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Incendie de 2021 : OVHcloud gagne en appel face à Bâti Courtage
La Cour d’appel de Douai vient d’infirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille qui considérait l’hyperscaler responsable de ne pas avoir stocké ses sauvegardes sur un site distant. La nouvelle décision de justice considère que rien ne l’y obligeait.
OVHcloud a finalement obtenu de payer un dédommagement minimal, en appel, dans le cadre du procès qui l’oppose à la société Bâti Courtage, victime collatérale de l’incendie qui a ravagé le site strasbourgeois de l’hyperscaler dans la nuit du 9 au 10 mars 2021. La Cour d’appel de Douai vient d’infirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille Metropole du 26 janvier 2023 qui condamnait OVHcloud à verser 101 172 € d’indemnités à son client.
Considérant que l’hébergeur n’a pas commis de faute en ne sauvegardant pas les données de Bâti Courtage sur un site géographique distant et qu’il a bien respecté les engagements de son contrat commercial, mais qu’il est tout de même responsable de n’avoir pu restaurer les sauvegardes, la cour de Douai condamne finalement OVHcloud à verser 1800,48 € à son client. Cette somme est en fait juste l’indemnité maximale qui était prévue dès le départ dans le contrat d’OVHcloud, pour le cas où, justement, il ne serait pas en mesure de restituer des données hébergées sur son service de sauvegarde.
« Au terme d'un arrêt de près de 50 pages, la Cour retient, comme le Tribunal, le manquement de l'hébergeur à son obligation de sauvegarde, sans toutefois suivre le client qui y voyait une faute lourde. Pour la Cour, l'obligation de réaliser les sauvegardes emporte celle de veiller à leur intégrité », commente Alexandre Archambault, avocat à la cour, expert en conseils stratégiques sur l’IT et qui a été le premier à relayer l’affaire sur LinkedIn.
« Pour autant, à la lumière des conditions contractuelles souscrites et en l'absence de toute norme impérative, il ne pouvait être déduit que l'engagement de réaliser des sauvegardes à deux endroits différents devait s'entendre sur deux sites géographiquement éloignés. Il ne peut donc s'agir d'une faute lourde, ouvrant donc la voie à la validation de l'aménagement contractuel du plafond d'indemnisation », poursuit-il.
Une demande d’indemnisation à hauteur de 6,5 millions d’euros
La société Bâti Courtage est à la tête d’un réseau de courtiers en travaux. Ils se servent de ses sites lamaisondestravaux.com, lamaisondesarchitectes.com et autres expertbricolage.com pour mettre des particuliers, ou des entreprises, en relation avec des équipes d’ouvriers du bâtiment. Au moment de l’incendie, ces sites et leurs 180 sous-domaines ont disparu d’Internet, créant selon Bâti Courtage un important manque à gagner commercial. Manque à gagner qui se serait prolongé dans le temps avec l’impossibilité de restaurer leur contenu sur des serveurs d’OVHcloud hébergés ailleurs.
Initialement, Bâti Courtage avait réclamé plus de 6,5 millions d’euros de dommages et intérêts à OVHcloud. Le client faisait valoir qu’il avait correctement souscrit à une offre de sauvegarde censée le mettre à l’abri contre les pertes de données. En première instance, le tribunal de commerce de Lille avait considéré cette somme irréaliste.
Bâti Courtage aurait notamment compté dans son préjudice la perte des URL de ses sites, la perte d’années d’investissements pour les référencer et la perte d’années d’investissement pour moderniser les contenus, alors que ces postes n’ont techniquement rien à voir avec la mise hors service de ses machines virtuelles lors de l’incendie. La société aurait aussi dénombré plusieurs fois des préjudices sous des dénominations différentes, notamment l’impact sur son image de marque. Le tribunal n’avait pas non plus réussi à faire le lien entre l’incendie et le « trouble commercial » dont les sites de Bâti Courtage auraient souffert durant les années suivantes.
En revanche, le tribunal avait bien considéré OVHcloud coupable de n’avoir pas répliqué les sauvegardes sur des sites distants. OVHcloud s’était défendu en invoquant un cas de force majeure qui l’exonérerait de toute responsabilité, mais cela n’avait fait qu’empirer sa situation. Bâti Courtage en avait en effet profité pour signifier qu’il n’y avait aucune clause liée aux cas de force majeure écrite dans les conditions générales du contrat qu’il a signé. Ce en quoi le tribunal de Lille lui avait donné raison.
