Sommet sur l’IA : la France et l’Union européenne répliquent (à) « Stargate »
Après que la France a annoncé 109 milliards d’euros d’investissements futurs dans des infrastructures d’IA sur son territoire, c’est au tour de la Commission européenne de « mobiliser » jusqu’à 200 milliards d’euros. Des investissements majoritairement étrangers, qui impliquent une application « favorable à l’innovation » des réglementations.
Petites actions, mais très grandes annonces. Voilà ce que l’on pourrait retenir du sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle organisé par l’Élysée.
Le Président Emmanuel Macron a annoncé le 10 février « 109 milliards d’euros d’investissements privés français et étrangers pour l’IA en France ». Un équivalent à l’échelle du territoire de Stargate, le projet d’investissement de « 500 milliards de dollars » lancé en grande pompe par le président étasunien Donald Trump à la fin du mois de janvier.
La course aux centres de données IA en France
En France, les plus gros engagements financiers sont orchestrés par le fonds d’investissement souverain des émirats Arabes-Unis MGX et Brookfield, une société de gestion d’actifs canadienne. Le premier entend injecter l’équivalent de 30 à 50 milliards d’euros dans des data centers. Le second promet 20 milliards d’euros, ce qui inclut jusqu’à 15 milliards d’euros qui seront confiés à Data4, un des plus grands opérateurs de data centers en Europe. Les 5 milliards restants seront investis « dans les infrastructures d’IA associées, telles que le transfert de données, les puces dédiées au stockage et la production d’énergie ». Brookfield se donne jusqu’à 2030 pour engager ces fonds.
Fluidstack (10 milliards d’euros), Amazon (6 milliards d’ici à 2031, dont 1,2 milliard déjà annoncé), Apollo pour Digital Reality (5 mds €), Evroc (jusqu’à 4 mds €), Prologis (3,5 mds €), Sesterce (400 millions d’euros) et Telehouse (400 millions €) investiront tous dans des infrastructures cloud ou IA en France. Il faut ajouter l’investissement de « plusieurs milliards » de la part de HPC Capital pour Mistral AI dans un centre de données à Saclay dans l’Essonne, et 3 milliards d’euros promis par Iliad, l’entreprise de Xavier Niel. D’autres acteurs comme Orange et Thales comptent également investir dans les infrastructures d’IA, sans qu’ils précisent les montants engagés.
Le 11 février, lors de l’événement Business Day, une annexe du sommet sur l’IA, Emmanuel Macron a salué « la confiance des grandes entreprises françaises, dont Iliad, Thales ou Stellantis qui investissent dans des partenariats avec Mistral AI ou dans des data centers » et des « grands investisseurs internationaux », dont MGX et Brookfield.
« Pourquoi ? Parce qu’en réalité nous avons tout pour réussir dans l’IA », poursuit le président de la République française. « Nous avons les talents grâce à nos universités […], nous avons ensuite ce formidable écosystème entrepreneurial […] et des investisseurs qui étaient prêts à recevoir ce formidable accélérateur ».
Pas de nucléaire, pas d’IA
Mais le nerf de la guerre, ce sont les territoires parés à accueillir des centres de données. Et le parc nucléaire français.
« On a une trentaine de sites raccordables et – par le travail qui a été fait avec les services de l’État, RTE et EDF – on a une chose qui n’existe nulle part ailleurs. […] On a des territoires disponibles, ils sont raccordables très rapidement et on sait leur fournir de l’électricité décarbonée “ilotable” et déjà disponible », liste-t-il.
« Ce que nous fournissons en France, c’est une énergie stable grâce à nos centrales nucléaires et à nos énergies vertes, ainsi qu’à l’engagement de construire six nouvelles centrales nucléaires », expliquait plus tôt dans la matinée Éric Lombard, ministre de l’Économie et des Finances. « Cette volonté de fournir une énergie stable à un prix compétitif est certainement l’une des raisons de ces développements ».
« Ils [les groupes engagés dans le projet Stargate] vont devoir construire des réacteurs ou des capacités pour mettre de l’électricité. Nous, on l’a déjà : on a exporté l’année dernière 90 térawattheures d’électricité ».
Emmanuel MacronPrésident de la République française
Cela représenterait une différence de taille face au programme Stargate annoncé par le président Donald Trump, selon Emmanuel Macron.
« Quand, il y a quelques semaines, on a annoncé, de l’autre côté de l’océan Atlantique, 500 milliards d’investissements pour des capacités nouvelles, ils [les groupes engagés dans le plan américain, N.D.L.R.] vont devoir construire des réacteurs ou des capacités pour mettre de l’électricité. Nous, on l’a déjà : on a exporté l’année dernière 90 térawattheures d’électricité », compare-t-il.
