Quantique : Thales Alenia Space et Hispasat distribueront des clés par satellite
Les deux acteurs européens comptent d’ici à 2029 proposer un système qui distribue des clés de chiffrement à base de photons polarisés. La solution reposera sur une communication laser depuis une orbite géostationnaire.
Thales Alenia Space et Hispasat vont proposer un système quantique de distribution des clés de chiffrement qui devrait être opérationnel dès 2029. Banco Santander, BBVA, Telefonica et Cellnex participent au projet pour tester les cas d’usage.
Distribuer des clés de chiffrement par intrication quantique pose encore de nombreuses difficultés techniques, mais la recherche appliquée avance. En 2017, les chercheurs chinois réalisaient une première distribution de clés quantiques par satellite. Une clé de chiffrement avait pu être transmise à 1 400 km via le satellite Mozi. L’idée était d’utiliser l’intrication quantique pour communiquer une clé de chiffrement sans risque d’interception.
Utiliser un satellite, plutôt que des liens optiques, permet de contourner la contrainte de multiplier les répéteurs sur la fibre. De plus, l’espace se prête particulièrement bien à une communication laser longue distance. Ironie de l’histoire, cette première s’appuyait sur des technologies d’origine européenne, puisque ce projet de recherche était le fruit d’une coopération scientifique avec l’université de Vienne en Autriche.
La Chine pourrait tirer profit de cette avance avec le lancement de trois nouveaux satellites de communication quantique qui devraient être placés en orbite basse dès cette année.
L’annonce conjointe Thales Alenia Space et Hispasat est un peu différente : le service qui sera proposé en 2029 ne se basera pas non plus sur un satellite à orbite héliosynchrone (passant au-dessus d’un point géographique à chaque heure), mais sur un satellite géostationnaire positionné à 36 786 km au-dessus de l’Europe, soit bien plus loin que le satellite Mozi.
Encoder des bits dans des photons polarisés
Baptisé QKD-GEO, (QKD signifiant Quantum Key Distribution), le projet bénéficie d’un budget de 103,5 millions d’euros. Il a été lancé par le Secrétariat d’État espagnol aux Télécommunications et aux Infrastructures numériques, et financé au travers du fonds européen dans le cadre du Plan national de Relance, de Transformation et de Résilience (PERTE Aeroespacial). Un premier essai sera réalisé via une liaison atmosphérique de 140 km entre les îles Canaries, entre La Palma et Tenerife, afin de valider le segment sol et la charge utile quantique.
Angel Alvaro, responsable du projet QKD-GEO chez Thales Alenia Space détaille le fonctionnement du système de QKD qui sera embarqué dans le satellite : « Le fonctionnement est très simple dans son principe : il s’agit d’encoder un bit dans un photon. L’idéal est de polariser le photon pour avoir la valeur 0 ou 1 par polarisation horizontale ou verticale. L’avantage de cette approche est de polariser des photons individuellement. C’est le point clé de l’ensemble du système. »
« Ce que la technologie quantique garantit, c’est que personne ne peut lire cette clé sans être détecté. »
Angel AlvaroResponsable du projet QKD-GEO, Thales Alenia Space
Pour l’instant, le système n’exploite pas le phénomène d’intrication quantique, afin de simplifier le protocole. « Nous utilisons les états quantiques des photons pour stocker les clés et le destinataire va lire ces états afin de prendre connaissance de la clé. Vous devez préparer les photons, puis, lors de la lecture, la polarisation est détruite. »
L’expert souligne que s’il est souvent considéré qu’un système de distribution de clés quantique est parfaitement sûr, cela ne signifie pas pour autant que les clés ne peuvent être cassées : « une fois la clé téléchargée sur le poste, c’est à l’utilisateur de veiller à la manière dont il la manipule et elle peut être volée sur l’ordinateur » rappelle Angel Alvaro.
« Ce que la technologie quantique garantit, c’est que personne ne peut lire cette clé sans être détecté. Nous polarisons chaque photon, si vous le recevez, vous avez l’assurance que personne ne l’a lu et si un espion est parvenu à le lire, alors vous pourrez le détecter », ajoute-t-il.
Si la technologie ne peut garantir la sécurité du système dans sa globalité, il peut être démontré de manière mathématique que personne n’a eu accès à la clé lors de sa transmission, même si celle-ci a été transmise à des milliers de kilomètres de sa source.
Des technologies souveraines pour l’Europe
Thales Alenia Space fournit les technologies quantiques, mais ce projet nécessite de multiples composants, dont une source laser, des calculateurs pour le traitement du signal, ainsi qu’un système de pointage ultra-précis pour viser le satellite. L’utilisateur devra disposer d’un imposant télescope de 1,5 m de diamètre pour recevoir les photons polarisés de sa clé… « Nous sommes bien conscients des limites de cette approche et toutes les entreprises ne feront pas un tel investissement », commente Angel Alvaro. Tel qu’imaginé par les partenaires du projet, le système est conçu pour 2 types de clients.
« Nous sommes bien conscients des limites de cette approche et toutes les entreprises ne feront pas un tel investissement. »
Angel AlvaroResponsable du projet QKD-GEO, Thales Alenia Space
D’une part, les clients high-end qui recherchent un très haut niveau de sécurité, comme les ambassades, les organisations internationales et les grands datacenters. Ceux-ci pourront installer un télescope sur le toit de leur installation.
D’autre part, les clients un peu moins exigeants pourront se relier via fibre optique à des stations de réceptions dotées d’un télescope. Ces organisations et entreprises pourront se connecter à ces gateways à 200 km de distance. « C’est une transposition du modèle classique des télécommunications », rappelle l’expert.
Thales assure la maîtrise d’œuvre du projet, mais ne fournit pas l’ensemble des briques du système. Outre la technologie quantique de Thales, le projet comprend aussi un système de pointage très précis du télescope, des systèmes de traitement du signal, une source laser fournie par un tiers, etc. Ce dernier devrait être d’origine espagnole, car la souveraineté est l’un des points clés du projet.
L’objectif de l’Europe est bien de se doter de solutions souveraines dans un projet hautement critique pour la sécurité future du continent.
Un projet avec des visées commerciales
La cible d’Hispasat est de proposer un service sur le marché à l’horizon 2029. À l’échelle du marché de la cybersécurité, ce délai peut paraître lointain, mais pour les membres du projet, et à l’échelle du quantique, cela reste un défi.
Une particularité de QKD-GEO est d’avoir intégré dans un même consortium des fournisseurs de technologie comme Thales, mais aussi des utilisateurs potentiels du futur système. « Avec Hispasat, QKD-GEO part sur une vision du marché », estime Angel Alvaro, « mais nous avons aussi dans le consortium les banques Santander et BBVA, ainsi que les opérateurs Telefonica et Cellnex. Nous aurons ainsi un retour direct de ce que le marché attend d’un tel système. »
En effet, une banque comme Santander ne cherche pas particulièrement à se doter d’une solution de distribution de clés quantique, mais cherche une solution de cybersécurité sûre, notamment pour contrer l’arrivée future des calculateurs quantiques. La banque explore diverses technologies, dont le chiffrement post-quantique, mais aussi le QKD qui fera sans doute partie, dans quelques années, de l’arsenal nécessaire pour renforcer la sécurité des flux de données chiffrés face au risque quantique.