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Henri d’Agrain, un marin engagé au service du numérique

LeMagIT revient sur plusieurs parcours marquants de personnalités IT françaises. Aujourd’hui, Sylvaine Luckx se penche sur la trajectoire d’Henri d’Agrain, Délégué général du Cigref et ancien Capitaine de vaisseau de la Marine nationale. Un parcours au cours duquel il a montré des convictions fortes sur la place du numérique dans la société et sur la souveraineté technologique, ainsi qu’une implication sincère pour défendre les femmes dans l’IT.

Il y a dix ans, Henri d’Agrain était Capitaine de Vaisseau de la Marine nationale et directeur des SIC (systèmes d’information et de communication) de l’état-major de la Marine. Passionné, direct, affable, l’homme – aujourd’hui délégué général du Cigref – est plus difficile à cerner que son aisance et son amabilité souriante ne le laissent deviner au premier abord. Plus complexe, aussi.

De racines occitanes, Henri d’Agrain est né à Castelnaudary, à quelques lieues des remparts de la Cité de Carcassonne. Un terroir cimenté par le rugby, la bonne chère, la joie de vivre, mais où les caractères sont aussi fiers, vifs, et bien trempés.

Henri d’Agrain ne fait pas exception. Il peut se montrer très convaincu, voire direct, quand il défend une cause qui lui importe. Ce père de cinq enfants aime s’engager et soutient ses convictions avec passion. Car on ne plaisante pas avec trois choses en Occitanie. Le rugby, la fierté de ses racines, et le sens de l’engagement. C’est donc aussi naturellement que Henri d’Agrain, suivant partiellement les traces de son grand-père paternel, militaire, s’engage dans la Marine.

Une double vocation de marin et de spécialiste en systèmes de communications

« Enfant, comme tant d’autres, j’ai suivi avec passion les aventures de la Calypso. Et ce monde du silence a fasciné le terrien que j’étais. »
Henri d'AgrainDélégué général du Cigref

La volonté d’aller vers la mer lui est dictée par une figure qui a inspiré plusieurs vocations de marin. Celle du Commandant Cousteau. « Enfant, comme tant d’autres, j’ai suivi avec passion les aventures de la Calypso. Et ce monde du silence a fasciné le terrien que j’étais », raconte-t-il

Son autre vocation – les systèmes de télécommunications – lui est donnée par la proximité des stations de transmission de la Marine dans la Montagne Noire à Bram et aux Cammazes. Communiquer et informer de manière sécurisée est essentiel pour les marins. Il n’est alors pas anormal que les communications, notamment maritimes, soient gérées ou surveillées de près par les militaires. Henri d’Agrain est conscient très tôt de l’importance de l’espace maritime dans les enjeux géopolitiques internationaux. C’est d’ailleurs une autre raison de son engagement de marin.

En 1986, Henri d’Agrain est admis à l’École Navale. Il entre à l’École des officiers transmetteurs en 1992. Il accède à des postes de commandement à la mer sur un patrouilleur P400 basé aux Antilles, « la Fougueuse », et l’équipage A du « Dupuy de Lôme ».

Commander à la mer ne s’improvise pas, forge le caractère, et on ne peut pas tricher avec sa personnalité profonde. On sait, ou pas. « J’ai été profondément marqué par l’esprit d’équipage. Évidemment, on commande, on décide, on tranche, et les décisions peuvent parfois être difficiles. Mais la Marine ne donne pas un bateau et son équipage à commander à son commandant. Ce n’est pas un dû ou un cadeau. […] Le Commandant est mis au service de son bâtiment et de son équipage, et non l’inverse. Je ne conçois pas le commandement autrement. On ne peut pas tricher en mer avec ça »assure Henri d’Agrain.

Au téléphone, fin octobre, nous parlons longuement de « Ouragan sur le Caine » – et du livre d’Herman Wouk dont a été tiré le scénario du film, un des meilleurs ouvrages sur la lâcheté ordinaire et sur l’art de commander – qu’Henri D’Agrain avait lui-même étudié, à l’École Navale, lors d’un séminaire sur le commandement.

En 2001-2002, il suit les cours de l’École de Guerre puis devient auditeur de l’IHEDN en 2010-2011.

