Athea : Atos et Thales autoproclament un « champion » de l’IA pour la défense
Atos et Thales ont officialisé la création d’Athea, une co-entreprise pour cibler les marchés de la défense, du renseignement et de la sécurité intérieure. La nouvelle entité proposera des solutions mêlant « traitement massif de données et intelligence artificielle » réservées aux données sensibles, avec pour première mission d’exécuter le programme Artemis de la Direction générale de l’armement (DGA).
Florence Parly, la ministre des Armées, évoquait le 10 mai dernier la création d’une Joint-venture (sic) entre Thales et Atos, nommée Athea. Les deux groupes français ont officialisé cette annonce le 27 mai. S’ils défendent la volonté de créer un « champion européen du Big Data et de l’Intelligence Artificielle pour la défense et la sécurité », il s’agit d’abord de préparer l’industrialisation du programme Artemis. Issu d’un prototype réalisé en 2017 et lancé en 2018, le projet « ARchitecture de Traitement et d’Exploitation Massive de l’Information multi-Sources » doit fournir « une solution souveraine de traitement massif des données et d’algorithmes d’intelligence artificielle adaptée aux besoins de la défense », dixit la ministre des armées.
Artemis, une première « aventure » pour Thales et Atos
Thales et Atos sont en effet « co-titulaires du marché d’optimisation et de préparation de l’industrialisation du programme » depuis le 30 avril 2021, selon le communiqué de presse commun. Il s’agit donc de répondre à la troisième phase d’Artemis. Lors de la deuxième phase, d’une durée de deux ans, les deux sociétés ont participé à la mise en place de six cas d’usage sur une architecture souveraine, à savoir le maintien en condition opérationnelle des Rafales, le suivi de l’état de santé des militaires, l’analyse des comportements des navires, la surveillance des réseaux IT, un système de traitement de « données hétérogènes » et un outil de partage de connaissances.
Or dans le cadre de cette deuxième phase, deux consortiums, l’un mené par Atos, avec Capgemini et le CEA à ses côtés, l’autre par Thales avec Sopra Steria, étaient en compétition pour répondre à ce projet.
En octobre 2020, la Lettre A évoquait déjà la volonté de rapprochement des deux ESN « pour présenter une proposition commune au détriment de leurs partenaires respectifs, Sopra Steria et Capgemini ».
Florence ParlyMinistre des Armées
Est-ce à dire que Sopra Steria et Capegmini sont écartés du programme Artemis ? A priori non si l’on se réfère aux propos de Florence Parly lors de son discours du 10 mai à Creil. « Sopra Steria et Capgemini poursuivront cette belle aventure aux côtés d’Athea et ils ne seront pas les seuls », a déclaré la ministre évoquant un écosystème de laboratoires, de PME, de sociétés et de startups œuvrant au côté de la co-entreprise sous la supervision de la DGA.
Mais Athea est l’après-Artémis. En clair, Atos et Thales souhaitent s’appuyer sur l’expérience obtenue dans le cadre de ce programme afin de proposer « une solution capable d’exploiter les données sensibles de façon sécurisée, à l’échelle d’un pays, et qui facilitera son implémentation au sein des programmes gouvernementaux concernés ». Évidemment, les deux ESN ne manqueront pas de fournir leurs services « d’expertise, de conseils et de formations » à travers Athea. La co-entreprise s’entourera, elle aussi, d’un écosystème de startups, de PME, de laboratoire et autres, sans toutefois citer les potentiels concernés.
Athea affiche des ambitions françaises, dans un premier temps, et européennes dans un second. Selon les informations de Defense News, la création de la co-entreprise n’affectera pas les projets de Thales, dont le système aérien du combat du futur et le projet « cloud de combat » de l’OTAN.
Des opportunités et des défis pour Athea
En revanche, les enjeux sur le territoire français sont importants. Il se trouve qu’Atos et Thales sont tous deux membres du cluster Data Intelligence du GICAT (Groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres) auprès d’une vingtaine d’acteurs comme Sinequa, Bearing Point, Preligens, DeveryWare ou encore Airbus Defence and Space dont le but est de proposer une « alternative française à Palantir ». En 2018, Data Intelligence faisait du pied à la DGSI pour remplacer l’outil américain. En octobre 2020, le PDG de Thales révélait auprès de Reuters que l’entreprise avait reçu une demande d’information de la part de la DGSI pour remplacer son déploiement de Palantir par l’Outil de traitement des données hétérogènes (OTDH), sans pour autant qu’un appel d’offres ne soit officialisé. Patrice Caine estimait alors qu’il faudrait deux ans pour mettre sur pied une telle solution.
Dans son rapport d’activité 2019-2020, la délégation parlementaire au renseignement prônait la poursuite de « la mutualisation dans le développement des outils, la formation et les échanges de bonnes pratiques entre les services de renseignement », une pratique favorable à un groupe tel Athea. Atos et Thales veulent favoriser les relations avec l’Agence du numérique de défense, un organisme récemment créé par la DGA pour orchestrer cette mutualisation. Dans les faits, les initiatives de traitement de données sont encore fonction des orientations des différentes directions des renseignements, indiquent les parlementaires…, et des jeux d’influence, selon Intelligence Online.
Dans son discours du 10 mai, Florence Parly positivait en vantant « la vitalité » de la base industrielle et technologique de défense (BITD) française.
« Notre souveraineté se nourrit de la vitalité de notre BITD. Et il n’y a pas qu’Artemis. Aujourd’hui, j’ai assisté à la présentation des projets de Preligens, Storyzy, Synapse Défense. Il ne s’agit là que d’un échantillon du terreau de startups et PME françaises impliquées dans des projets d’IA de défense. Nous bénéficions du savoir-faire de plus de 100 PME françaises et près de 35 % des investissements que nous avons réalisés dans l’IA en 2019 et en 2020 concernent des PME et des laboratoires », se réjouissait la ministre.
Mais Athea « s’adresse tant aux acteurs publics que privés », et pourrait répondre aux besoins des OIV et d’autres entreprises cherchant à se protéger des menaces virtuelles et physiques à travers le Big Data et l’IA. Là, les possibilités sont nombreuses. Bref, les deux partenaires s’offrent un Palantir, au sens tolkienien du terme.