Lufthansa : une migration à rebondissement des RH vers le cloud

La compagnie aérienne a connu plusieurs faux départs dans la migration de ses systèmes RH vers la solution cloud SAP Successfactors. Mais elle a tiré des leçons importantes de ses premiers échecs et pense être désormais sur la bonne voie.

Après deux tentatives malheureuses, mais riches d’apprentissages, la compagnie aérienne allemande Lufthansa a relancé un projet visant à remplacer plus de 50 systèmes obsolètes de gestion des RH par un service unique en cloud.

Le groupe Lufthansa emploie plus de 130 000 personnes dans le monde entier et s’est lancé dans un vaste projet de modernisation de ses outils de gestion des ressources humaines en optant pour une solution SAP en mode SaaS. Il affirme qu’il a tiré les leçons des tentatives antérieures d’introduction d’une technologie RH en nuage.

L’entreprise, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 36 milliards d’euros en 2017, s’est récemment beaucoup développée par le biais de fusions et d’acquisitions, et dispose aujourd’hui d’une variété de systèmes RH qui se sont révélés difficiles à relier entre eux.

Lufthansa a fait sa première tentative de mise à jour de ses systèmes informatiques RH à la fin de 2014, lorsqu’elle a voulu déployer un système de gestion de la performance à l’échelle de l’entreprise pour les dirigeants et le personnel administratif.

Elle avait alors choisi le logiciel de gestion des talents SuccessFactors fourni par SAP pour gérer près de 10 000 collaborateurs dans l’ensemble du groupe.

Mais le projet s’est heurté à des difficultés inattendues. Chaque société du groupe avait configuré ses données RH d’une manière différente, ce qui a rendu très compliquée la connexion des données RH des employés au logiciel de gestion des talents.

« Nos données pour les cadres supérieurs étaient propres, mais au fur et à mesure que nous passions aux cadres de rangs inférieurs, les données devenaient moins standardisées et plus complexes », explique Julian Simée, directeur de la stratégie RH de Lufthansa et responsable du projet de transformation numérique des RH du groupe, « Digitalization HR ».

Cela a conduit à une réduction considérable du projet, dont la cible est finalement passée de 10 000 personnes aux 200 « Top Managers » du groupe.

« Il y a eu quelques malentendus entre Lufthansa et SAP sur la faisabilité du projet », résume Simée en comparant l’expérience vécue par SAP pour sa propre migration vers le cloud et celle de Lufthansa. « Le problème est que les données internes de SAP semblaient être très propres. Il était donc facile pour eux de dire commencez n’importe où et allez n’importe où », dit-il. « Nos données ne l’étaient pas. Nous devions commencer par centraliser nos bases de données. »

Priorité au nettoyage des données

En 2015, Lufthansa décide donc de centraliser ses données RH dans un système unique avant de tenter de déployer d’autres logiciels RH.

L’entreprise utilisait déjà les systèmes RH de SAP en interne. Elle a estimé que l’utilisation du même fournisseur de technologie faciliterait le transfert de ses données RH dans le service en nuage de SuccessFactors.

« Nous voulions nous assurer que nous pouvions déplacer sans trop de difficultés nos données actuelles on-premises dans un système en nuage doté d’une logique similaire », explique M. Simée.

SAP SuccessFactors faisait partie de la poignée de logiciels RH ayant l’envergure nécessaire pour gérer plus de 130 000 employés. Et Simée explique que parce que SAP conserve les données des employés en Allemagne, le comité d’entreprise de Lufthansa était rassuré par le fait que la technologie protégerait la confidentialité des données des employés.

L’entreprise a élaboré une série de plans et de feuilles de route pour déterminer où déployer la technologie en premier.

Elle a entamé deux projets pilotes, dans sa division de restauration LSG Group, dont le siège social se trouve en Allemagne, et dans un centre de services en Pologne, tous deux choisis parce que leurs données RH correspondaient étroitement au format utilisé par SuccessFactors.

