Cet article fait partie de notre guide: Le grand guide du « cloud souverain »

Cloud : l’État soutient l’innovation, la filière réclame des commandes

Si les acteurs publics et privés se réjouissent que l’État et ses partenaires privés injectent près de 1,8 milliard d’euros dans l’écosystème cloud français, les éditeurs et les fournisseurs appellent à la commande publique et à un accompagnement dans l’obtention du visa de sécurité SecNumCloud.

Le 2 novembre, Cédric O, secrétaire d’État chargé du numérique, a présenté le troisième pilier de la stratégie nationale pour le cloud portée par le gouvernement. Elle fait suite à la présentation de la doctrine « cloud au centre » et à la création du label cloud de confiance. Inscrite dans le plan France Relance, cette troisième phase vise à « soutenir l’écosystème français du cloud », par la dotation d’une enveloppe de 1,791 milliard d’euros mobilisable sur quatre ans.

Environ 667 millions d’euros proviendront des caisses de l’état, 680 millions d’euros d’acteurs privés et 444 millions d’euros de financements européens.

La part publique de cette stratégie « est financée par le PIA4 et France Relance, à hauteur de 533 millions d’euros sur 2021-2022, puis 134 millions d’euros pour 2023 et les années suivantes ».
Dossier de presse, stratégie nationale du gouvernement pour le cloud

Tout comme le plan visant à soutenir la filière de l’intelligence artificielle, la part publique de cette stratégie « est financée par le quatrième Programme d’Investissement d’Avenir (PIA4) et France Relance, à hauteur de 533 millions d’euros sur 2021-2022, puis 134 millions d’euros pour 2023 et les années suivantes », peut-on lire dans le dossier de presse.

L’enveloppe de 1,8 milliard d’euros est principalement consacrée à la recherche et au développement, dans le secteur public et privé.

Cloud et Edge computing : l’État soutient la R&D

Pas moins de 421 millions d’euros financeront des « solutions innovantes de cloud et Edge computing ». En réalité, un appel à manifestation d’intérêt (AMI) organisé entre février et mai 2021 a permis de sélectionner 23 projets qui bénéficieront du « soutien de l’État », en sus de 500 millions d’euros de la part d’investisseurs privés.

 Parmi les « projets emblématiques », le gouvernement liste une plateforme d’Edge computing peu énergivore dédiée à l’IIoT et portée par le CEA, IMT, l’INRIA, System X, Schneider Electric, Atos ou encore Valéo, entre autres.

Ce projet annoncé en octobre 2021 s’étalera sur trois ans. « Notre objectif est de proposer, par exemple à une usine, un champ agricole ou un hôpital, une solution locale de cloud, appelée “far edge cloud” », indique Ahmed Jerraya, chercheur au CEA/LETI, dans un communiqué publié le 9 novembre. « Ce nouveau type de cloud sera facile d’utilisation et permettra une synchronisation agile avec les différents clouds existants, notamment via l’écosystème européen Gaia-X. », annonce-t-il.

Télécom sud Paris, SmartB, Issy Media New Generation ou encore Green Communication participeront à l’élaboration de jumeaux numériques. Platform.sh, éditeur d’une PaaS, compte développer une solution d’optimisation des ressources énergétiques dans un réseau edge-cloud. Atos, Genci, OVHcloud, ActiveEON, le CNRS, l’INRIA, ou bien Carnot Computing espèrent bâtir une plateforme cloud pour les acteurs de la recherche publique versés dans l’IA et les calculs haute performance.

Par ailleurs, 3DS Outscale, AUCAE, JameSpot, NAOR Innov, Rohde&Scharwz, Smart Global Governance, Stormshield et TrustHQ bénéficieront d’un soutien financier pour créer un catalogue SaaS et PaaS hébergé sur une « infrastructure SecNumCloud », sans doute celle de 3DS Outscale.

Quelque 66 millions d’euros iront à « la recherche, l’innovation et la maturation de technologies ». Dans le détail, 56 millions d’euros financeront un Programme et Équipements Prioritaires de Recherche (PEPR), conduit par le CEA et l’INRIA. Ces fonds serviront à développer des « solutions innovantes de clouds hybrides », des solutions matérielles et logicielles de traitements de données à large échelle, et des solutions distribuées d’edge computing. Un organisme de transfert technologique sera doté de 10 millions d’euros pour « valoriser » ces projets dans le monde industriel.

