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IFS défie SAP dans l’intelligence artificielle industrielle

L’éditeur suédois de logiciels d’entreprise ambitionne de devenir « le numéro un » de l’IA industrielle. Avec déjà 150 millions € de revenus récurrents dans ce domaine, il cible les 200 millions avec l’agentique. De quoi défier SAP et Joule.

« Nous voulons être le numéro un des logiciels pour les industriels et être synonymes d’IA industrielle », lance Mark Moffat. Le CEO écossais d’IFS – éditeur d’origine suédoise spécialisé dans les ERP, les logiciels de maintenance des équipements (EAM) et de service sur le terrain (FSM) – place l’intelligence artificielle (IA) au cœur de sa stratégie de croissance.

« L’IA nous rapporte déjà plus de 150 millions d’euros en CA récurrents annuels (ARR) », chiffre Mark Moffat. Ces revenus conséquents s’expliquent par un investissement de plusieurs années comme l’acquisition, il y a dix ans, d’une entreprise française spécialisée dans l’optimisation de la planification.

SAP dans le collimateur

Dans ce domaine hautement concurrentiel, IFS croise le fer avec plusieurs adversaires, comme Infor (dans l’ERP), Salesforce (dans le FSM) ou IBM (Maximo dans l’EAM). Mais un nom retient particulièrement l’attention de Mark Moffat et de ses équipes : SAP.

« Nous ne voyons plus Infor autant qu’avant, notre principal concurrent c’est principalement SAP », confirme le dirigeant qui n’hésite pas à tacler l’offre IA du géant allemand : « Ils ont lancé Joule… J’en ai parlé avec plusieurs clients… Eh bien, ça ne marche pas. C’est un fait », souffle-t-il dans un demi-sourire. « Mais honnêtement, je ne m’occupe pas de cela. Je m’occupe de ce que nous pouvons faire », continue-t-il immédiate.

Justement. Que fait IFS dans l’IA ?

L’éditeur a lancé une « gamme » de fonctionnalités IA (IFS.AI), un programme de « co-création » autour de l’IA (Nexus Black) et même un premier agent qu’il revendique comme étant « entièrement opérationnel ».

Une approche pragmatique de l’IA

La stratégie d’IFS dans l’IA se veut, dans tous les cas, profondément ancrée dans les processus industriels.

« Nous nous concentrons sur nos six secteurs d’activité, sur ce que ces clients nous disent des problèmes qui se posent à eux, et nous faisons de notre mieux pour essayer d’y répondre. C’est pareil pour l’IA […]. Nexus Black, par exemple, c’est une demande [de co-innovation] énorme de la part de nos clients », insiste-t-il. « Plusieurs d’entre eux sont maintenant en production. Le bénéfice est quasi immédiat pour ces entreprises ».

Plusieurs types d’IA…

Quand on parle d’IA aujourd’hui, on a tendance à entendre « IA générative ». Or dans l’industrie, même si la GenAI peut avoir des applications, c’est la « bonne vieille IA » (ML, Deep Learning, NLP, etc.) – celle qui a « trois ans », comme aime à plaisanter Luc Julia (inventeur de Siri, directeur scientifique IA chez Renault) – qui apporte le plus de valeur.

IFS fait le même constat. « Je vois l’IA générative comme un moteur pour la communication en langage naturel », confirme le CEO.

Et là encore, l’orientation « très industrie » est un point cardinal. « Nous nous penchons sur les problèmes [verticaux] des clients, alors que de nombreux concurrents se placent dans une optique de LLM avec des capacités horizontales et générales », compare-t-il. « Les LLM “généralistes”, pour moi, c’est la partie de Microsoft et de Teams. C’est l’une des choses que nous explorons dans le cadre de notre partenariat avec eux. Copilot (qui s’améliore constamment) et leurs assistants s’occupent de ce qu’ils appellent le “travail de la connaissance”. Ce n’est pas notre domaine. Nous, nous concentrons sur ce qui touche [derrière] aux assets et sur le travail de terrain ».

« Les LLM “généralistes”, c’est la partie de Microsoft et de Teams. Ce n’est pas notre domaine. Nous, nous concentrons sur ce qui touche aux assets et sur le travail de terrain. »
Mark MoffatCEO d'IFS

La GenAI ne représente donc qu’une petite partie de l’équation IA d’IFS. Pour l’illustrer, Mark Moffat prend l’exemple d’agents (humains) qui commencent leur journée en récupérant un van au dépôt.

« Ils regardent leurs applications et ils voient qu’ils ont dix tâches de prévues ». Pour ces missions, l’intelligence artificielle d’IFS va recommander de charger les camionnettes d’une certaine manière. « L’IA compare les travaux en cours avec l’historique de ceux qui ont été effectués des milliers de fois. Elle anticipe ce à quoi je risque d’être confronté et donc l’équipement, comme un type de vis, dont je vais avoir besoin ».

