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IA agentique : « Il y a très peu de vrais produits sur le marché »

Le responsable de l’IA agentique de l’éditeur d’ERP estime que les vrais agents – au-delà des assistants – sont encore rares, mais que ceux qui ont une valeur métier s’imposent naturellement. Y compris dans les entreprises européennes, pourtant plus prudentes par nature. Workday prévoit un catalogue d’une trentaine d’agents en 2026.

Les éditeurs parlent tous aujourd’hui « d’agents », sans toujours s’accorder sur leur définition. Pour Jerry Ting, responsable de l’IA agentique chez Workday (et fondateur d’Evisort, société spécialisée dans l’IA appliquée au droit, rachetée par l’éditeur d’ERP), le terme est à la fois omniprésent et un peu trop large.

« Ce mot agent est sur-défini, trop englobant », estime-t-il. « Même chez Workday, nous avons différents types d’agents : certains assistent, d’autres transforment complètement [un processus]. »

Agents versus assistants

Jerry Ting distingue deux familles. D’un côté, des agents capables d’accomplir une partie d’un travail humain, en entrant dans un raisonnement approfondi et en combinant plusieurs compétences. De l’autre, des assistants plus simples, conçus pour éliminer des frictions et automatiser des tâches ou des micro-tâches.

Pour lui, la différence se voit de manière criante dans la manière de les construire. « Lorsque nous développons un agent avec un impact (deep value), dédié à un rôle particulier, il nous faut entre six et douze mois. Cela ressemble à un produit. Et d’ailleurs, c’est un vrai produit », souligne-t-il. « Il peut faire des choses très spécifiques, il a de nombreuses compétences. Et [son fonctionnement] est dynamique ».

Par opposition, un assistant peut se créer à la volée, par exemple avec Sana, startup suédoise spécialisée dans l’IA générative, que Workday a rachetée cette année pour proposer l’équivalent d’un ChatGPT privé.

« Je peux utiliser Sana pour créer un agent en trente secondes », assure Jerry Ting. « On peut lui demander un résumé quotidien des actualités et de l’envoyer par mail tous les matins. C’est très utile, mais ce n’est pas ce que nous appellerions “un produit” à part entière », compare-t-il.

Pas tant d’agents que cela

Cette différence explique que Workday, malgré ses gros moyens, ne multiplie pas les agents comme des petits pains ; même si une de ses nouvelles devises est « gérer les gens, l’argent, et les agents ».

L’éditeur en propose aujourd’hui quatre. Neuf sont en early-release. Et quatorze seront ajoutés l’année prochaine, soit une petite trentaine en tout. « C’est aussi pour cela que nous présentons chaque agent, un par un, alors que certains éditeurs se vantent d’en avoir des milliers ».

Photo du PDG de Workday devant une des nouvelles devises de l’éditeur : « gérer les gens, l’argent et les agents ».
Photo du PDG de Workday devant une des nouvelles devises de l’éditeur : « gérer les gens, l’argent et les agents ».

Agents. Assistants. Les vendeurs de technologie ne parleraient donc pas tous de la même chose. Et Jerry Ting de conclure que, plus largement, « très peu d’éditeurs ont de vraies applications agentiques sous forme de produit ».

Les clients séduits par les vrais agents

D’autres éditeurs, comme IFS, ont une philosophie proche de celle de Workday (agents en nombre mesuré et centrés sur des process de bout en bout, mais précis). Néanmoins, le président d’IFS constatait récemment une certaine retenue des clients, pas forcément prêts à déléguer des workflows entiers (comme le dispatching) à des bots.

Jerry Ting nuance cette analyse.

Il nuance d’abord, à cause de son parcours personnel de juriste. « Je passais des journées entières à lire des contrats. C’était très ennuyeux », se souvient-il. « J’ai voulu aller plus vite, mais sans prendre le risque de commettre une erreur juridique ». Il a donc fondé une société (Evisort). « L’IA me retirait tout ce que les juristes détestent, sans retirer celui qui valide. Je suis avocat, je ne voudrais pas perdre mon examen du barreau parce que j’utilise l’IA pour être plus efficace. »

Il nuance, ensuite, parce que l’adoption serait de facto au rendez-vous dès que l’on explique le produit, avec moult détails sur le processus métier géré par l’agent, et sur la place de l’humain, qui reste impliqué.

Photo de Jerry TingJerry Ting,
responsable de l’IA agentique
chez Workday

Il nuance, enfin, en constatant les bénéfices de l’approche de co-développement. « Pour notre agent de paie, par exemple, des dizaines de clients le créent avec nous ». Cette implication dès la phase de conception ferait que « non seulement ils n’hésitent pas [à l’acheter ensuite], mais ils veulent au contraire nous donner leurs retours pour l’adapter à leurs besoins. »

Mais les clients les achètent-ils de manière significative ? La question se pose d’autant plus que si Workday intègre certaines fonctionnalités d’IA gratuitement, les agents sont facturés. « Ce sont des produits », justifie Jerry Ting.

Leur facturation repose sur un système de « crédits flexibles » (« flex credits ») que les entreprises peuvent dépenser selon leurs besoins : agent de planification, agent RH, agent d’audit, etc. La consommation de ces crédits dépend du nombre de compétences mobilisées par chaque agent.

La réponse à la question serait en tout cas, d’ores et déjà, « oui, ils les achètent » (sic).

« Ils achètent ces agents parce que le “business case” est clair », confirme Pierre Gousset, VP Presales EMEA. « Leur ROI est vendable auprès des comités de direction. Ce sont de vrais sujets d’investissement », constate-t-il.

Les Européens plus réfléchis

Résultat, en Europe (et Pierre Gousset l’assure), les entreprises suivent de près l’agentique. Et elles achètent.

Les entreprises locales auraient cependant une particularité. « Je pense que les pays européens sont plus prudents au départ. Mais ils sont aussi plus curieux. Il y a une sorte d’humilité », analyse Jerry Ting qui a, de ses propres mots, beaucoup voyagé ces derniers mois. « Exactement comme vous lors de cet entretien, ils veulent comprendre précisément comment fonctionne l’agent avant de s’engager. »

Mais cette prudence se transformerait ensuite en adhésion. « Ils deviennent presque plus enthousiastes que les Nord-Américains. C’est juste un style d’achat différent ».

Impact environnemental et viabilité économique des agents

Un autre frein à l’adoption, moins fort, mais évoqué en Europe, est celui de l’empreinte écologique de l’IA générative (brique centrale de l’IA agentique).

Pour Jerry Ting, la sobriété de l’IA agentique relève aussi d’un impératif économique. « Plus il y a d’inférences, plus un agent consomme de ressources, et plus il coûte ».

Pour y remédier, Workday a déjà exploré plusieurs pistes techniques. Et il a mis en place une équipe, « une plateforme interne pour rendre l’IA efficiente », dont le rôle est de centraliser les projets et de leur appliquer les bonnes pratiques de conception.

« Par exemple, nous n’appelons pas les modèles plus d’une fois », confie Jerry Ting. « L’agent résume ce dont il a besoin, appelle le modèle, et il affiche la réponse. […] Pour ne pas faire trop de compute, nous nous assurons en amont que la logique est la même. Ce n’est pas une réflexion qu’il faut mener après coup ».

Workday utilise par ailleurs un éventail de modèles – de fondation, propriétaires, petits modèles spécialisés (SLM). « Mais à chaque fois, l’exactitude du résultat, la sécurité et la confidentialité ne sont pas négociables », insiste le responsable de l’IA agentique.

Propos recueillis lors du Workday Rising EMEA 2025

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