Un débat sur les clauses de force majeure qui n’avait pas lieu d’être
Pour la Cour d’appel de Douai, cependant, cette histoire de cas de force majeure et la non-mention de sa prise en compte dans les clauses contractuelles ne sauraient être retenues. Car un cas de force majeure découle d’un risque imprévisible. Or, un incendie dans un datacenter n’est pas un risque imprévisible. OVHcloud s’y était préparé selon les standards de sécurité d’alors. Ce que le tribunal de commerce avait d’ailleurs reconnu, déboutant les accusations de Bâti Courtage à propos d’un supposé non-respect des normes par OVHcloud.
À ce propos, interrogé sur les causes de cet incendie, OVHcloud n’est toujours pas en mesure de les expliquer. On se souvient que le rapport de la compagnie de pompiers, qui avait brièvement fuité sur Internet, mentionnait avoir identifié lors de son intervention un départ de feu au niveau de batteries de secours (inflammables), installées trop près d’onduleurs susceptibles de faire des étincelles en cas de dysfonctionnement. Les aérations naturelles du bâtiment, installées pour des raisons écologiques, avaient a priori joué le rôle de cheminée et certainement favorisé l’extension du feu.
On se souvient qu’OVHcloud avait à l’époque souffert d’une étonnante campagne de sape de la part de certains de ses concurrents. Ils n’avaient pas eu beaucoup de scrupules à alimenter la colère des milliers de clients tout autant lésés que Bâti Courtage par cet incendie, en invoquant des fautes de conception telles que la pose de faux planchers en bois. Arguments repris en chœur dans les plaintes des victimes.
Rappelons qu’il s’agit d’un biais cognitif de croire que le bois favorise la propagation d’un incendie dans un datacenter : contrairement au béton, ou même à l’acier, le contreplaqué isole contre la chaleur et ne se déforme pas sous l’effet du feu. D’ailleurs, la structure du bâtiment est bien la seule chose qui a résisté au feu.
OVHcloud n’est pas responsable de l’absence de PRA chez ses clients
Concernant la non-réplication des sauvegardes sur des sites distants, la Cour d’appel de Douai a juste rappelé une évidence en informatique. Une sauvegarde n’est rien d’autre qu’une copie de secours pour restaurer des données endommagées (à cause d’une panne, d’une cyberattaque, d’une erreur humaine...). Et OVHcloud faisait bien de telles copies de secours.
Protéger les copies de secours d’un sinistre en les répliquant ailleurs, c’est autre chose. Cela s’appelle un plan de reprise d’activité. Et c’est un service qu’OVHcloud présentait déjà dans son catalogue bien avant l’incendie. Bâti Courtage est seul responsable de ne pas y avoir souscrit ou de n’avoir pas lui-même déployé sur ses sites web une fonction interne qui les réplique sur un site distant. Rappelons qu’une telle opération peut, à minima, être automatisée par de simples commandes Linux (Cron, Rsync...).
Mais, dans tous les cas, cette opération a un coût et les professionnels du web le savent bien : il faut louer du stockage en ligne ailleurs, voire souscrire à une offre de service pour des VM de secours. Ne pas le faire est plus souvent une question de prise de risque économique qu’une sincère ignorance technique.
« La cour écarte le manquement d’OVHcloud à son obligation de conseil, relevant que le client est un professionnel du commerce en ligne », note ainsi Alexandre Archambault. Et de conclure :
« Dès lors, la Cour rejette la demande de réparation intégrale du préjudice (et) l'hébergeur limite la casse en abaissant l'indemnisation à ce qui était prévu au contrat, soit 1 800 € (équivalent au coût de six mois de service de sauvegarde). Ce qu'il faut retenir ? Entre professionnels, le contrat reste la loi des parties. Une invitation donc à mieux négocier les contrats, dans la perspective de NIS2. »
Pour mémoire, le tribunal de commerce de Lille avait jugé à peu près au même moment une affaire similaire : la société Adomos, qui avait perdu son site commercial de vente de biens immobiliers dans l’incendie, réclamait plus d’un million d’euros de dommages et intérêt à OVHcloud. Dans ce cas, Adomos n’ayant même pas souscrit de services de sauvegarde (ni pris ses propres dispositions, au contraire de toute bonne pratique), le tribunal de commerce de Lille avait immédiatement débouté sa demande.
Adomos avait souhaité faire appel. En vain : la Cour d’appel de Douai l’a condamné le 12 septembre dernier à verser une indemnité de 40 000 € à OVHcloud pour cause de procédure abusive.