Une autre IA prend le relais pour optimiser l’itinéraire en fonction des conditions de circulation (IFS a un partenariat avec TomTom), de l’urgence d’un besoin, d’un client platinum, etc.

« Et là, imaginez. Vous êtes sur un chantier face à un défaut que vous ne connaissez pas. Vous n’avez qu’à le filmer. Une IA analyse votre film, et une autre vous indique la ou les vidéos (tutos, etc.) faites par des ingénieurs à regarder pour résoudre le problème. Ensuite, si j’ai besoin d’une pièce de rechange, un bon de commande est créé, ce qui se traduit aussi dans la supply chain ».

Dans cet exemple, l’analyse de la vidéo (une fonctionnalité réelle dans IFS) est faite avec de l’IA générative. « Mais tous les autres “trucs” intelligents sont des capacités d’IA plus conventionnelles. L’IA générative joue un rôle, mais il existe encore de nombreuses autres formes d’IA », conclut Mark Moffat.

… Y compris de l’IA agentique

Parmi ces nombreuses formes, IFS a dévoilé depuis peu sa première IA agentique. « Nous avons automatisé la répartition des techniciens de terrain », se félicite le CEO. « Nous avons un agent répartiteur numérique. Et il est disponible ».

«  La raison pour laquelle certains clients ne prennent pas cet agent, c’est qu’ils ne sont pas prêts mentalement, du point de vue du changement. »
Mark MoffatCEO d'IFS

Le « dispatcher agent » automatise l’affectation des techniciens terrain. Et si certains hésitent à franchir le pas, ce ne serait pas pour des raisons technologiques, mais pour des raisons… humaines. « C’est un grand saut psychologique de confier à un agent le pilotage de 200 ingénieurs, à la place de 10 humains. […] La raison pour laquelle certains clients ne prennent pas cet agent, c’est qu’ils ne sont pas prêts mentalement, du point de vue du changement », reconnaît-il.

D’autres agents sont en cours de développement. Ils devraient intégrer les outils d’ici 2026.

Mais Mark Moffat insiste. Il ne faut pas confondre les « faux » agents et les « vrais » agents. « Soyons clairs. À partir de quelles capacités d’automatisation cela devient-il un agent ? Certaines personnes, lorsqu’elles décrivent leurs agents, décrivent plus de la RPA. Mais ce ne sont pas des agents ! », insiste-t-il.

Un agent est totalement autonome. « C’est pourquoi le répartiteur me semble un exemple évident. C’est quelque chose que nous avons fait et dont nous savons qu’il améliore [le processus de bout en bout] ».

Objectifs 200 millions dans l’IA

IFS cible les entreprises de 500 millions à 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, un segment où il peut proposer l’ensemble de ses solutions. Son objectif est de passer la barre des 3 milliards € de revenus en 2029 (contre 1,5 milliard sur l’année passée), et de faire « plus de 200 millions d’euros en ARR dans l’IA » pour l’année à venir, témoignant d’une accélération significative dans ce segment.

Cette trajectoire pourrait même conduire l’entreprise vers une introduction en bourse.

Pour atteindre ces 200 millions, IFS va continuer à sortir de nouvelles fonctionnalités – comme éventuellement la possibilité de créer ses propres agents. Mais il mise aussi sur des « gros coups », pour gagner en notoriété face à SAP.

Le dernier en date en France (et en Europe) est le contrat signé avec TotalEnergies, en janvier. « C’est un déploiement pour 25 000 utilisateurs. Le Core Finance, c’est du SAP, mais pour l’EAM, la maintenance, la planification, c’est du IFS », se réjouit Mark Moffat.

« Chaque organisation est différente. Chaque stratégie au sein d’une organisation est différente. Nous devons donc être réalistes. »
Mark MoffatCEO d'IFS

Le CEO sait néanmoins que l’adoption de l’IA reste un défi, fut-elle intimement intégrée aux fonctionnalités des logiciels.

« Pour mettre en œuvre des capacités d’IA, il faut des données propres, il faut comprendre l’environnement [de l’entreprise]. Le monde entièrement agentique – où il suffira de pointer une demande vers un agent – deviendra peut-être une réalité un jour, mais ce sera dans de nombreuses années. Aujourd’hui, il faut encore se poser les questions du “quoi ?” “dans quel contexte ?” et du “pourquoi ?” », liste Mark Moffat. « Or chaque organisation est différente. Chaque stratégie au sein d’une organisation est différente. La maturité des stacks applicatives, la disponibilité des données, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du périmètre de l’entreprise, sont différentes. Nous devons donc être réalistes ».

L’objectif affiché de 200 millions € dès cette année – soit un taux de croissance de plus de 30 % contre une progression de 20 % du CA global – serait-il donc volontairement trop ambitieux ? « Non, je pense justement que nous sommes réalistes ». SAP est prévenu.

Entretien réalisé lors d’IFS Connect, à Paris, le 23 juin 2025

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