveillant avec ses équipes. Comme le patriarche d’une seconde famille, simple, mais ambitieuse.

Demain, l’enseignement ?

Avec un tel parcours, Carl Eschenbach pourrait se diriger vers l’enseignement après Workday. Il a déjà participé à des « master class » sur le leadership et la croissance.

S’il le fait, ce ne sera en tout cas pas seul. Mais en famille. Évidemment. Avec sa sœur. « C’est une femme extraordinaire. Elle dirige un ministère [religieux] très important. À un moment, quand je quitterai à nouveau l’opérationnel, je pense qu’il y aura peut-être une occasion, avec elle, de sensibiliser le monde sur ce qu’est un véritable leadership au service des autres ».

L’entretien se termine. L’enregistrement s’arrête. « Nous avons beaucoup parlé de moi. Promettez-moi de bien dire ce qui compte chez Workday, ce n’est pas moi : ce sont les équipes et mes collègues », demande Carl Eschenbach au moment de se saluer.

Promesse tenue.



[1] « Hire people the company can grow into, not people who can grow into the company »

[2] En anglais : « this crazy son of a gun ! »

[3] « Will beats skill any single day »

[4] « Your attitude in life will determine your altitude in life »

Pour approfondir sur ERP (PGI)

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