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AI.Day : le pouvoir politique invité à jouer son rôle pour doper l’IA en France

La stratégie nationale sur l’IA est entrée dans sa phase 2. L’objectif est d’accélérer les usages, notamment dans le secteur public. Pour Michel Paulin d’OVHcloud, l’État doit réguler, mais surtout jouer sur la commande publique.

En novembre 2023, Guillaume Avrin, coordonnateur de la stratégie française en IA, faisait un bilan de l’action politique et détaillait les finalités de la phase 2 du plan visant à diffuser l’IA dans l’économie.

Marina Ferrari, secrétaire d’État chargée du numérique, prenait la parole le 4 avril lors d’AI Day à Station F pour préciser la feuille de route de la stratégie nationale et les résultats de sa deuxième phase. Elle rappelle ainsi que 1,5 milliard d’euros seront investis, en plus des investissements prévus dans le cadre de France 2030.

Un nouvel appel à projets axés sur l’IA générative

Ces capitaux iront notamment aux infrastructures avec la construction d’un second supercalculateur baptisé Jules Vernes. Sa livraison est annoncée pour fin 2025. Il complétera les ressources fournies par le système Jean Zay.

« Ces supercalculateurs publics sont ouverts à nos entreprises, mais ils le sont aussi à nos centres de recherche […] C’est extrêmement important pour structurer un écosystème favorable et afin de continuer demain à disposer d’une position de leader en Europe continentale », souligne Marina Ferrari.

Outre l’infrastructure, la phase 2 cible les usages. Un premier appel à projets « Communs numériques pour l’intelligence artificielle générative » était lancé en 2023. « Il montre déjà la solidité de notre écosystème », revendique la représentante du gouvernement, qui cite 58 dossiers déposés pour un montant d’investissement de 230 millions d’euros.

Le 4 avril, Marina Ferrari a officialisé le lancement d’un deuxième appel à projets intitulé « Accélérer l’usage de l’intelligence artificielle générative dans l’économie ». Ce nouvel APP se concentre sur l’IA générative et sa chaîne de valeur.

Son objectif est d’encourager le rapprochement « entre les développeurs et les utilisateurs de solutions d’IA générative » dans le but de créer des démonstrateurs « réplicables et économiquement viables. »

Un réflexe « Je choisis la French Tech »

Les dossiers devront émaner de consortiums, comme pour les précédents APP, rappelle la secrétaire d’État. Cette approche doit ainsi contribuer à une plus large diffusion des technologies dans la société, en particulier dans les secteurs du juridique, de la santé, du développement informatique et des services publics.

Pour soutenir l’intelligence artificielle dans le secteur public, la responsable politique met aussi en avant l’initiative « Je choisis la French Tech » amorcée en 2023. Ce programme a pour objectif de faciliter la prise de contact entre offreurs et acheteurs, publics et privés.

Marina Ferrari signale que sa mission consiste ainsi « à prêcher la bonne parole » auprès des acheteurs du public. Dans ce cadre, elle a reçu fin mars les directeurs des administrations centrales pour les encourager à se tourner vers la French Tech pour leurs commandes.

« Je rencontrerai prochainement les secrétaires généraux », indique-t-elle. « Il faut que chacun ait le réflexe “Je choisis la French Tech”. »

Mais pour mesurer la réussite de la stratégie nationale en IA, la secrétaire d’État tient compte également des investissements étrangers. « Nous avons des investisseurs qui viennent s’implanter en France et de grandes compagnies américaines qui installent leurs centres de recherche, preuve que notre pays est devenu attractif en matière d’IA », se félicite-t-elle.

Des « ambitions prédatrices » dangereuses pour l’autonomie stratégique

Marina Ferrari cite aussi « des initiatives privées » hexagonales et en particulier Kyutai (le laboratoire de recherche d’Iliad). « C’est sur une réussite collective que nous allons devoir nous appuyer et encore intensifier », déclare-t-elle.

Cette dimension collective et cet écosystème ont également été valorisés par Michel Paulin, le directeur général d’OVHcloud, lors du même évènement.

Pour réussir sur l’IA et démocratiser ses usages, quatre composants sont essentiels (et non optionnels) selon lui : l’infrastructure (dont l’accès aux GPU), la Data, les logiciels (et pas seulement les LLMs) et les compétences.

Michel Paulin met en garde contre « les ambitions prédatrices » de certains acteurs qui se traduisent dès à présent par « des monopoles de fait ». D’ailleurs, l’Autorité de la concurrence a ouvert une enquête en février sur le marché de l’IA générative.

Les « entreprises du numérique déjà fortement présentes sur des marchés adjacents », dont le cloud, sont suspectées de consolider « leur pouvoir de marché actuel à l’amont de la chaîne de valeur de l’IA générative. »

Pour résister à la puissance américaine et chinoise, le dirigeant d’OVHcloud exhorte les acteurs de la filière française à faire preuve de solidarité. Une solidarité qui s’exprime en particulier par les achats. « C’est par la commande que nous nous développerons en tant que filière. N’attendons pas d’abord que l’État le fasse à notre place. »

La France et l’Europe négligent la commande publique

« Nous devons être capables de créer une filière commune et c’est regrettable qu’un certain nombre d’acteurs ne jouent pas le jeu », regrette Michel Paulin, sans citer de noms.

Il ajoute que la filière englobe le haut de la stack, soit le logiciel, mais aussi ses couches basses, c’est-à-dire l’infrastructure.

« 80 % de la commande française vont vers les fournisseurs américains. »
Michel PaulinPrésient d'OVHcloud

 « Si aucun fournisseur européen de GPU n’émerge dans 5 ou 10 ans, alors nous n’aurons aucune autonomie stratégique », prévient-il. « Les entreprises, lorsqu’elles devront renouveler leur contrat, n’auront plus la liberté de choix à cause de monopoles de fait, comme c’est le cas aujourd’hui dans le logiciel ».

« Nvidia, sa fortune est faite. C’est le grand gagnant de l’IA et le deuxième s’appelle Microsoft », continue-t-il avant d’ajouter que le travail à mener à l’échelon de la filière française doit s’accompagner d’actions de l’État. « Prenons-nous en charge et assumons notre rôle d’entrepreneurs […], mais oui, l’État a un rôle capital. »

Pour Michel Paulin, l’État se doit d’être visionnaire en « encadrant, en facilitant, en aidant (…) Il n’est pas là uniquement pour réguler. » Certes, la régulation est importante, concède-t-il, mais la commande publique demeurerait le premier axe à activer.

« 100 % de la commande publique américaine vont vers les fournisseurs américains […]. 80 % de la commande française vont vers les fournisseurs américains » chiffre le patron d’OVHcloud.

Le dirigeant exhorte également l’État à investir massivement dans l’innovation, dont la deeptech, et à soutenir l’aide au financement, en particulier pour les scale-ups, en créant de grands fonds européens et par la cotation boursière en Europe.

« De plus en plus de nos pépites sont phagocytées, directement ou indirectement. Je ne les blâme pas puisqu’elles n’ont pas forcément d’alternative [Mais] aujourd’hui, ce sont les fonds de pension américains qui financent une partie de la French Tech ».

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