En outre, 150 millions d’euros serviront à créer 20 à 30 espaces de données mutualisées d’ici 2025, dans la continuité du plan PIA3. Pour concrétiser cette ambition, les investisseurs privés ajouteront 150 millions d’euros, l’Europe y injectera 360 millions d’euros. Dans ce cadre, les industriels seront invités à participer aux actions du Hub France Gaia-X, piloté par le CIGREF, qui rassemble une quinzaine de groupes de travail sectoriels pour développer les cas d’usage et déployer les solutions de partage de données. Un appel à projet mené entre 2018 et 2021 avait déjà financé les plateformes d’échanges de données Agdatahub, le Cargo Lab et IA Cargo.

Enfin, 60 millions d’euros, dont la moitié en provenance de fonds privés, seront consacrés à la formation.

« Cela va dans le bon sens »

La grande majorité des commentateurs de ce troisième volet de la stratégie cloud de l’État s’entendent sur le fait que « cela va dans le bon sens ».

« Nous sommes satisfaits que le ministre annonce son soutien pour faire émerger des champions technologiques. Comme précisé par le ministre : “La bataille du cloud n’est pas perdue” », déclare David Chassan, directeur de la stratégie de 3DS Outscale dans un communiqué. Le dirigeant répète les propos de Cédric O, considérant le projet de catalogue SaaS et PaaS de 3DS Outscale comme « parfaitement aligné aux ambitions du Plan d’accélération cloud ». David Chassan met à nouveau en avant la qualification SecNumCloud et la certification HDS obtenue par le fournisseur cloud français. « Cela correspond en tout point à la doctrine du cloud de confiance de l’État », écrit-il.

Que Cédric O affirme « la bataille du cloud n’est pas perdue » est « une très bonne nouvelle », selon Alain Garnier, PDG de Jamespot – éditeur d’un réseau social d’entreprise et d’une plateforme collaborative – dans une vidéo publiée sur LinkedIn. « On a pris du retard, mais l’on peut le rattraper […] Cédric O a d’abord mis l’écosystème en avant, tout en rappelant que les Américains sont un peu plus forts. Cela ne sert à rien de le dire, mais cela va dans le bon sens […] », note-t-il. 

Tout comme le PDG de Jamespot, Philippe Latombe – député MODEM/LREM de la 1re circonscription de Vendée et responsable du rapport « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne » – considère que la direction prise est la bonne. « Il y a les fonds, l’envie de digitaliser. C’est très bien », a-t-il affirmé lors de l’Open Source Experience, salon organisé par le pôle Systematic les 9 et 10 novembre derniers.

Pour autant, le député déplore la méthode de subventions. « Nous sommes encore sur un système franco-français d’appel d’offres, alors que nous aurions pu nous inspirer du modèle américain en nous appuyant sur des avantages fiscaux, du surinvestissement, sur des outils très simples que l’on peut intégrer facilement, que les experts-comptables maîtrisent bien et pour lequel il n’y a pas besoin de monter des usines à gaz tel qu’elles existent aujourd’hui », lance-t-il.

« Il faudrait un fléchage de ces fonds vers des entreprises européennes et françaises, et qu’ils n’aillent pas dans les caisses des trois [Microsoft, Google Cloud et AWS]. »
Philippe LatombeDéputé MODEM/LREM de la 1re circonscription de Vendée

« Parce que nous sommes passés d’un cloud souverain à un cloud de confiance, ma crainte c’est que n’importe qui puisse aller voir les hyperscalers dans le cadre du programme d’investissement », déclare Philippe Latombe. « Il faudrait un fléchage de ces fonds vers des entreprises européennes et françaises, et qu’ils n’aillent pas dans les caisses des trois [Microsoft, Google Cloud et AWS N.D.L.R.] », ajoute-t-il.

De son côté, le PDG de Jamespot regrette encore une fois qu’il n’y ait pas d’annonces en matière de quotas de commandes publiques auprès des éditeurs et fournisseurs français. « Je pense que cela sera tranché par la présidentielle. Ce sera un sujet à venir pour la campagne », anticipe-t-il.