« Quand je suis sorti de l’École de Guerre, je n’avais qu’une envie. Retourner à Toulon, naviguer, être à la mer. »
Henri d'AgrainDélégué général du Cigref

Lorsqu’on lui demande si naviguer dans les coursives de la République n’est pas trop difficile pour un marin dont la mer est le seul monde et moyen d’expression, la voix se fait plus grave. Mais Henri d’Agrain n’élude pas la question. « Quand je suis sorti de l’École de Guerre, je n’avais qu’une envie. Retourner à Toulon, naviguer, être à la mer », confie-t-il.

L’état-major de la Marine à Paris le rattrape en 2002. Il devient adjoint en 2008, puis chef du bureau des SIC (systèmes d’information et de communications) de la Marine nationale, un poste qualifié de « sensible » qui ne se refuse pas pour un officier de son rang, et qu’il occupe avec panache et un sens aigu de la mission confiée.

Rendu à la vie civile, il lui faut d’autres engagements, à la hauteur des précédents pour satisfaire son caractère volontaire, direct, engagé. Il co-fonde en 2014 le Checy à Versailles, où il promeut et défend « une approche globale inspirée des séminaires de l’IHEDN pour sensibiliser les cadres dirigeants et les têtes pensantes des états-majors des entreprises aux enjeux numériques et aux conséquences de la numérisation du monde ».

C’est finalement avec une certaine cohérence de parcours qu’il rejoint le Cigref en octobre 2016 : « j’avais été en contact avec le Cigref, dès 2004, dans le cadre de mes fonctions au sein de la DSI de la Marine nationale. J’avais beaucoup apprécié nos échanges d’expériences, ainsi qu’un certain sens de la notion que les systèmes d’information et de communication sont au service de leurs entreprises, et au-delà, de l’intérêt général », explique-t-il.

Cette parole, qui peut faire sourire, peut n’être qu’une belle action de communication. Mais, quand on connaît le personnage, elle apparaît tout à fait sincère. Henri d’Agrain est, sous son sourire de commandant de la Marine nationale à qui l’on n’apprend plus l’art des relations publiques, un homme profondément convaincu par ce qu’il fait. Et qui met ses convictions héritées de sa vie de marin au service de sa mission au sein du Cigref.

Des convictions au service de la place de l’informatique dans la société

Ce « sens de la mission et du service » – un marqueur fort de l’esprit militaire que l’on prendrait parfois pour une certaine rigidité – s’illustre parfaitement dans son parcours. Il est profondément convaincu de la place des systèmes d’information dans l’évolution de nos sociétés. Mais aussi du rôle central que doit y jouer l’humain, de manière prioritaire, pour toute prise de décision.

Parmi les grands enjeux, la géopolitique, et donc la place de la France dans le concert européen qu’il défend, tient une place de choix dans les convictions du Délégué General du Cigref. Il ne plaisante pas avec les notions de souveraineté et les enjeux européens du numérique.  

La place des femmes dans le numérique, un autre de ses chevaux de bataille, le voit se mobiliser sans cesse sur ce sujet. C’est à ce titre qu’il a accepté avec enthousiasme de postfacer le livre « Cyberwomen : des parcours hors-norme, une filière d’avenir ». Henri d’Agrain travaille, avec une ardeur qui n’est pas de façade, sur ce sujet. Notamment avec l’initiative « Femmes@Numeriques ». Non pas par opportunisme, mais avec pragmatisme et une conviction profonde : le numérique n’est pas une affaire d’hommes ou de femmes, mais de compétences qu’il faut bien attirer et former.

Il est d’ailleurs amusant que ce passionné de théâtre, comédien et metteur en scène amateur, ait interprété pour un auteur qu’il adore, Jean Anouilh, des rôles de femme dans « la Belle Vie et Le Nombril ». Un exercice dont il se souvient en souriant. Mais il parle peu de cette troisième vie dont on devine vite, comme sa vie familiale, que c’est un jardin secret qu’il tient à préserver.

Preuve de plus de son éclectisme, la discussion se conclut par un échange sur l’art de la décision, où ce militaire convoque en même temps les arguments de Pierre Schoenforffer (réalisateur du « Crabe Tambour », et de « La 317e section » qui a appris son métier au service de presse des Armées), et ceux d’Antonio Gramsci (philosophe et chef du Parti communiste italien). Une preuve, aussi et surtout, d’une ouverture d’esprit personnelle et sur le monde.

Une certaine façon de ne pas suivre tout à fait les sentiers battus, et d’avoir ses propres chemins.

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