Mainframes : l'Europe ouvre deux enquêtes sur IBM, soupçonné d’abus de position dominante

L’idée qu’IBM abuserait d’une position dominante sur le marché des mainframe fait son chemin à la Commission européenne qui vient d’ouvrir deux enquêtes. L’une porte sur le couple serveur/OS, l’autre sur les services de maintenance. Big Blue se défend arguant d’un choix d’investissement lourd et risqué sur un marché de niche abandonné des autres fournisseurs. Et accuse Microsoft d’être à la manœuvre en arrière plan.

L’été européen s’annonce chaud pour IBM qui voit Bruxelles s’intéresser de près aux activités serveurs du groupe. La Commission Européenne vient ainsi d’annoncer l’ouverture de deux enquêtes formelles portant sur un abus de position dominante de Big Blue sur le marché des grands systèmes.
La première enquête fait suite à des plaintes déposées contre IBM par T3, un fabricant de compatibles mainframes, et TurboHercules, qui a développé un émulateur de grand système IBM fonctionnant sur plate-forme serveur Intel x86. Selon ces deux sociétés, IBM ferme l’accès au marché des mainframe en liant fortement machine et système d’exploitation, empêchant le déploiement d’alternatives.

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Le System z9 a marqué le grand retour d'IBM
sur le marché des grands systèmes

T3 mène l'attaque, soutenu par Microsoft ?

T3, qui semble bénéficier du soutien financier de Microsoft dans sa bataille,  explique notamment qu'IBM a reconstitué son monopole sur le marché des grands systèmes, en liant la vente de son système d'exploitation à ses propres machines. Or c'est précisément pour lutter contre cette pratique que le gouvernement américain avait attaqué IBM dans les années 50, des poursuites qui s'étaient traduites par un accord à l'amiable signé en 1956 ; lequel avait finalement contraint Big Blue à fournir son OS mainframe à ses concurrents.

Dans les années 70, cet accord a permis à des concurrents comme Amdahl ou Hitachi de se lancer sur le marché des compatibles mainframes. Et à des sociétés comme T3 ou PSI de tenter l'aventure dans les années 90 - en développant un émulateur System z sur base Itanium. Mais la situation s'est compliquée en 2001, avec la levée effective de l'accord conclu avec le DOJ, le ministère américain de la Justice. Big Blue a dès lors commencé à restreindre l'accès à z/OS pour les utilisateurs de grands systèmes compatibles. Dans le cas de PSI, cette logique a été poursuivie à l'extrême : alors que cette société commençait à séduire de grands clients (dont Lufthansa), le géant d'Armonk et ses avocats ont accusé PSI de violer la propriété intellectuelle d'IBM et de ne pas se conformer à l'accord de licence régissant le logiciel. Dans le même temps, Big Blue a refusé de continuer à fournir des licences z/OS à des clients utilisant la plate-forme de PSI. Etranglé, cette dernière a porté l'affaire devant les tribunaux américains et devant la Commission européenne. Mais les poursuites se sont éteintes aux Etats-Unis après le rachat de la petite société par Big Blue, qui a permis de la faire taire définitivement.

L'UE s'inquiète aussi des pratiques d'IBM sur la maintenance

Mais l'enquête de la Commission ne se limite pas au volet technologique. Les services de la Commission chargés de la concurrence soupçonnent un "comportement discriminatoire" d'IBM "vis-à-vis de ses concurrents fournissant des services d'entretien des systèmes centraux" (les mainframes). "En restreignant ou en retardant l'accès aux pièces de rechange dont IBM est le seul fournisseur", Big Blue pourrait en fait vouloir réduire au minimum les risques de voir apparaître une concurrence importante sur ce marché. La Commission s'est donc "autosaisie" sur ce volet du dossier

De son côté, la firme d’Armonk balaie les critiques expliquant, qu’il y a peu, ce marché des mainframes était tenu « pour mort ». La position dominante d’IBM ne serait pas de son fait, mais de celui de la disparition d’acteurs du secteur alors même que les entreprises abandonnaient peu à peu ce type d’infrastructures et qu’IBM prenait a contrario le risque de poursuivre le développement des mainframes avec plusieurs milliards d’investissements à la clé.

Big Blue sur la défensive, cherche à protéger un marché trèslucratif

"Aujourd'hui, le marché des serveurs centraux est une petite niche dans le paysage hautement concurrentiel des serveurs", explique IBM. Une niche certes, mais qui selon certains cabinets d'analyse permettrait à Big Blue de générer un CA de l'ordre de 15 à 20 Md$ en matériels, logiciels et services, le tout sans compter le CA généré autour du mainframe par des acteurs tiers comme CA Technologies (environ 2,5 Md$), BMC ou MicroFocus.

Comme c'est en général dans ce genre d'enquête,  IBM affirme  vouloir « coopérer pleinement aux enquêtes de l'Union Européenne ». Mais pourrait-il en être autrement ? Cette coopération  pourrait toutefois se doubler d’actions offensives contre quelques cibles désignées. Dans un communiqué, IBM affirme ainsi que « les allégations de Microsoft et de ses satellites mandataires n'ont aucun mérite ». Big Blue pointe là du doigt les liens entre T3 et Microsoft et voit dans les poursuites, une vengeance de Redmond. Il est vrai qu'IBM n'avait pas ménagé ses efforts de lobbying pour charger Microsoft dans l'affaire qui avait opposé l'UE à l'éditeur de Redmond. L'affaire des mainframes serait donc un retour du berger à la bergère...

Plus étonnament, IBM accuse "certains concurrents incapables de conquérir ce marché par des investissements" de vouloir s’appuyer sur les pouvoirs publics chargés de la concurrence pour refaire une partie de leur retard. Certes... Reste qu'en reprenant à son compte l'usage exclusif de z/OS, puis en torpillant un peu trop visiblement ses concurrents (et notamment PSI), Big Blue a sans doute été un peu trop gourmand. C'est cette gourmandise qui pourrait venir le hanter si l'UE décidait au final que la firme a effectivement abusé de sa position sur ce marché...

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