Motorola Mobility : le pari risqué de Google sur fond de course à l'armement

L’annonce du rachat pour 12,5 milliards de dollars de Motorola par Google a jeté la stupeur dans l’industrie de la mobilité. Et notamment parmi les partenaires de Google, comme Samsung et HTC, qui ont largement contribué au succès de son système d’exploitation Android (qui capte désormais 43% du marché des smartphones devant Nokia et Apple). Mais pas uniqueement. Et certains pointent un mouvement symptomatique d'une véritable course à l'armement sur le terrain de la propriété intellectuelle.

Selon l’agence coréenne Yonhap, Lee Kun-hee, président de Samsung Electronics, a même convoqué une réunion d’urgence des hauts cadres de l’entreprise à la suite de l’annonce  : «Il faut renforcer la compétitivité dans l’IT, sécuriser davantage les ressources humaines et chercher aussi plus activement des fusions et acquisitions», a-t-il indiqué. Pour le moment, l’attention doit être notamment mise sur le logiciel : «la puissance informatique s’éloigne des fabricants de matériels comme Samsung pour être plus proche des éditeurs de logiciels.» L’exemple d’Apple a manifestement marqué les esprits, ce constructeur alors marginal d’ordinateurs personnels et de baladeurs numériques qui a plus que secoué le marché de la téléphonie en 2007 avec son iPhone. Pour Brian White, analyste du cabinet Ticonderoga Securities qui s’exprimait dans les colonnes de nos confrères de Computerworld, il ne faut d’ailleurs pas chercher bien loin : Google est inspiré par le modèle d’Apple, et «il y a une tendance dans d’autres domaines de l’industrie pour le contrôle tant du matériel que du logiciel ». Pour lui, «Google valide ainsi le modèle ».

Un pari trop risqué ?

Mais pour beaucoup, la question est de savoir si Google ne s’est pas lui-même tiré une balle dans le pied en rachetant Motorola Mobility. De fait, si Google devient lui-même constructeur de smartphones, ses partenaires ne seront de facto plus sur un pied d’égalité, n'ont-ils pas manqué de se dire. Et consciemment ou non, Google finira par favoriser ses propres appareils à la marque Motorola. Ce dont se défend bien-entendu Larry Page, le patron de Google, qui écrit sur son blog, que cette opération « ne changera pas [son] engagement à exécuter Android comme une plate-forme ouverte ». Mais cette nouvelle donne, qui fait de Google le principal concurrent de ses partenaires, pourrait bien donner un regain d’attractivité aux OS alternatifs, et notamment à celui de Microsoft. Les investisseurs ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, qui ont fait monter de 9% le prix du titre de son partenaire Nokia à l’annonce du rachat de Motorola par Google.

D’ailleurs, Stephen Elop, Pdg de Nokia, allant presque jusqu’à endosser un costume de VRP de Microsoft, a profité de l’occasion pour jouer à fond sa partition : «si j’étais fabricant d’appareils Android ou opérateur [...] je décrocherais mon téléphone, j’appellerais certains responsables chez Google et je leur dirais : je vois venir le danger », rapporte Reuters. Pour Nokia, c’est bien simple, l’opération devrait renforcer les positions de Microsoft et de Windows Phone 7. Microsoft n’a d’ailleurs pas manqué de réagir sur le même air : «Windows Phone est désormais la seule plateforme à fournir les mêmes opportunités à tous ses partenaires », a indiqué ainsi Andy Lees, président de la division Windows Phone. A moins que le marché ne se ferme encore plus... Dans une note à ses clients, rapportée par nos confrères d’InformationWeek, Jeffrey Fidacara, de Susquehanna Financial, estime que «l’acquisition de Motorola par Google pourrait renforcer la pression sur Microsoft pour le rachat d’un constructeur, au-delà de son simple partenariat avec Nokia ». Une analyse partagée par Ben Wood, du cabinet CSS Insight. Peut-être cette perspective-là inquiète-t-elle d’ailleurs Lee Kun-hee, Pdg de Samsung Electronics : si elle devait se concrétiser, le constructeur aurait à renforcer son OS Bada pour éviter de se transformer, à terme, en simple OEM.

Une opération inévitable ?

Pour autant, cette opération, si elle va à son terme (Google évoque comme échéance la fin de l’année), pourrait représenter une opportunité pour l’écosystème Android. C'est d'ailleurs ce que se sont empressés de déclarer les patrons de ses principaux partenaires. Avec le rachat de Motorola, Google va en effet hériter d’un portefeuille de près de 25.000 brevets. Brevets qui pourront s’avérer utiles pour contrer les multiples attaques pour violation de la propriété intellectuelle dont font l’objet Google et ses partenaires.

Selon certains observateurs, Google n’avait tout simplement pas d’autre choix que de racheter Motorola Mobility, même à ce prix de 12,5 Md$ : pour Gigaom, Microsoft était sur les rangs pour la priorité intellectuelle, un lot de brevet qui aurait pu torpiller Android. Florian Mueller, spécialiste des questions de propriété intellectuelle autour desquelles s’écharpent joyeusement les géants de l’informatique ces temps-ci, a même relevé un élément impressionnant de l’accord : Google est prêt à verser 2,5 Md$ à Motorola Mobility en cas d’échec du rachat. Un record selon Florian Mueller, le signe d’un acheteur «désespéré» qui n’avait peut-être pas envie que «Motorola Mobility se rende face à Microsoft et à Apple», dans les procès qui l’y opposent. Une véritable course à l’armement, pour certains.

Apple, Microsoft et même Oracle sont en tout cas bien décidés à faire condamner Google sur ce terrain des brevets. Microsoft a déjà obtenu de la plupart des partenaires de Google qu’ils lui reversent des royalties sur leurs ventes d’appareils sous Android. Quant à Samsung et HTC, ses deux premiers partenaires, ils ont aussi Apple sur le dos. Dans quelle mesure le rachat de Motorola va permettre à Google de protéger son écosystème contre les attaques d’Apple ? L’avenir le dira.

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