En 2016, Lufthansa a commencé à déployer la base de données RH de Successfactors, Employee Central, dans l’ensemble du groupe. Mais une nouvelle fois la société s’est heurtée à des difficultés.

Cette fois-ci c’est lorsque Lufthansa a souhaité adapter Employee Central aux processus RH utilisés par les différentes divisions de l’entreprise que le projet a déraillé.

Durant un entretien réalisé durant Unleash, une conférence réservée aux spécialistes des ressources humaines et des technologies de l’information qui se tenait à Londres les 20 et 21 mars 2018, Simee a déclaré : « nous voulions qu’Employee Central réplique les fonctions des systèmes RH existants. Nous avons réalisé que cela n’allait pas se produire. »

Les équipes projet Lufthansa et SAP ont commencé par se renvoyer la faute de l’échec, avant de convenir qu’il était logique de redémarrer le projet avec de nouvelles équipes.

« Nous sommes une entreprise qui s’appuie sur la technologie, et ces mésaventures nous ont permis d’en apprendre beaucoup et d’acquérir de l’expérience pour un nouveau départ », indique Simée. « Nous essayions de dupliquer nos systèmes existants sur site sur SuccessFactors, et cela n’a pas marché. »

Changement de stratégie

Fort de ce constat, Lufthansa décide cette fois de lancer un vaste projet de simplification de ses processus RH et identifier les fonctions RH les plus critiques à déployer.

« À l’échelle de l’entreprise, nous avons réduit la complexité au maximum, en éliminant toutes les caractéristiques spéciales qui pourraient être pertinentes pour un ou deux employés, mais qui au fond n’avaient pas de bénéfice pour l’entreprise », explique Simée.

L’équipe RH a identifié les processus clés dont les employés ont besoin tout au long de leur carrière au sein de l’entreprise.

« Nous avons constaté qu’il y a quelques processus clés en plus des tâches administratives qui touchent toujours l’employé : l’apprentissage et le perfectionnement, la rémunération, les évaluations de la performance et les mutations ou changements de poste ».

Au premier trimestre 2017, Lufthansa se lance finalement dans le déploiement généralisé d’Employee Central à toute l’entreprise. L’équipe projet réunit une dizaine de spécialistes du SI RH de Lufhansa, appuyés par d’autres experts SI RH du groupe et par un intégrateur.

Aujourd’hui, Employee Central est opérationnel pour toutes les entités du groupe et est déjà largement utilisé, même si certaines filiales utilisent encore leurs anciens outils on-premises pour gérer leurs ressources humaines,

Un ROI contrarié

En faisant le choix intérimaire d’Employee Central, Lufthansa continue de payer pour la maintenance de systèmes informatiques RH sur site, de sorte qu’elle ne s’attend pas à réaliser des économies en migrant vers le cloud avant quelques années.

Mais le projet devrait permettre d’accroître la productivité des équipes RH. « Nous espérons voir une augmentation de la productivité parce qu’au lieu de perdre 10 minutes pour mettre à jour votre adresse, il faut désormais 15 secondes parce que vous n’avez à la taper qu’une seule fois », dit Simée. « L’objectif reste toutefois de mettre fin à l’utilisation de nos logiciels sur site dès que possible. »

Dure réalité

Selon Simée, Lufthansa a tiré d’importantes leçons des multiples faux départs sur le projet. Comme d’autres grandes entreprises, le groupe Lufthansa avait l’habitude de personnaliser massivement les progiciels qu’il utilise pour les adapter à sa façon de travailler. Mais si les services en cloud tels que Employee Central permettent une certaine personnalisation, ils ne permettent pas, comme le dit Simée, « de tout faire à votre façon ».

