« CNCF first », Red Hat recentre sa stratégie open source

L’éditeur sous le giron d’IBM depuis 2019 fait évoluer sa politique open source pour rester au plus proche des grands projets portés par la Cloud Native Computing Foundation… quand il est question de Kubernetes et de son écosytème.

Dernièrement, Red Hat a montré des relations ambivalentes envers l’open source. Il a restreint l’accès au code source des builds de Red Hat Enterprise Linux (RHEL) et inversé la manière de produire son système d’exploitation, suscitant une vive réaction dans la communauté et chez ses concurrents.

Pour autant, la marque au chapeau rouge reste très attachée aux projets open source, notamment quand il s’agit de faire évoluer Red Hat OpenShift, sa distribution commerciale de Kubernetes. La plateforme permettrait à Red Hat de détenir 47 % de part de marché des éditions entreprises self-managed, selon David Szegedi, Chief Architect rattaché à l’organisation CTO chez Red Hat.

« La Linux Foundation était importante pour nous, mais comme Kubernetes est le nouveau Linux il y a une véritable émulation communautaire au sein de la CNCF », juge-t-il dans le cadre d’un entretien mené avec LeMagIT lors de la KubeCON+CloudNativeCon EU 2024, à Paris.

« Cela nous permet de confronter des choix techniques, d’évaluer ce que nous proposons en interne pour certains aspects techniques liés à Kubernetes par rapport aux propositions de la communauté », poursuit-il.

La CNCF et sa communauté, des indicateurs clés d’investissement pour Red Hat

Dans un même temps, la communauté de la CNCF permet de jauger le niveau d’acceptation des projets soumis par Red Hat auprès de la fondation.

L’année dernière, Red Hat a lancé le projet Kepler, un outil de mesure de la consommation énergétique dans les environnements Linux et Kubernetes. « Nous avons soumis le projet en Sandbox, un projet que nous trouvions intéressant en interne et qui a été accepté par la CNCF. Le fait que d’autres acteurs, dont Intel et Verizon se soient réunis autour du projet, c’est une sorte de validation, mais il s’agit d’évaluer si cela fait écho du côté de la communauté. C’est très important pour nous », avance David Szegedi.

En clair, la CNCF et son écosystème deviennent des indicateurs clés pour Red Hat avant de valider un investissement dans tel ou tel projet open source. « L’investissement, pour nous, est réellement validé, renforcé s’il y a une acceptation côté CNCF », considère le Chief Technologist.

Cela modifie la manière de juger les expérimentations annuelles effectuées en interne par des équipes de quatre ou cinq développeurs.

C’est vrai pour les projets que Red Hat soumet à la communauté, mais aussi pour justifier les choix techniques qui affectent ses produits. « Comme tout éditeur, nous devons valider des investissements en interne. Nous devons pouvoir justifier du nombre de développeurs travaillant sur Istio, Kubeflow, Calico, etc. L’intérêt communautaire est une mesure importante », assure David Szegedi.

Dans d’autres cas, Red Hat peut juger que le développement de projets est important pour ses produits et se placer en contributeur principal, mais de préférence dans l’écosystème de la CNCF.

Et quand Red Hat ne contribue pas beaucoup à un projet, la communauté et d’autres éditeurs peuvent le maintenir. « Nous pouvons concentrer nos investissements sur certains projets tant que les autres projets un peu moins critiques continuent leur vie du côté de la CNCF. S’ils redeviennent structurels pour nous, nous ferons plus de pull requests et de merges ».

L’objectif principal pour David Szegedi est d’éviter d’être le seul à investir dans une solution, ce que Red Hat a tenté de faire dans le domaine du maillage de services. « Tout le monde a essayé de faire son service mesh, mais il y a des experts qui travaillent sur ce sujet et il vaut mieux collaborer avec eux en bonne intelligence. Le nouveau Red Hat est comme ça », affirme David Szegedi.

En ce moment, Red Hat se concentre sur les projets permettant d’opérer la maintenance en condition opérationnelle de sa plateforme OpenShift. « Nous investissons beaucoup dans Prometheus et OpenTelemetry. Les clients en production ont besoin de gérer des logs et monitorer leurs clusters, c’est évident ».

L’Operator Framework reste essentiel pour Red Hat pour packager OpenShift (Linux et Kubernete), ses composants et les applications.

« Nous sommes contributeurs principaux sur l’Operator Framework. Sans ce projet-là, il n’y a pas d’OpenShift. Dans les cas de Jaeger (tracing distribué) et d’Istio (service mesh), nous sommes en deuxième ou troisième position en matière de commits », estime le responsable.

L’éditeur participe également de manière très active à Rook, une couche d’orchestration du stockage, en clair un opérateur du complexe Ceph.

« Nous investissons dans une moindre mesure dans les composants d’OpenShit AI : Kubeflow, Ray Serve, Pytorch, par exemple », liste David Szegedi.

Red Hat, une « chambre de résonance » auprès de la CNCF pour les grands clients

Or, comme Red Hat propose de déployer des charges de travail de machine learning et de deep learning, il se doit de répondre aux tickets de ses clients. « Comme nous ne pouvons être présents partout et être des contributeurs principaux, c’est bien de participer au projet, de proposer des correctifs, des fonctionnalités et d’être dans le comité de pilotage afin de remonter les demandes des clients », explique le Chief Technologist.

« Certains de nos gros clients très portés sur l’open source se servent de Red Hat comme chambre de résonance au niveau du CNCF ou de la communauté », poursuit-il.

Aujourd’hui, entre vingt et cinquante clients de Red Hat s’inscrivent dans cette démarche pour proposer des ajouts ou des modifications au sein des projets open source ou pour influencer la feuille de route de l’éditeur.

C’est le cas d’un important client français pour Red Hat qui estime qu’un pull request effectué par un contributeur Red Hat aura beaucoup plus de chance d’être accepté que s’il le faisait de son côté. Ce même client a influencé des changements dans l’outillage d’OpenShift pour afficher les données d’observabilité collectées à l’aide de Prometheus.

La CNCF a pris conscience de ce phénomène. Elle a lancé le Technical Adversory Board, réunissant principalement des usagers finaux issus des entreprises ayant payé une souscription de membres utilisateurs auprès de la fondation. Ce TAB doit permettre, entre autres, de faire remonter des demandes d’ajouts ou de modifications de projets open source exploités par ces sociétés.

« L’objectif [du TAB] est d’uniformiser cette pratique de remontée d’informations auprès des comités de pilotage des projets. Or, les habitudes de l’open source ayant la vie dure, il y a toujours cette problématique de légitimité. Dans les comités, certaines personnes ont une certaine stature, un passif qui fait que leur parole a un poids conséquent », signale David Szegedi.

« Ç’a été le cas avec eBPF (surveillance des systèmes à travers le kernel Linux) où Linus Torvarlds [le fondateur de Linux, N.D.L.R] a pendant longtemps considéré cette technologie comme une hérésie. Nous avons perdu beaucoup de temps avant que Cilium fasse accepter l’intérêt du projet ».

Le Chief Technologist constate que les clients de Red Hat ne peuvent pas participer à l’ensemble des échanges au sein de la communauté. « Les éditeurs ont plus de facilité pour effectuer ce suivi qu’une société commerciale », considère-t-il.

Ce type de discussion, Red Hat les a également avec d’autres éditeurs quand les clients souhaitent intégrer un module ou une solution particulière à OpenShift.

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