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IA : l’État français investit dans la formation et la R&D

Le gouvernement français a présenté la deuxième phase de sa stratégie nationale d’intelligence artificielle matérialisée par une enveloppe de 2,14 milliards d’euros. Les fonds issus de divers plans d’investissement doivent favoriser avant tout la formation des talents et les projets R&D liés à l’IA embarquée, frugale et décentralisée.

Le 8 novembre, Cédric O, secrétaire d’État chargé de la transition numérique, et Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, ont profité de l’événement « France is AI », organisé par France Digitale à Station F, pour annoncer la deuxième phase de sa stratégie nationale d’intelligence artificielle.

Cette stratégie passe avant tout par un plan d’investissement de 2,14 milliards, réparties en cinq volets d’intérêts.

La France mise sur l’IA embarquée et décentralisée

Ainsi, 635 millions d’euros seront consacrés au développement d’une « IA décentralisée et embarquée ». Il s’agit de capter 10 à 15 % du marché mondial de l’IA embarqué d’ici 2025, de lancer quatre démonstrateurs dans les domaines de l’automobile, l’aéronautique, l’industrie 4.0 et l’énergie dès la fin 2022. L’autre objectif, formulé par le gouvernement, est la livraison de trois à quatre plateformes logicielles interopérables et multi-acteurs dédiées à l’IA embarquée, décentralisée ou de confiance.

À ce sujet, un appel à projets est déjà ouvert et entraînera une première sélection de propositions dès la fin du mois de janvier 2022.

Dans cette enveloppe, près de 120 millions d’euros seront consacrés à la conception de dix démonstrateurs autour du concept d’IA frugale appliqué à des secteurs clés, dont la ville durable, les bâtiments intelligents ou encore l’agriculture de précision.

Pas moins de 226 millions d’euros supplémentaires serviront à atteindre l’IA de confiance. Une partie de ces fonds sera donc allouée au programme Confiance.ai. Annoncé en 2020, ce consortium est issu des partenariats entre groupes industriels et instituts de recherche. Confiance.ai disposait déjà de 45 millions d’euros qui lui seront remis entre 2021 et 2024, dont 30 millions donnés par l’État. Dans un communiqué de presse, Bercy affirme que le financement pour l’IA de confiance passera de 45 à 271 millions d’euros. De son côté, le consortium Confiance.ai se veut plus prudent en saluant l’apport de 80 millions d’euros additionnel pour le volet « sécurisation, fiabilisation et certification des systèmes à base d’IA », auquel il participe.

Environ 361 millions d’euros serviront à « accélérer la diffusion des systèmes d’IA responsable ».  

Par ailleurs, 25 millions d’euros seront dédiés à l’accompagnement de 400 PME et ETI dans leur adoption de solution d’IA d’ici 2025, tandis que 40 millions d’euros sont réservés à alimenter les accélérateurs de startups existants. L’objectif est de tripler le nombre de jeunes pousses spécialisées dans l’IA fondée « à partir d’un concept issu de la recherche fondamentale ».

781 millions d’euros pour former à l’IA

Les programmes prioritaires de recherche auront le droit à 134 millions d’euros. Plus précisément, un programme de recherche piloté par le CEA, l’INRIA et le CNRS bénéficiera de ces fonds pour développer des logiciels et des architectures matérielles.

Mais Cédric O et Frédérique Vidal ont surtout mis l’accent sur le cinquième volet « compétences et talents : 781 millions d’euros seront consacrés à l’élaboration d’un “programme ambitieux pour faire émerger un réseau d’établissements d’excellence et d’envergure mondiale et un plan de formation massif à l’IA”.

« Conformément à l’ambition de France 2030, les talents sont au centre de notre stratégie », affirme Cédric O. « Les pôles d’excellence et d’envergure internationale permettront à notre pays de jouer un rôle de référence dans le domaine de l’IA et participeront, au sein d’un plan de formation plus large, à fournir à notre écosystème de startups et aux entreprises en cours de transformation les compétences dont ils ont cruellement besoin ».

Selon le dossier de presse de l’Élysée, 700 millions d’euros issus du plan France 2030 doivent favoriser 2 000 inscriptions par an en première année de licence, de DUT ou de BTS consacrés à l’IA, 1 500 en master et 200 supplémentaires en doctorat. Le gouvernement espère ainsi placer au minimum « 1 établissement d’excellence dans les meilleurs rangs internationaux » et favoriser le recrutement de quinze scientifiques étrangers d’envergure mondiale d’ici 2024.

