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Les compétences en intelligence artificielle : une quête complexe et coûteuse

La France affiche en Europe un retard en termes d’adoption de l’IA. Le combler passe par le recrutement de compétences pluridisciplinaires spécifiques, un obstacle à l’adoption en entreprise. Mais la formation continue constitue elle aussi un levier d’action.

Quelques années plus tôt, les directions générales des grands groupes n’avaient qu’un objectif affiché – mais pas toujours réalisé : la transformation numérique. À cette fin, elles ont notamment recruté et mis sur pied des équipes digitales et des digital factory.

S’inscrivant dans ce mouvement, s’est amorcée une autre tendance englobant la data et l’intelligence artificielle. Or, en termes d’adoption, la France afficherait déjà un retard significatif vis-à-vis de ses voisins européens. Selon Michael Page Technology, le taux d’adoption par les entreprises françaises est ainsi de 36 %, contre 42 % en moyenne en Europe.

Facteurs d’adoption de l’IA et freins : les compétences

Comment combler ce retard ? Grâce en particulier aux compétences « spécialisées » en Data et IA. Celles-ci sont même présentées comme un facteur clé de succès de l’industrialisation des projets d’intelligence artificielle. Mais si ces compétences sont une condition du succès, elles constituent également un frein.

D’après une étude du cabinet de recrutement, 57 % des entreprises citent comme obstacle à l’adoption la difficulté à recruter des profils ayant les compétences adaptées. Or, ce sang neuf est indispensable. En effet, 45 % des entreprises représentées témoignent en outre d’un manque de compétences en interne. Pour le pallier, le recrutement est donc clé.

Le mouvement s’intensifie. Michael Page Technology note ainsi que les recrutements de profils Data & IA ont augmenté de 40 % en 2020. Cela explique notamment que les métiers de la Data soient ainsi « surreprésentés » parmi le Top 15 des métiers émergents. Le DPO se classe cependant premier en France, devant l’ingénieur en intelligence artificielle (2e), l’ingénieur Data (9e), le Data Scientist (10e) ou encore le développeur Big Data (13e).

Aux États-Unis, pays le plus avancé en termes d’adoption et d’investissements (16,5 milliards de dollars en 2019), ce sont les profils les plus techniques qui ont la cote. Le spécialiste de l’intelligence artificielle occupe la première marche du podium. Data Scientist et Data Engineer se classent respectivement 3e et 8e.

Et si les États-Unis se positionnent en tête de la compétition mondiale, c’est notamment en raison de l’accent mis sur les moyens, financiers et humains. Attirer les talents de la Data et de l’IA coûte cher. En effet, « les salaires d’embauche en début de carrière se situent déjà dans la fourchette haute des salaires d’entrée sur les métiers IT », souligne le cabinet.

Investir sur les technologies, mais aussi l’humain

En outre, sur ces sujets encore « récents », les profils expérimentés sont rares. Conséquence : cette « rareté renforce leur valeur sur le marché français ». Et cette tendance est là pour durer, « a minima sur les cinq années à venir », préviennent les auteurs de l’étude. Si la France veut combler son retard sur la scène internationale, ses entreprises devront donc investir.

 

Top 15 des métiers émergents.

« La volonté des entreprises françaises de rattraper ce retard en adoptant des solutions d’IA dans les 2 ans à venir est cependant forte (+4 points par rapport à la moyenne européenne) », analyse l’étude. Et « la question de l’acquisition des compétences et des talents de l’IA, intrinsèquement liée à celle des investissements, sera cruciale », commente Sacha Kalusevic, directeur senior chez Michael Page Technology.

Mais pour mener à bien ces recrutements, les entreprises de différents secteurs entrent en concurrence directe, favorisant pénuries et tensions à l’embauche. Le constat n’est pas nouveau néanmoins. Selon un précédent rapport du Capgemini Research Institute, 70 % des entreprises se heurtent à cet obstacle des ressources humaines.

