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Informatique quantique : les cas d’usage pour la Finance

Le secteur des services financiers pourrait bientôt utiliser les technologies quantiques pour gérer des portefeuilles et détecter des fraudes, ou pour d’autres processus complexes. À condition de prendre en compte, dès aujourd’hui, certains paramètres. Trois experts du sujet partagent leurs conseils.

L’informatique quantique, qui repose sur les principes de la mĂ©canique quantique comme la superposition ou l’intrication, promet de rĂ©soudre des problèmes complexes bien au-delĂ  des capacitĂ©s des machines classiques. Pour le Boston Consulting Group, elle pourrait gĂ©nĂ©rer jusqu’à 850 milliards de dollars de valeur Ă©conomique Ă  l’horizon 2040.

McKinsey & Co. estime pour sa part que les cas d’usage dans la Finance pourraient reprĂ©senter Ă  eux seuls plus de 600 milliards de dollars d’ici 2035. RĂ©sultat : pour Deloitte, les acteurs des services financiers pourraient donc investir jusqu’à 19 milliards de dollars dans la quantique d’ici 2032.

Pour Pranati Dave, directrice chez Everest Group, le quantique ouvre de nouvelles perspectives dans la modélisation financière. Et tous s’accordent pour dire que les entreprises qui investissent aujourd’hui sont celles qui demain bénéficieront d’avantages stratégiques.

Informatique quantique vs Informatique classique

L’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies a fait de 2025 l’annĂ©e internationale des sciences et des technologies quantiques. Et pour cause : les promesses sont immenses.

Contrairement Ă  l’informatique classique, fondĂ©e sur des calculs dĂ©terministes (un mĂŞme input donne toujours le mĂŞme output), l’informatique quantique fonctionne de façon probabiliste. Un mĂŞme input peut dĂ©boucher sur plusieurs rĂ©sultats possibles. Elle utilise des qubits (ou bits quantiques), qui peuvent exister simultanĂ©ment dans plusieurs Ă©tats – une propriĂ©tĂ© connue sous le nom de superposition.

En rĂ©sumĂ©, « l’informatique quantique rĂ©sout des problèmes que nous sommes incapables de traiter efficacement avec les ordinateurs classiques Â», vulgarise Marc Lijour, membre de l’association professionnelle internationale IEEE (Institute of Electrical and Electronics Engineers).

Bénéfices de l’informatique quantique dans la finance

Même si l’informatique quantique n’est pas encore prête commercialement, de nombreux établissements financiers (dont BNP Paribas, le Crédit Agricole ou le Crédit Mutuel) expérimentent déjà des algorithmes quantiques sur des architectures classiques, ou développent des preuves de faisabilité (PoC), que ce soit pour des stratégies de trading, pour la cybersécurité ou pour la simulation financière.

Voici cinq cas d’usage parmi les plus prometteurs qu’entrevoient aujourd’hui Pranati Dave et Marc Lijour ainsi que Jeff Zych, associĂ© au sein du cabinet de conseil international Guidehouse :

  1. StratĂ©gie d’investissement et gestion de portefeuille : Grâce Ă  sa capacitĂ© Ă  prendre en compte de nombreux paramètres simultanĂ©ment, le quantique pourrait affiner considĂ©rablement les analyses et les recommandations pour les portefeuilles d’investissement.
  2. Recherche : Qu’il s’agisse d’analyser les tendances de marchĂ© ou de modĂ©liser les comportements des consommateurs, le quantique permettrait d’explorer quasiment instantanĂ©ment des scĂ©narios complexes.
  3. DĂ©tection des fraudes : Face Ă  des transactions toujours plus nombreuses et Ă  des attaques toujours plus sophistiquĂ©es, les mĂ©thodes classiques peinent Ă  suivre. Les modèles quantiques, eux, seraient capables d’examiner des jeux de donnĂ©es beaucoup plus vastes, en temps rĂ©el, avec une bien meilleure prĂ©cision.
  4. ExpĂ©rience client : Des conseils d’investissement plus personnalisĂ©s, une dĂ©tection de fraude en amont, des campagnes marketing mieux ciblĂ©es… Le quantique pourrait transformer en profondeur la relation client dans la banque et l’assurance.
  5. Souscription et tarification : Grâce Ă  ses puissantes capacitĂ©s analytiques, l’informatique quantique pourrait amĂ©liorer les modèles actuariels, la gestion du risque, les prĂ©visions de catastrophes naturelles ou encore le traitement des sinistres, avec Ă  la clĂ© des indemnisations plus rapides, plus justes et moins sujettes Ă  fraude.
Infographie des 5 promesses de l'informatique quantique pour le secteur de la finance.
Les 5 promesse de l'informatique quantique pour le secteur de la finance.