« Nous avons appris qu’il est très important d’avoir des processus RH aussi standardisés que possible à l’échelle de l’entreprise, avant de se lancer dans la technologie », ajoute-t-il. « Il est important d’être clair sur ce que vous attendez de la technologie RH avant de l’acheter. Cela signifie qu’il faut tenir compte de toutes les fonctions RH qui seront nécessaires pour gérer les employés pendant leur emploi au sein de l’entreprise. (…)On ne peut pas réfléchir isolément à la gestion de l’apprentissage ou à la gestion des talents — tout est interconnecté. »

Simée conseille aux autres personnes qui envisagent de se lancer dans un projet de migration de leurs systèmes RH dans le cloud de prévoir des marges de manœuvre dans leur calendrier pour faire face à des problèmes inattendus.

« Il est essentiel de se ménager des marges de manœuvre ». « Anticipez toujours que le déploiement sera plus complexe que vous ne le pensiez. »

Des bénéfices à long terme du fait de l’innovation continue dans le cloud

David Wilson, analyste et PDG de Fosway Group, explique que l’expérience de Lufthansa est relativement commune.

Deux tiers des entreprises européennes opéreraient aujourd’hui des systèmes RH décentralisés, indique-t-il. « Cela signifie que migrer vers une plate-forme commune est un défi important, car les processus, les modèles de données et les pratiques d’exploitation varient considérablement ».

Il peut être tentant pour les entreprises de croire que la personnalisation des systèmes RH en nuage — comme Lufthansa a d’abord tenté de le faire — offre un avantage stratégique, prévient M. Wilson : « Mais l’expérience au fil du temps montre qu’il s’agit d’une habitude qui crée une dépendance, avec des avantages récurrents limités et que la personnalisation est le cimetière de l’innovation ».

Les entreprises déplacent leurs systèmes RH vers le cloud pour un large éventail de raisons, mais en fin de compte, le vrai bénéfice est que le cloud offre aux entreprises la possibilité d’innover en permanence.

« L’innovation n’est pas un processus ponctuel, c’est un travail continu - et c’est presque impossible à réaliser dans le cadre d’un déploiement on-premises », explique M. Wilson.

Avec du recul, Simée constate que Lufthansa aurait mieux fait de nettoyer et de standardiser ses données RH, car cela aurait été plus utile que de passer du temps à déployer un logiciel de gestion des talents pour 200 personnes au sein de l’équipe de direction.

« Je ne suis pas sûr que nos utilisateurs aient perçu un grand bénéfice lorsque nous avons mis en œuvre un module de gestion des talents pour nos managers plutôt que de nettoyer nos bases afin d’avoir des données RH propres », dit-il.

Les prochaines étapes

Lufthansa prévoit désormais de se concentrer sur la facilité d’utilisation des interfaces RH pour les employés. Cela inclut le développement d’un automate capable d’automatiser le plus grand nombre possible de processus en arrière-plan.

Ce logiciel a été testé en novembre 2017 sur la paie et la gestion des frais de déplacement — en automatisant les tâches répétitives, y compris la saisie des données et la numérisation des documents.

Un autre projet a testé la capacité d’applications logicielles plus modestes, comme les logiciels d’apprentissage et de formation à se connecter à Employee Central à l’aide des API de SAP.

L’une des priorités de Lufthansa est de mettre le système RH à la disposition des employés sur des appareils mobiles afin qu’ils puissent, par exemple, faire des demandes de congés à partir de leur téléphone mobile.

Mais avant tout, Lufthansa doit finaliser le déploiement de Employee Central, avant de déployer d’autres modules RH.

« Nous n’allons pas faire un déploiement complet, en une seule fois », dit Simée. « Nous voulons réduire le risque que les employés aient une mauvaise expérience qui les dissuaderait d’utiliser la technologie. »

Si la technologie est trop compliquée à utiliser, les employés appelleront les RH et leur demanderont de faire le travail à leur place. Ce serait le pire des scénarios, car Lufhansa aurait alors dépensé beaucoup d’argent pour une technologie que ses employés n’utilisent pas, a résumé Julian Simée durant son intervention à la conférence Unleash.

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