Des fonds issus de plans d’investissement déjà présentés

Sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, selon Cédric O, le gouvernement s’était déjà engagé dans une première phase d’investissement de 1,5 milliard d’euros lancée en 2018. Celle-ci était consacrée aux domaines régis par l’État : la recherche, l’enseignement supérieur, l’économie, la transformation publique et la défense.

Mais le gouvernement n’est pas le seul à réinvestir dans la filière IA en France.

Dans le détail, l’État, l’Union européenne et les investisseurs privés mettent 2,137 milliards d’euros sur la table. Le gouvernement français annonce en réalité 1,545 milliard d’euros de financement, issu du quatrième programme d’investissement d’avenir (PIA4) à hauteur de 554 millions d’euros, de France 2030, 700 millions d’euros, et de crédits budgétaires publics, environ 288 millions d’euros.

Les investissements privés représentent 506 millions d’euros, tandis que les financements européens comptent pour 86 millions d’euros de ces presque 2,14 milliards d’euros. L’ensemble de ces fonds seront distribués sur cinq ans.

Ainsi, le gouvernement ne fait qu’allouer des fonds déjà connus : il précise ses intentions. Le PIA4 avait été dévoilé au début du mois de septembre par le Premier ministre Jean Castex. Inscrite dans le plan d’investissement France Relance (100 millions d’investissements sur cinq ans), l’enveloppe du PIA4 comprend 20 milliards d’euros, qui seront ventilés sur cinq ans.

France 2030, initiative exposée en octobre 2021, représente un financement de 34 milliards d’euros sur cinq ans consacrés à dix objectifs dans des secteurs stratégiques pour la France, selon l’État. Le plan France 2030, bien distinct de France Relance, a été voté le 8 novembre à l’Assemblée nationale par 50 députés (48 voix pour, deux contre) dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances 2022. Valérie Rabault, présidente du groupe de députés PS à l’Assemblée nationale, l’a qualifié « d’amendement le plus cher de la cinquième République ».

Derrière les annonces, la question de l’attraction demeure

De manière générale, le monde de la recherche et celui de l’entreprise accueillent positivement ce soutien financier à la filière française de l’intelligence artificielle.

« la France a de bons chercheurs en IA, mais il est difficile de trouver des de bons ingénieurs en intelligence artificielle dans le monde de la recherche ».
Jean Ponce Directeur de recherche à l’INRIA

Lors d’une session « France is AI » consacrée au rapprochement du monde de la recherche et de l’industrie, Jean Ponce, directeur de recherche à l’INRIA, n’a pas souhaité commenter la répartition des fonds, mais estime qu’il faut « continuer à investir dans la recherche » tout en reconnaissant que « la France a de bons chercheurs en IA, mais qu’il est difficile de trouver des de bons ingénieurs en intelligence artificielle dans le monde de la recherche ».

Malgré les millions d’euros investis, la question de la fuite des cerveaux, même dans le monde de la recherche, n’a pas encore de réponse. Certains évoquent la disparité des salaires entre la France et les États-Unis, mais selon Jonas Andrulis, PDG de la startup allemande Aleph Alpha, le problème serait davantage lié à l’ambition des projets d’IA. « Nous voyons les chercheurs et les data scientists européens, français, allemands s’envoler vers Cupertino. Pourquoi ? C’est parce qu’ils veulent faire partie des meilleures équipes et travailler sur les meilleurs projets. Si nous nous mettons à développer des technologies de pointe (“kickass technology” en VO) ici, en Europe, alors les gens resteront ! », s’exclame-t-il.

Lors de la même table ronde, Jean-Louis Quéguiner, vice-président recherche et innovation chez OVHcloud, considère qu’il ne faut pas se concentrer sur la recherche, ni même sur la formation de nouveaux data scientists, mais sur l’opérationnalisation de l’IA et des systèmes d’information dans le cloud en général. « Si je pouvais décider de la répartition des fonds, j’irais à la rencontre des écoles d’ingénieurs et je me concentrerais d’abord sur trois technologies : Go, Rust et les conteneurs. Ce sont les trois choses qui manquent aux entreprises et cette thématique est plus large que l’IA », affirme-t-il.

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