Limites et défis de l’informatique quantique dans la finance

MalgrĂ© ses promesses, l’informatique quantique pose plusieurs dĂ©fis majeurs :

  • CybersĂ©curitĂ© : Les ordinateurs quantiques pourraient casser en quelques heures les systèmes de chiffrement actuels (RSA, etc.), qui prendraient des millions d’annĂ©es aux ordinateurs classiques.
  • Nouveaux standards de chiffrement : ConsĂ©quence directe, il faut dès Ă  prĂ©sent mettre en Ĺ“uvre des algorithmes post-quantiques, prĂ©vient Marc Lijour. En 2024, le NIST amĂ©ricain a d’ailleurs finalisĂ© trois standards dans ce domaine.
  • PrĂ©paration en amont : Sans donnĂ©es prĂŞtes Ă  ĂŞtre exploitĂ©es, sans workflows (flux de production) adaptĂ©s en profondeur, sans cas d’usage identifiĂ©s en amont, les promesses de ROI de l’informatique quantique ne se concrĂ©tiseront pas, avertit pour sa part Jeff Zych.
  • InĂ©galitĂ©s d’accès : En raison des coĂ»ts Ă©levĂ©s et des ressources nĂ©cessaires, seules les grandes institutions pourront, dans un premier temps, s’offrir de telles capacitĂ©s. Sauf Ă  ce qu’une offre cloud (QaaS ou Quantum as a Service) se dĂ©veloppe rĂ©ellement.

Enfin, Pranati Dave liste ces autres limites Ă  lever :

  • limitations matĂ©rielles et instabilitĂ© des qubits,
  • coĂ»ts d’investissement Ă©levĂ©s,
  • difficultĂ©s d’intĂ©gration dans les systèmes existants,
  • pĂ©nurie de talents spĂ©cialisĂ©s,
  • risques gĂ©opolitiques liĂ©s Ă  la suprĂ©matie quantique,
  • questions Ă©thiques (ex. manipulation des marchĂ©s),
  • incertitudes rĂ©glementaires,
  • et problèmes de confidentialitĂ©.

Bonnes pratiques pour préparer la Finance à l’informatique quantique

Pour anticiper l’arrivĂ©e de l’informatique quantique, les trois experts recommandent plusieurs actions :

  • Élaborer une stratĂ©gie. Les entreprises peuvent dĂ©jĂ  expĂ©rimenter des algorithmes quantiques (ou inspirĂ©s du quantique) pour se familiariser avec la technologie et former leurs Ă©quipes, invite Marc Lijour.
  • Renforcer les dĂ©fenses. Il serait impĂ©ratif de commencer Ă  moderniser l’approche de cybersĂ©curitĂ©, en premier lieu, et comme on l’a dit, les mĂ©canismes de chiffrement. « Cela prendra des annĂ©es, autant commencer tout de suite Â», prĂ©vient Marc Lijour.
  • PrĂ©voir un humain dans la boucle. Tout comme l’IA, avec laquelle elle peut ĂŞtre liĂ©e, « l’informatique quantique ne remplacera pas l’humain Â», insiste Jeff Zych. Il faudra toujours une validation humaine.
  • Ne pas dĂ©laisser les systèmes classiques. Le quantique ne sera pas utile pour tout. Il coexistera avec les ordinateurs classiques, chacun ayant ses points forts, et ses faiblesses. « Vous aurez besoin d’ordinateurs classiques et d’ordinateurs quantiques parce qu’ils sont bons dans des domaines diffĂ©rents », conclut Marc Lijour.

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