
beebright - stock.adobe.com
D-Wave dit avoir atteint « la suprématie quantique » : vraiment ?
Le constructeur canadien, D-Wave affirme avoir réalisé avec un ordinateur quantique une simulation qui aurait demandé un million d’années avec l’informatique classique. Des experts en mathématiques restent cependant prudents.
Pour le Canadien D-Wave Quantum, c’est une première mondiale et une petite révolution. Un des ordinateurs quantiques qu’il commercialise (Advantage2) aurait atteint « la suprématie quantique » sur un problème concret, avec des applications dans le monde réel.
Pour le prouver, ses équipes ont proposé un article dans la revue Science, qui a accepté de le publier. Pour D-Wave, il s’agit d’une « validation sans équivoque » du fait que le constructeur est « le premier et l’unique » (sic) à avoir fait la démonstration de cette « suprématie ».
Une simulation quantique de matériaux magnétiques
Plus précisément, grâce à l’approche du recuit quantique, le Canadien aurait réussi à faire des simulations de matériaux magnétiques complexes « en quelques minutes ». Toujours d’après D-Wave, les mêmes simulations auraient demandé « près d’un million d’années [de calcul] et plus que la consommation électrique annuelle mondiale avec un supercalculateur classique qui s’appuie sur des clusters de GPU ».
Pour mémoire, la « suprématie quantique » (aussi appelée « avantage quantique ») désigne le point de basculement où un ordinateur quantique effectue un calcul que des superordinateurs « classiques » (HPC) ne peuvent réaliser, ou ne peuvent pas terminer dans un délai raisonnable.
Pour cette étude, D-Wave a collaboré avec des scientifiques de plusieurs institutions internationales (dont ETH Zürich, l’Université de British Columbia, l’Université Jagellonne de Cracovie ou encore le Max Planck Institute for Solid State Research). Il a testé son système quantique contre le superordinateur « Frontier » du Oak Ridge National Laboratory.
Pas la première revendication de suprématie quantique
« C’est un jour remarquable pour l’informatique quantique », s’enthousiasme Alan Baratz, PDG de D-Wave. « Notre démonstration de la suprématie de l’informatique quantique sur un problème utile est une première dans l’industrie. Toutes les autres affirmations selon lesquelles les systèmes quantiques surpassent les ordinateurs classiques ont été contestées ou concernaient la génération de nombres aléatoires sans valeur pratique ».
Alan Baratz évoque les précédentes affirmations d’avantage quantique, dont celle de Google en 2019 qui avait été immédiatement contestée (l’article publié dans Nature avec la NASA avait même été retiré).
« Notre réussite montre, sans l’ombre d’un doute, que nos ordinateurs qui utilisent le recuit quantique sont désormais capables de résoudre des problèmes utiles hors de portée des superordinateurs les plus puissants du monde », affirme Alan Baratz. « Nous sommes ravis que les clients de D-Wave puissent utiliser cette technologie dès aujourd’hui pour en tirer une valeur tangible ».
Des résultats contestés (une nouvelle fois)
La publication n’emporte cependant pas l’adhésion de toute la communauté scientifique.
Miles Stoudenmire, chercheur au Flatiron Institute’s Center for Computational Quantum Physics a par exemple fait part de ses doutes au Wall Street Journal.
Pour lui, les équipes de D-Wave avaient peut-être raison au moment de leur expérience. Mais les méthodes mathématiques évoluent en permanence. Et les progrès récents de la discipline invalideraient aujourd’hui le résultat et la conclusion de supériorité quantique. « Nous disons juste : “pour ce problème précis, à cet instant précis, les ordinateurs classiques ne sont pas battus. Essayez encore !” », déclare-t-il au WSJ.
Dans un contre-article scientifique, Miles Stoudenmire détaille la manière dont il considère que le problème résolu par D-Waves serait parfaitement abordable avec d’autres méthodes mathématiques (en l’occurrence avec le calcul tensoriel) sur des processeurs classiques.
D-Wave réfute cette interprétation. Pour son chief development officer, les simulations du Flatiron Institute ne seraient pas aussi complètes et profondes. « Nous pensons qu’il n’est pas possible de recréer de manière classique l’ensemble des résultats que nous avons obtenus », répond-il dans les colonnes du Wall Street Journal.
Des commandes, mais pas de revenus
Ces doutes et les débats qui les accompagnent n’empêchent pas le Canadien de vendre. Les réservations pour ses machines ont progressé de 130 % en 2024. Elles atteignent désormais les 24 millions de dollars.
Ce ne sont que des revenus futurs espérés. Mais en attendant, D-Wave peut compter sur une trésorerie confortable qui dépasse les 300 millions $.
Seul (gros) bémol, son chiffre d’affaires réel n’atteint pas les 10 millions $ (8 millions $ en 2023 et en 2024). Dans le même temps, ses pertes nettes dépassent les 140 millions $ en 2024 – après avoir été de 82,7 millions $ en 2023 et de 53,7 millions $ en 2022. Un paradoxe financier quantique ?