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Attention à l’interdépendance des contrats dans le domaine des nouvelles technologies
Un projet IT qui dérape, un contrat de maintenance résilié, et c’est tout un financement qui peut s’écrouler. L’interdépendance contractuelle est devenue une bombe à retardement trop peu anticipée. Décryptage d’un mécanisme juridique aux enjeux financiers majeurs pour les professionnels de l’IT.
Il est assez rare qu’une opération de refonte d’un SI ou plus simplement d’acquisition de matériels ou de solutions soit encadrée par un seul contrat. Le plus souvent, un projet informatique agrège plusieurs conventions (matériels, licences, intégration, hébergement…) et, bien souvent, un contrat de location financière.
La notion d’interdépendance
La notion d’« interdépendance » vise à déterminer si, à l’occasion d’une opération globale, l’exécution de chaque contrat conditionne celle des autres et si la disparition d’un contrat (par l’effet d’une nullité, d’une résolution ou d’une résiliation, par exemple) entraîne celle des autres contrats.
En matière informatique, l’interdépendance peut avoir un impact majeur sur le sort des conventions passées et sur la restitution des loyers ou du matériel.
Bien avant l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, certaines juridictions avaient considéré que les conventions pouvaient avoir dans certaines situations une existence propre et étaient susceptibles d’exécution indépendamment l’une de l’autre.
Depuis l’ordonnance du 10 février 2016, l’article 1186 du Code civil organise la caducité en cascade : si plusieurs contrats sont nécessaires à une même opération et que l’un disparaît, deviennent caducs (i) les contrats dont l’exécution devient impossible, et (ii) ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu constituait une condition déterminante du consentement. La caducité par ricochet n’opère toutefois qu’à l’égard du contractant qui connaissait l’existence de l’opération d’ensemble au moment de son consentement.
Le projet informatique, cependant, représente un cas de figure particulier dès lors qu’il contient fréquemment un contrat de location financière.
La Chambre mixte de la Cour de cassation a en effet posé un principe désormais classique : « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants ; sont réputées non écrites les clauses inconciliables avec cette interdépendance ». (Cass. ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22.768, n° 11-22.927).
Cette objectivation a pour conséquence que l’anéantissement d’un contrat entraîne la caducité des autres, en dépit d’une éventuelle clause de divisibilité que les parties auraient stipulée.
La Chambre commerciale de la Cour de cassation a ensuite pérennisé cette solution de façon systématique en matière informatique (Cass. com., 9 déc. 2014, n° 13-22.677, Cass. com., 9 déc. 2014, n° 13-24.807 ; Cass. com., 4 nov. 2014, n° 13-24.270, Cass. com., 9 juill. 2013, n° 11-14.371).
Cette trame objectiviste n’a pas été démentie après l’ordonnance du 10 février 2016, et ce, malgré les dispositions de l’article 1186 du Code civil qui auraient pu, en principe, la remettre en question.
Une jurisprudence bien ancrée
Par un arrêt rendu le 10 janvier 2024 (n° 22-20.466), la Chambre commerciale a reconduit sa position et confirmé que le principe demeure intact pour les ensembles contractuels comprenant une location financière. Ces contrats sont interdépendants et les clauses prévoyant leur désolidarisation sont réputées non écrites.
La Cour de cassation confirme de la sorte son approche. Ainsi, la résiliation du contrat de maintenance dans un projet informatique, par exemple, provoque la caducité du contrat de location financière, faute d’utilité propre de ce dernier en l’absence du premier. Le raisonnement tient à ce que l’exécution de chacun des maillons conditionne le consentement des parties à l’ensemble, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon la nature (fourniture ou maintenance) ni selon la hiérarchie (principal ou accessoire) (Cass. com., 20 oct. 2021, n° 19-24.796).
La solution est cohérente : un établissement de crédit acquiert le bien spécifié par le locataire et le lui loue de sorte que la location n’a de sens qu’adossée à la fourniture du bien et à sa maintenance. Les contrats de vente, de location et de maintenance poursuivent un but unique : assurer la jouissance effective du bien par le locataire, ce qui justifie que la défaillance de l’un entraîne la caducité des autres dans le cadre de l’opération d’ensemble.
La Cour de cassation s’est donc accommodée de l’article 1186 du Code civil pour y fondre sa position auparavant adoptée au visa de l’ancien article 1134.
