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Jumeaux numériques : ces défis à relever par les industriels de la défense

Le Digital Twin Consortium publie un livre blanc pour relever les défis de l’adoption du jumeau numérique dans les industries de l’aérospatiale et de la défense, en soulignant les exigences pour déployer avec succès les technologies d’habilitation de cette couche de simulation et d’observabilité.

Le Digital Twin Consortium (DTC), qui rassemble des acteurs phare comme Microsoft, Dell, BP ou Dassault Systèmes, a mis l’accent sur l’utilisation des jumeaux numériques dans les applications de l’aérospatiale et de la défense.

Plus spécifiquement, ses membres de ce secteur (Boeing, Lockheed Martin, Northrop Grumman, Mantech et Intuitis Corp) s’intéressent à la manière dont les corps d’armée rattachés au département de la défense américain, leurs clients principaux, prônent la constitution d’un écosystème numérique consacré à l’ingénierie afin d’accélérer la livraison des programmes et leurs évolutions.

Une étude motivée par la doctrine numérique du département de la défense américain

À la pointe, il faut compter sur l’US Air Force et ses nombreux rapports. Elle a notamment théorisé le concept « d’écosystème JADO du 21e siècle ». JADO est un acronyme pour Joint All-Domain Operations, une approche consistant à intégrer tous les domaines de la défense (terre, mer, air, espace et cyberespace) sous un seul système de supervision des opérations. Cette double idée – d’un écosystème d’ingénierie commun et d’un système de contrôle de commande numérique permettant d’évaluer à l’échelle du champ de bataille les forces en présence et les actions possibles – inspire. Les acteurs de la défense européens, dont les armées et les industriels français, souhaitent appliquer des approches similaires.

Or, le livre blanc « Aerospace and defense digital twin research and technology gap analysis » de la DTC établit un constat sévère. L’incompatibilité des modèles 3D, des logiciels de conception (CAO, PLM), des architectures de référence et des données et systèmes d’échange de données, l’absence de critère standard en matière de conception de jumeau numérique et d’une définition métier et technique claire, le manque d’une standardisation quant à la fréquence de rafraîchissement des types de jumeaux numériques et le respect des exigences de toutes les entités du DOD (en sus des problèmes de résilience et de cybersécurité) affectent grandement la faisabilité du projet interfonctionnel des armées américaines.

Le Digital Twin Consortium ne croit pas non plus que c’est impossible. « Toutes les branches du département de la défense élaborent et déploient des stratégies de transformation numérique. Ces stratégies comprennent des jumeaux numériques et s’appuient sur des normes établies pour régir leur développement », assure David Shaw, co-auteur du rapport, co-président du groupe de travail sur l’aérospatiale et la défense, et président-directeur général d’Intuitus Corp.  « Nous devons examiner les normes qui soutiennent actuellement les jumeaux numériques, identifier les lacunes dans le paysage de la gouvernance, fixer des attentes sur le développement futur des normes, développer la défense et faire des recommandations sur la voie à suivre. »

Sept mesures à généraliser dans l’industrie aérospatiale et de la défense

D’où la production de ce livre blanc. Il vise à fournir des orientations pour les industriels quant à l’adoption des jumeaux numériques et la transformation numérique dans des domaines clés tels que les normes, les systèmes de systèmes de jumeaux numériques, le calibrage et la mise à jour rapide des jumeaux numériques, les « Digital Twins as a Service », la sécurité et la cybersécurité, l’intelligence artificielle (IA) et les jumeaux numériques intelligents, l’intégration, l’évaluation et l’association de données hétérogènes.

Le DTC a indiqué que le fait de se concentrer sur une normalisation interfonctionnelle et adaptable permettra à toutes les parties prenantes d’harmoniser les données techniques critiques des jumeaux numériques.

Le résultat net serait que les besoins et les objectifs des parties prenantes deviendront plus réalisables, ce qui se traduirait par des solutions abordables qui raccourciront les essais, la démonstration, la certification et la vérification, diminuant ainsi le coût du cycle de vie tout en augmentant les performances et la disponibilité des produits.

L’étude formule sept recommandations. Outre l’identification des lacunes pour mieux constituer les standards de demain, les auteurs constatent qu’il existe des problèmes de normalisation lors du développement, de l’intégration et de la maintenance des digital twins au cours de la conception, de la production et de la maintenance.

Il est également essentiel d’identifier et de gérer les exigences qui soutiennent l’interopérabilité entre les jumeaux numériques – et les systèmes sous-jacents – tout au long du cycle de vie. Cette recommandation s’applique également aux initiatives de développement de jumeaux numériques de systèmes d’information plus complexes. Le calibrage du modèle de jumeau numérique doit être un processus automatisé et devrait être applicable dynamiquement, à plusieurs paramètres de modèles.

Le rapport suggère que les problèmes de cybersécurité susmentionnés soient pris en compte dès le début de la conception d’un jumeau numérique. D’autant que ce processus continu doit s’adapter et évoluer au fur et à mesure que le paysage des menaces change et que la technologie progresse. En outre, le document indique que la conclusion de contrats, tout au long du cycle de vie des produits pour développer et maintenir les jumeaux numériques, nécessite une approche interfonctionnelle qui identifie des normes spécifiques guidant toutes les parties prenantes. Entités DoD et industriels réunis.

Enfin, le rapport indique que des critères de réussite « clairs et mesurables » doivent être établis concernant les performances d’un jumeau numérique virtuel dans le cadre d’un cas d’usage environnemental et opérationnel. Il observe également que les politiques et les cadres de gestion et de normalisation des données dans les programmes d’acquisition de défense doivent être évalués et adoptés, le cas échéant, pour modifier les processus d’ingénierie numérique et de gestion des données. Cela permettrait de combler les lacunes et de relever les défis en matière de normalisation que pose le jumeau numérique.

Des enjeux similaires en Europe

« Les jumeaux numériques dans l’écosystème du DoD sont essentiels pour les systèmes d’armes, la logistique, la maintenance et l’état de préparation », avance Brian Schmidt, ingénieur en chef et responsable technique chez Northrop Grumman et co-auteur du livre blanc et co-président du groupe de travail sur l’aérospatiale et la défense de la DTC.

La directive gouvernementale américaine DoD 5000.97 du 21 décembre 2023 préconise l’utilisation de méthodologies, de technologies et de pratiques d’ingénierie numérique tout au long du cycle de vie des programmes d’acquisition de matériel de défense. Elle impose des contrôles de sécurité stricts sur les données sensibles et classifiées, « Ce qui est vital pour les jumeaux numériques utilisés dans les applications militaires », ajoute-t-il.

Reste, maintenant, à ces contractuels (Boeing, Lockheed Martin, Northrop Grumman, etc.) de convaincre les éditeurs de logiciel de les aider dans ces efforts. Et de suggérer au DoD de faciliter la coopération entre ces différents corps. Autant d’enjeux rencontrés par les industriels de la défense européenne.

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