Ainsi, « la pénurie de talents dans les postes intermédiaires et supérieurs est un défi majeur à la mise en œuvre de l’IA ». Mais si les compétences nécessaires sont pluridisciplinaires, c’est bien sur les profils techniques, et notamment en machine learning et en data visualisation, que les tensions à l’embauche sont les plus fortes.

En matière de compétences techniques, la Commission européenne en identifie 5 comme « pénuriques » dans l’IA en France : programmation, Big Data, Machine Learning & modélisation, robotique et cloud computing. Mais si ces compétences sont nécessaires, elles ne sont pas pour autant suffisantes.

Attirer les talents et faire progresser les compétences

Les experts insistent en effet sur la pluridisciplinarité. « Il n’existe pas de réalité unique face à l’IA, mais une multitude de missions avec une variété de profils, de parcours et donc de compétences », rappelle le cabinet de recrutement. Et cela complexifie encore un peu plus la sélection des candidats, et, plus en amont, l’identification des compétences requises.

Outre la technique, les entreprises ont donc aussi besoin de candidats « dotés d’une réelle compréhension métier, communicants et agiles, à même de faire le lien avec l’environnement opérationnel pour lequel ils développent des solutions ». Difficile de réunir toutes ces qualités chez un même professionnel, plus encore s’il est débutant.

Top 10 des postes dans l'IA et la data.

L’adoption de l’IA en France passe donc par le développement de cursus au plus proche des besoins des entreprises. Ces parcours se multiplient. En octobre dernier, Simplon.co et Microsoft avaient par exemple ouvert en France 23 écoles spécialisées dans l’apprentissage en intelligence artificielle. La formation continue est une autre réponse, complémentaire, au manque de compétences.

Celle-ci contribue de plus à la fidélisation de ces salariés très convoités. Car, sur des métiers comme celui de Data Scientist, la volatilité est forte et l’ancienneté réduite. D’après l’étude « The State of Data Science 2020 », 44 % des data scientists affichaient leur volonté de changer d’employeur au cours de l’année.

« La formation et le perfectionnement sont essentiels pour pallier ce manque et garantir que ces compétences puissent rester en interne », recommande Capgemini. C’est également une préconisation de Gartner. Son analyste Chirag Dekate accompagne en outre cette recommandation d’une mise en garde.

Un reskilling des compétences existantes

En termes de compétences, le piège consiste en effet à miser sur le recrutement d’une licorne, un profil rare. « Au lieu de cela, requalifiez les équipes existantes avec des compétences en ingénierie des systèmes d’opérationnalisation de l’IA », encourage l’analyste. Face à la pénurie de compétences et en raison de la nature stratégique de ce domaine, les grands groupes adoptent des stratégies diverses.

Les cursus de Data scientists sont encore récents et des employeurs vont chasser directement dans les écoles pour attirer les talents dès la fin de leur formation initiale, sinon pendant. À ce titre, une approche de type « campus management » s’avère « cruciale » pour attirer les débutants.

La Poste, quant à elle, mise aussi sur ses compétences internes. Le groupe a lancé des parcours de formation et de montée en compétences pour ses collaborateurs. Ils portent sur les métiers de data scientist, data analyste et data ingénieur. Entre 2018 et 2019, le nombre de postes ouverts en interne sur les métiers de la Data progressait de 76 %, passant de 300 à 500.

Mais que ce soit au travers du recrutement ou de la formation en interne, l’objectif demeure le même : développer une expertise Data et IA, devenue un facteur concurrentiel, voire passage obligé. Dans l’univers de la publicité, la filiale digitale de TF1, Unify, a ainsi créé un pôle Data, nommé une chief data officer, et internalisé les compétences. Club Med a suivi une trajectoire comparable sur ses activités média. Le but affiché : « gagner la course à la performance des ventes » au travers de la transformation digitale des outils et des équipes.

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