En l’absence de location financière, les juridictions du fond procèdent en revanche à une analyse au cas par cas et étudient, par exemple, la nécessité d’une maintenance déterminée ou substituable ou encore la connaissance par le bailleur de l’opération d’ensemble.
La jurisprudence récente témoigne d’une ligne cohérente avec l’objectif du législateur, bien qu’exigeante :
- Par un arrêt du 21 mars 2023 (n° 21/02155), la Cour d’appel de Lyon constate l’interdépendance entre le contrat de cession de droits d’auteur portant sur une application web et le contrat de crédit-bail, au motif qu’ils sont concomitants ou successifs et qu’ils s’inscrivent dans une opération incluant une location financière. Cependant, elle refuse de prononcer la caducité du financement, faute d’anéantissement préalable du contrat « amont ». La cour s’oppose au prononcé de la résolution judiciaire, relevant un procès-verbal de livraison/conformité signé sans réserve, l’usage effectif du logiciel constaté, ou encore l’absence de manquement probant du fournisseur. Ainsi, l’interdépendance ne suffit pas. Tant que le contrat principal n’est pas judiciairement ou contractuellement anéanti, la caducité n’est pas prononcée et les loyers demeurent exigibles.
- À l’inverse, la Cour d’appel de Caen dans un arrêt du 4 avril 2024 (n° 22/01258) retient l’interdépendance d’un contrat de prestation de services (montage de site internet et maintenance), et de fourniture de matériels informatiques, avec un contrat de location financière (et ce même si la location financière ne vise que le financement du matériel à l’exclusion du reste). En raison d’une inexécution « grave » de la part du prestataire, la Cour prononce la résolution du contrat de prestation de service et, par application de l’article 1186, la caducité du contrat de location financière.
- La Cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 16 mai 2024 (n° 23/00405), annule un contrat visant à mettre en place une solution internet, au motif de l’absence d’information sur le prix total, pourtant exigée par le Code de la consommation. Ce contrat s’inscrivant dans une opération avec location financière, l’article 1186 du Code civil conduit à la caducité du bail par effet de ricochet. Il en résulte l’obligation, pour le bailleur, de restituer les loyers perçus, le site, ainsi que sa documentation, au moyen d’une désactivation du site à ses frais. L’arrêt illustre ainsi que, dans les montages informatiques adossés à une location financière, l’anéantissement d’un contrat – y compris pour un simple vice d’information – entraîne la chute du financement global.
- Enfin, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 20 mars 2025 (n° 24/10838), déroule la séquence probatoire. Confrontée à plusieurs chaînes de contrats, s’inscrivant dans différentes opérations tripartites distinctes et incluant chacune une location financière, la cour relève que chaque contrat était nécessaire à la réalisation d’une même opération, de financement et de mise à disposition du matériel bureautique et informatique. La cour précise que les parties avaient nécessairement connaissance de l’existence de l’opération d’ensemble. Elle en conclut que les contrats sont interdépendants. Elle procède ensuite au cas par cas : si la délivrance est prouvée et que l’anéantissement du contrat amont n’est pas établi, la caducité du bail est écartée et les loyers demeurent exigibles. À l’inverse, lorsque l’anéantissement est constaté, le bail est caduc, la restitution s’impose : le bailleur restitue les loyers, le preneur restitue le matériel, sans indemnité de jouissance si le financeur n’a pas concrètement facilité la reprise. La charge économique est ensuite répercutée vers l’auteur de l’anéantissement (le fournisseur, en l’occurrence, selon les cas).
La règle est donc bien tracée : dès qu’une location financière s’imbrique dans l’opération informatique, l’interdépendance est admise et les clauses qui prétendent l’exclure sont neutralisées. Mais l’effet domino ne joue qu’à la condition d’un anéantissement préalable du contrat, que le juge doit voir établi de façon probante.
Pour les acteurs de ces projets informatiques, l’interdépendance devient ainsi une clé de répartition du risque. Elle conditionne la capacité à « faire tomber » un bail lorsque la solution ne remplit pas son office, ou, inversement, à protéger un financement lorsque la délivrance est conforme et l’usage prévu.
Ainsi, la jurisprudence a stabilisé le paysage. Avec financement locatif, les contrats conclus en vue de réaliser un projet informatique sont interdépendants et la disparition de l’un entraîne la caducité de l’autre. À défaut de financement locatif, l’article 1186 du Code civil impose un cas par cas exigeant de qualification de l’interdépendance et de l’anéantissement d’un contrat, où la preuve prime.