Le président oublie de préciser qu’en sus des remises tarifaires, les constructeurs et opérateurs des centres de données en France auront le droit à des remises d’impôts au mégawattheure. Le dossier de presse du sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle laisse également apparaître quelques projets de facilitations administratives et juridiques. Quitte à déroger à certaines règles d’urbanisme et de protection des espèces actuellement en vigueur.
Un « réveil européen » sur un lit de billets étrangers
Ursula von der Layen, présidente de la Commission européenne, a renchéri sur cette voie en présentant InvestAI. Ce plan vise à rassembler 200 milliards d’euros d’investissement dans l’IA en Union européenne.
L’Union européenne entend engager « jusqu’à 50 milliards d’euros » dans l’IA. Le fonds InvestAI devra d’abord financer « quatre futurs gigas-usines d’IA » pour un total de 100 000 « puces d’IA ».
Ces « usines » sont des écosystèmes se partageant des infrastructures, des données et du savoir-faire, selon la Commission européenne. « Nous voulons reproduire le succès du laboratoire du CERN à Genève », vante Ursula von der Leyen.
La Commission aurait déjà investi 10 milliards d’euros dans 12 « usines d’IA ». Sept d’entre elles ont déjà été présentées et impliquent la participation de 15 membres de l’UE, dont deux pays chacun équipé d’un supercalculateur financé par l’UE (EuroHPC).
Les 150 milliards d’euros restants seront fournis par l’initiative « EU AI Champions ». Près de 70 entreprises, dont Airbus, Mistral AI, TotalEnergies, L’Oréal, Mercedes-Benz, SAP, Siemens, Dataiku, EDF, Dassault Systèmes et d’autres qui sont réunis dans ce consortium souhaitant « débloquer le potentiel de l’IA en Europe ».
Cette somme est, semble-t-il, à distinguer des investissements prévus en France. En réalité, les 150 milliards d’euros sont promis par 20 investisseurs « internationaux » dont Balderton (Royaume-Uni), Blackstone (États-Unis), CVC (Royaume-Uni), DST Global (Île Caïman), EQT (Suède), General Catalyst (États-Unis), Insight (États-Unis), KKR (États-Unis), Lightspeed (Canada), et Warburg Pincus (États-Unis). Tous se disent « prêts » à engager cette somme d’ici à cinq ans.
« Ces investissements couvrent un large éventail de secteurs, y compris les entreprises spécialisées dans les technologies d’IA, les entreprises exploitant l’IA pour améliorer leurs opérations, ainsi que les infrastructures essentielles qui soutiennent l’IA, tels que l’énergie et les centres de données », précise le communiqué du consortium.
« Nous nous concentrerons sur les applications industrielles et critiques. Il s’agira du plus grand partenariat public-privé au monde pour le développement d’une IA digne de confiance », a promis Ursula von der Leyen, au Grand Palais.
« C’est le sommet d’un réveil européen ».
Emmanuel MacronPrésident de la République française
« C’est le sommet d’un réveil européen », se réjouit Emmanuel Macron. Toutefois, la majorité de ces investissements en France et dans l’UE sont étrangers et non européens.
« Nous prenons très au sérieux la nécessité de combler notre retard en matière d’innovation », déclare Henna Virkkunen, vice-présidente de la Commission européenne chargée de la souveraineté technologique, de la sécurité et la démocratie. « Nous voulons réduire la bureaucratie et alléger la charge réglementaire qui pèse sur nos industries, tout en veillant à disposer d’un marché unique », avance-t-elle, lors d’une intervention dans le cadre de l’AI Business Day.
« Notre objectif est clair : ne pas imposer de charges ou d’obstacles supplémentaires à l’innovation ».
Henna VirkkunenVice-présidente exécutive chargée de la souveraineté technologique, de la sécurité et de la démocratie, Commission européenne
En ce sens, Henna Virkkunen se dit très attachée au fait que l’AI Act soit appliquée « de manière favorable à l’innovation ». « Nous travaillons actuellement avec nos parties prenantes sur un code de bonnes pratiques, qui servira de guide pour nos PME et nos industries, afin de les aider à se conformer à l’AI Act », ajoute-t-elle. « Notre objectif est clair : ne pas imposer de charges ou d’obstacles supplémentaires à l’innovation ».
Les financements européens devraient suivre, assure Henna Virkkunen. « Le volet financier est crucial : nous voulons garantir à nos entreprises un accès au capital-risque et renforcer les partenariats public-privé. Nous travaillons en étroite collaboration avec la Banque européenne d’investissement et les États membres pour mobiliser des investissements dans l’IA ».
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