« Certes, il faut faire de la R&D, mais il faut passer à des preuves d’amour : les commandes de l’État. L’État et les collectivités territoriales semblent toujours attirés par Bleu [l’offre commune entre Capgemini, Orange et Microsoft N.D.L.R.]. Microsoft semble encore très présente dans les grandes DSI, parce qu’il est plus facile d’avoir un seul acteur que deux ou trois », affirme Alain Garnier.

L’État compte tout de même fédérer « les acteurs pertinents » à même de « de proposer ensemble des solutions collaboratives de haut niveau répondant aux exigences du secteur privé comme public ». « Un appel à manifestation d’intérêts sera publié en décembre 2021 et pourra donner lieu, si la démarche est concluante, à un appel à projets au T1 2022. Jusqu’à 50 millions d’euros d’aides pourront être mobilisés pour soutenir ce projet », peut-on lire dans le dossier de presse du gouvernement.

Les géants du cloud à la manœuvre

Or les géants du cloud américains ont les moyens d’investir massivement en Europe.

Selon les propos de Jean Paul Alibert, président de T-Systems France, « La bataille va être difficile ». « Les trois grands fournisseurs américains de cloud ont misé plus de 14 milliards d’euros dans les investissements européens au cours des quatre derniers trimestres », affirme-t-il.

De fait, le gouvernement reconnaît cette situation en reprenant les chiffres d’une étude de Synergy Research Group : les « acteurs étrangers […] concentrent à eux seuls 69 % du marché européen, contre moins de 2 % pour les premiers industriels européens (OVH et Deutsche Telekom) ».

« De plus, ces entreprises s’allient avec des acteurs locaux pour segmenter le marché européen. Il sera aussi intéressant de voir comment ces 1,8 milliard seront utilisés, dans le respect des règles européennes… La solution viendra de l’Europe qui doit coordonner son marché, et des États qui doivent jouer le jeu et engager des commandes auprès d’acteurs régionaux, » ajoute Jean Paul Alibert.

Selon une autre étude de Xerfi publiée en 2019 reprise par le gouvernement, « là où Amazon, Google et Microsoft occupent les 3 premières places sur les autres marchés nationaux européens, OVHcloud avec 10 % du marché français est troisième et Orange quatrième, relayant Google à la cinquième place. Seuls 35 % des grands groupes français ont recours à des services de fournisseurs cloud français ».

L’accès au visa SecNumCloud, un enjeu pour les éditeurs français

Mais pour le PDG de Jamespot, au-delà des fonds alloués et du soutien direct à l’écosystème français du cloud par la commande publique, la question de l’accès au visa de sécurité SecNumCloud se pose. Le gouvernement compte privilégier les solutions certifiées par l’ANSSI, notamment des solutions collaboratives SaaS.

« On n’arrête pas de parler de cloud de confiance, et de la certification SecNumCloud. Le problème c’est que c’est une norme très exigeante, très lourde, très longue à obtenir. »
Alain GarnierPDG, Jamespot

« On n’arrête pas de parler de cloud de confiance, et de la certification SecNumCloud. Le problème c’est que c’est une norme très exigeante, très lourde, très longue à obtenir », prévient-il. « Soit il faudra attendre deux ans, soit il faudra trouver des accélérateurs pour que les acteurs de taille intermédiaire puissent y aller ».

À l’heure actuelle, 3DS Outscale, OVHCloud et Oodrive ont obtenu le précieux sésame pour certains de leurs services. « D’autres offres portées par Cheops Technology France, Cloud Solutions, Cloud Temple, IDnomics et Wordline sont en cours de qualification », précise le cabinet de Cédric O. Si le gouvernement compte accompagner les entreprises souhaitant obtenir le visa, il ne prévoit pas de mesures spécifiques pour accélérer son obtention.

Le gouvernement espère que cinq nouvelles solutions obtiennent la certification SecNumCloud d’ici 2025. Pas de surprise ici : l’obtention du visa prend en moyenne deux ans. En outre, le référentiel d’exigence lié à SecNumCloud a été mis à jour le 21 septembre dernier afin de préciser les conditions d’accès aux prestataires. La mouture 3.2a encadre l’obtention du visa par les entités issues des partenariats comme celui de Google et Thales et Bleu, mais n’empêche pas les détenteurs du visa de faire appel à des sociétés tierces en dehors de l’Union européenne, tant que les données (y compris les éléments techniques) sont hébergées, traitées en Europe, et qu’elles restent techniquement inaccessibles pour ces sociétés tierces.

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